Les Historiettes/Tome 1/32

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 231-233).


LE CHEVALIER DE GUISE,
FRÈRE DU PRÉCÉDENT.


On dit que le chevalier de Guise allant un jour voir une dame à qui il demanda s’il ne l’incommodoit point : « Non dit-elle, monsieur, je m’entretenois avec mon individu. » Voilà un étrange style ! Peu de temps après, il se leva, et croyant que c’étoit quelque homme d’affaires avec qui elle s’entretenoit : « Madame, lui dit-il, je ne veux pas vous interrompre, vous pourrez, quand il vous plaira, reprendre où vous en étiez avec votre individu. »

On dit qu’une fois qu’il vouloit entrer dans une chambre, et qu’il eut dit que c’étoit le chevalier de Guise : « Mais il y a encore quelqu’un avec vous. — Non, dit-il, je vous jure, nous ne sommes qu’un. »

Le chevalier se confessa une fois d’aimer une femme et d’en jouir. Le confesseur, qui étoit un jésuite, dit qu’il ne lui donneroit point l’absolution, s’il ne promettoit de la quitter. « Je n’en ferai rien, » dit-il. Il s’obstina tant, que le Jésuite dit qu’il falloit donc aller devant le Saint-Sacrement demander à Dieu qu’il lui ôtât cette obstination ; et, comme ce bon Père conjuroit le bon Dieu, avec le plus grand zèle du monde, de déraciner cet amour du cœur du jeune prince, le chevalier s’enfuyant le tira par la robe : « Mon père, mon père, lui dit-il, n’y allez pas si chaudement ; j’ai peur que Dieu ne vous accorde ce que vous lui demandez. »

Le chevalier répondit pourtant fort bien à feu M. de Rohan, qui, parlant de livres devant la Reine, dit que pour M. le chevalier de Guise, il n’avoit pour tout livre que les Quatrains de Pibrac. « Il a raison, dit-il, madame, c’est qu’il sait bien que je suis juste et droit et en toute saison[1].

Il étoit brave, beau, bien fait, et d’une bonne mine ; et quoiqu’il eût l’esprit fort court, sa maison, son air agréable, sa valeur et sa bonté (car il étoit bienfaisant) le faisoient aimer de tout le monde.

Véritablement il tua un peu en prince, et à la manière de son frère aîné[2], le baron de Lux[3] le père ; car il ne lui donna pas le temps de descendre de son carrosse, et ce bon homme avoit encore un pied dans la portière. Il disoit que le baron s’étoit vanté d’avoir su le dessein qu’avoit le Roi de faire tuer M. de Guise à Blois[4]. La Reine-mère en fut terriblement irritée, et ne vouloit voir pas un de sa race. Le baron étoit bien avec le maréchal d’Ancre, et de plus il sembloit que messieurs de Guise voulussent faire entendre aux gens qu’il n’étoit pas permis d’être participant d’aucun dessein contre la grandeur de leur maison. Enfin cela s’apaisa. Pour le fils du baron de Lux, il le tua de galant homme.

Il se mit étourdiment sur un canon qu’on éprouvoit ; le canon creva et le tua.

  1. Il y a dans les Quatrains :

    Sois juste et droit et en toute saison ;
    De l’innocence prends en main la raison.

  2. M. de Guise ne donna pas loisir à Saint-Paul de mettre l’épée à la main. (T.) C’est ce qu’on appelle un assassinat.
  3. Edme de Malain, baron de Lux, lieutenant du Roi en Bourgogne.
  4. Ce n’étoit qu’un prétexte ; on vouloit se défaire à tout prix du baron de Lux. On lit de très-curieux détails sur cette affaire dans les Mémoires de Fontenay-Mareuil, tom. 50, pag. 199 de la première série de la Collection des Mémoires relatifs à l’histoire de France.