Les Jeux de la Cour

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Les Jeux de la Cour.
MDCXX. In-8.

Cessez de plus jouer à la rejouissance :
C’est un jeu sans plaisir et quy n’est pas heureux ;
Le reversis n’est bon que pour les amoureux,
Et la prime pour ceux quy sont pleins de finance1.
Le piquet à l’abort m’offence quand j’y pense ;
Au quatorze de may, quy fut si malheureux2,
Formant par un grand flux un point de consequence,
Quy depuis a ruyné et gasté nostre France.

J’ayme les quatre jeux modernes de la cour :
Nous y voyons un roy de mains en mains quy court,
La dame et le valet quy suivent en sequence,
Les deux roynes au pair, une seule à l’escart3.
Les princes joueront à tirer le bon bout.
Il n’y a apparence de demeurer en cour :
Car ils sont mal contens4, et ils ont bien raison,
Du fredon5 de trois ases6 qui pillent et raflent tout.

Au Roy.

On dit que les crapauds armèrent autres foys,
Avant les fleurs de lys, l’ecusson de nos roys7,
Mais qu’en les retournant, un de nos vieux Alcides
Changea par ces beaux lys ces vilains animaux.
Ha ! sire, je crains bien que par ces parricides
Vous perdiez ces beaux lys pour garder trois crapaux !

Autre.

Le fils de Cresus, muet du ventre de sa mère,
Voit l’espée sur son père et recouvre la voix :
« Cruel, ne le tuez, luy quy m’a donné l’estre ! »
—-—-Sire, aujourd’huy faites paroistre
—-—-En mesme peril vostre voix.

À M. le prince de Condé.

Prince, vous avez eu beaucoup moins de ruines,
Endurant doucement vostre captivité8,
Qu’à faire le magot, estant en liberté,
D’Arnoux9, de Cadenet, de Brante et de Luynes.

Responce.

Pensez-vous, si j’estois vraiment prince du sang,
Que je voulusse tant m’eslongner de mon rang
Que d’aimer ces caphars et ceux dont le bas aage
Se passa soubs l’habit de vallet et de page10 ?
L’on m’a trop faict savoir que là où la faveur
Se rencontre, il luy faut faire un temple d’honneur.
Ce coyon11, quy estoit porté de sa maistresse,
Me feit bien eslancer dans une forteresse.
Il se vantoit encor de me faire juger,
Non pas prince bastard, mais fils d’un muletier,
Mes mœurs en faisant foy et mon infame vice ;
Et je serais encor près d’un tel precipice
Si je n’allois tout doux faisant le grenouillet
Aux Pères12, à Luynes, à Brante, à Cadenet.

À la France.

France, je plains bien vostre sort !
Car on cognoist vostre impuissance :
Un coyon vous mit en balance ;
Trois coquins vous mettent à mort.

Quatrain.

Autant il y a difference
À surprendre des oysillons13
Et de dresser des bataillons
Diffèrent ces deux pairs de France.

Le Favory.

Une personne s’en estonne :
Le roy m’a voulu faire grand
Pour monstrer que mon père-grand
Portoit sur son chef la couronne14.

Luy-mesme.

Le duc est un oyseau, moy duc par les oiseaux ;
Le duc est un oiseau servant à la pipée,
Moy duc pipant du roy l’ame preoccupée.
Le duc oyseau de nuict, et moy duc aux flambeaux.
Je suis duc non oyseau ; la fortune est muable :
Fussé-je nay d’un veau, je serois connestable.



1. Les gens de finance, en effet, primoient tout alors.

2. Henri IV avoit été assassiné le 14 mai 1610.

3. La reine-mère, Marie de Médicis, avoit quitté la cour depuis 1617. — Le jeu de l’ecart, c’est l’ecarté.

4. C’est le nom qu’on donnoit à ceux qui tenoient pour le parti des princes. V. notre tome 3, p. 353, note 2.

5. Le fredon, au jeu de cartes, consistoit à avoir trois ou quatre cartes semblables, rois, dames, valets ou as.

6. On joue ici sur le vieux mot ase, qui signifie âne. Ces trois ases étoient Luynes et ses deux frères.

7. Pharamond, qui avoit ses campements ordinaires dans les marais de la Zélande, du Brabant, etc., portoit pour cela, disoit-on, trois crapauds sur son écusson. C’est une erreur qu’il est inutile de réfuter. Elle eut cours très long-temps et fut cause, selon Favin, que chez les Flamands on donna longtemps aux François le surnom injurieux de crapauds franchots. (Favin, Histoire de Navarre, liv. 7, p. 399.)

8. La reine, sur le conseil du maréchal d’Ancre, avoit fait mettre le prince de Condé a la Bastille le 1er septembre 1616.

9. Le père Arnoux étoit confesseur du roi. V. notre tome 3, p. 266.

10. Luynes fut d’abord page de la chambre du roi sous M. de Bellegarde. (Tallemant, historiette du connétable de Luynes, édit. in-12, t. 2, p. 39.)

11. Le maréchal d’Ancre, qui passoit pour être l’amant de la reine-mère. Nous donnerons dans les prochains volumes plus d’une pièce où cette injure toute italienne de coyon, qui étoit devenue le surnom de Concini, se trouvera surabondamment expliquée. V. plus loin le Songe.

12. Les PP. Arnoux et Seguirand, confesseurs du roi. V. plus haut.

13. « Il (Luynes) aimoit fort les oiseaux et s’y entendoit. Il s’attachoit fort au roi, et commença à lui plaire en dressant des pies-grièches. » (Tallemant, loc. cit.)

14. Le grand-père de Luynes, en sa qualité de chanoine, portoit en effet la couronne, c’est-à-dire la tonsure, sur le sommet de la tête. V., sur lui et sur sa concubine, Tallemant, loc. cit.