Les Pamphlets de Marat/Marat, l’ami du peuple, à Louis-Philippe-Joseph d’Orléans, prince français

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MARAT, L’AMI DU PEUPLE, À LOUIS-PHILIPPE-JOSEPH D’ORLÉANS, PRINCE FRANÇAIS

(2 septembre 1792)

Peu après la prise de la Bastille, ayant à combattre la municipalité parisienne, qui s’élevait contre la hardiesse de ma censure, je lui déclarai que j’étais l’œil du peuple, et que je croyais ma plume plus nécessaire à la liberté qu’une armée de cent mille hommes. Les sommes immenses que les fripons au timon des affaires ont dilapidées pour empêcher la circulation de mes écrits et en détruire l’influence, n’ont que trop justifié cette opinion.

Trois ouvrages jugés de la plus grande utilité dans les conjonctures actuelles, tant pour préparer les travaux de la Convention nationale que pour former l’esprit public, et souffler dans tous les cœurs le feu sacré de la liberté, en éclairant la nation sur ses droits, sur les artifices employés par ses infidèles mandataires, pour la remettre sous le joug, sur les moyens de faire cesser les désordres de l’anarchie, d’arrêter le cours des machinations, et d’établir enfin le règne de la justice, n’attendent pour paraître que les fonds nécessaires à leur impression ; car j’ai déjà obtenu ou plutôt conquis une imprimerie nationale[1]. Ils auraient dû m’être accordés sur les 100 mille livres mises à la disposition du ministre de l’intérieur, pour les écrivains qui travaillent à l’instruction publique.

Je m’étais flatté que le sieur Roland, si empressé de favoriser les illuminés et les endormeurs[2], barbouilleurs de papier, dévoués à ses ordres, saisirait avec empressement l’occasion que je lui fournissais de s’honorer aux yeux de la nation, par un emploi judicieux et vraiment civique d’une partie de cette somme, surtout après s’être compromis en montant une imprimerie aristocratique, car il passe pour certain qu’il a fourni sept presses aux frères Regnier, imprimeurs du Cercle Social.

Qu’a fait le bonhomme ? Il n’a pas repoussé directement ma demande ; mais il a mis en avant mille prétextes ministériels. Pressé par Fréron de concourir à la publication de mes écrits patriotiques, il parut céder un moment ; et la femme Roland, qui mène les affaires, sous son directeur Lanthenas, convint avec Fréron de couper court à toute difficulté, en faisant appuyer ma demande par ma section pour l’absolution de son mari auprès de ses confrères brissotins. Le 28 du mois dernier, l’assemblée générale de la section de Marseille prit à cet égard l’arrêté de nommer six commissaires pour porter son vœu au ministre de l’intérieur, arrêté aussi honorable pour l’Ami du Peuple que pressant pour l’automate ministériel. Fréron étant absent, Danton le remit à Roland, en renouvelant ses instances ; Roland le porta au conseil exécutif, qui décida, pour couvrir sa malveillance, de renvoyer à l’examen de la section mes manuscrits, qui étaient entre les mains du ministre de l’intérieur ; c’était me renvoyer aux calendes de Mars, ou plutôt au jugement dernier, vu la grandeur de ces ouvrages et la multiplicité des affaires dont ma section est accablée.

Comme je n’aime point perdre le temps à valeter, je romps ici avec Roland pour m’adresser à vous, Louis-Philippe d’Orléans, vous que le ciel a comblé des dons de la fortune, vous à qui la nature donna en partage l’âme d’un simple citoyen, vous à qui la sagesse doit donner le cœur d’un franc patriote ; car, comment se le dissimuler, dans l’état actuel des choses, vous ne pouvez plus faire votre salut qu’avec les Sans-Culottes ?

Vous en êtes l’émule, soyez-en le bienfaiteur ; au nom de la patrie, concourez aujourd’hui à la propagation des lumières nécessaires au salut public, en fournissant à l’Ami du Peuple les moyens de mettre ses ouvrages au jour sans délai. La modique somme de 15 000 livres suffira à l’achat du papier et à la paie de la main-d’œuvre ; qu’elle soit confiée au comité de surveillance de la section de Marseille, qui la délivrera à mesure, en justifiant de l’emploi. Si vous le trouvez bon, un nombre d’exemplaires équivalent à cette somme, et portés au prix coûtant, sera distribué gratis, et en votre nom, aux citoyens de tous les départements hors d’état d’en faire l’acquisition, ou bien la somme vous sera remboursée sur le produit de la vente ; l’Ami du Peuple ne demande ces secours qu’à titre d’avances, et il se flatte de les obtenir de votre civisme. Dénués d’argent pour le service de leur maître, les généraux espagnols trouvaient des sommes considérables sur leurs moustaches ; pour toute sûreté, l’Ami du Peuple vous engage sa réputation civique. Sera-t-il refusé de vous ?

Avis au corps électoral

En faisant la liste des candidats que j’ai proposés, j’ai éprouvé non l’embarras des richesses, mais la détresse de la misère. Après avoir désigné treize patriotes bien prononcés, qui ne s’étaient jamais démentis, j’ai été aux informations et j’ai indiqué, sur la garantie de plusieurs citoyens sûrs, quelques candidats que j’ai vus dès lors à l’œuvre et quelques autres auxquels doivent être préférés des hommes plus instruits et plus énergiques, dont les noms me sont revenus. Je viens d’apprendre que le sieur Tallien a toujours été l’âme damnée de Rœderer, qu’il s’est opposé, dans le temps, avec fureur, à la fête de Château-Vieux, qu’il a combattu avec opiniâtreté la proposition, faite au corps électoral, de manifester son vœu pour la proscription des trophées élevés à la mémoire de l’indigne maire d’Étampes[3] et déposés au Panthéon. Si mon jugement est de quelque poids auprès des amis de la liberté, je dirai que depuis quatre jours que j’examine sa conduite dans les assemblées du corps électoral, je n’en ai été guère moins scandalisé que de celle de Dugazon ; leur manière de se produire, quelques motifs qu’ils lui donnent, ne passera jamais que pour le manège d’intrigants cupides qui cherchent des places et qui sont au désespoir de les voir échapper.

Je rétracte pareillement mon suffrage à Vitet, à Coffinhal et à Margueré.

Je recommande donc à mes frères les électeurs :

Panis, l’un des sauveurs de la patrie la nuit du 9, lequel a rallié les fédérés aux patriotes des faubourgs, fait distribuer 5 000 cartouches aux Marseillais, contre les réclamations de son collègue Sergent, qui s’est montré ensuite assez chaud patriote depuis le 10.

L’abbé Verteuil, qui a servi la patrie de sa plume et de son bras, qui n’a jamais dévié un moment, et qui ne marche pas moins le premier à la tête d’un canon, qu’il ne démasque les traîtres dans ses écrits.

Fréron, l’Orateur du Peuple, digne collègue de l’Ami du Peuple, ayant partagé partie de ses dangers et, comme lui, frappé plusieurs fois d’anathème.

Le père Rafron Dutrouillet, qui conserve en dépit des ans, la ferveur du civisme et la vigueur de la raison.

Laignelot ; J.-Pierre Duplain ; Paris, le greffier ; Lhuillier, de la section Mauconseil ; Fauchet, homme de lettres ; Boucher de Saint-Sauveur ; Fourcroy, médecin ; Vachard, électeur ; Deforgues ; Guermeur ; David, peintre.

Citoyens ! Pétion va donner sa démission ; l’homme le plus digne de le remplacer dans un emploi aussi important à la sûreté publique, et dont les fonctions épineuses n’exigent pas moins d’énergie que de talents, est Panis l’administrateur. Son civisme s’est conservé pur à travers tous les orages de la révolution. Citoyens, votre triomphe dépend du choix que vous ferez ; car vous êtes encore environnés d’ennemis redoutables, qui n’attendent que l’élection de quelque patriote faible et suspect pour se relever et vous écraser[4]


  1. Après le 10 août, Marat avait obtenu du Comité de surveillance de la Commune de Paris l’autorisation de faire enlever, pour l’impression de son journal, quatre presses de l’imprimerie nationale du Louvre. En ventôse an III, un décret de la Convention en ordonna la restitution. Cf. sur cette affaire Marat, voleur de presses, dans Épisodes et curiosités révolutionnaires, par Louis Combes, pp. 211-213.
  2. Les Lanthenas, les Girey-Dupré, les Louvet et autres écrivailleurs brissotins. (Note de Marat)
  3. Il s’agit de Simoneau, maire d’Étampes, massacré dans une émeute populaire le 3 mars 1792. Un décret du 18 mars ordonna l’érection, à Étampes, d’un monument à la mémoire de Simoneau.
  4. De l’imprimerie de Marat.