Les Princesses d’Amour/IX

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Société d’éditions littéraires et artistiques (p. 135-191).

IX

LA PRINCESSE INCONNUE


— Un soir, — il y a déjà plus de vingt ans et aucune de nous n’était hors de l’enfance, alors — un norimono élégant, mais sans insignes, entra dans l’enceinte du Yosi-Wara, porté par deux hommes, qui dissimulaient leur visage, sous la coiffure de ronine[1] et qui s’éloignèrent, en emportant le véhicule, dès que celle qui l’occupait en fut descendue.

C’était une jeune femme, très grave et très belle ; du type aristocratique le plus pur.

Elle fit venir la gouvernante d’une des principales maisons vertes, et, de l’air hautain, avec le parler nonchalant et dédaigneux, d’une vraie princesse, elle déclara vouloir être enrôlée, dans la phalange des princesses fictives. C’était un ordre plutôt qu’une prière : la gouvernante était tentée de se prosterner, ses genoux ployaient d’eux-mêmes, d’autant plus que l’inconnue ne demandait aucun paiement contre son engagement, offrait au contraire une somme importante pour ses frais d’installation. Elle faisait ses conditions, par exemple : Admise d’emblée au grade de grande oïran, elle ne recevrait que des hommes originaires de la principauté d’Hikone, et ne les recevrait qu’une fois. La gouvernante, extasiée, consentit à tout. Et, pendant plusieurs années, longues et lourdes, sans doute, l’inconnue vécut au Yosi-Wara, sous le nom de Glaive-Noir, qu’elle s’était choisi.

Mystérieuse et triste, hors de son service, elle ne parlait à personne, et, à cause de cela peut-être on ne parlait que d’elle. Combien s’abaissèrent au mensonge et jurèrent être nés à Hikone, pour être admis auprès d’elle ! Tous se taisaient, après l’unique entrevue, avec un inconsolable regret.

Un matin, les kamélos, en entrant chez Glaive-Noir, trouvèrent l’amant d’une nuit, égorgé, en travers du lit.

Elles s’enfuirent, en hurlant, et, bientôt, toute la Cité-d’Amour fut révolutionnée. La police fit fermer les portes du Yosi-Wara, espérant que la meurtrière ne s’était pas encore échappée. Mais on la découvrit, presque aussitôt, sous un bosquet de son jardin, la face contre terre, un poignard, armorié, planté jusqu’à la garde dans le cœur. On eût dit qu’elle l’avait enfoncé là, avec une frénésie joyeuse, comme on enfonce dans une serrure la clef qui vous délivre. Un rire de triomphe étirait ses lèvres mortes, qu’on n’avait vu jamais, vivantes, sourire.

Les armoiries du poignard étaient celles d’une famille complètement éteinte. L’homme égorgé fut reconnu pour un dignitaire de la cour, et aussitôt le silence se fit, les voiles retombèrent, on défendit d’interroger et de parler. Glaive-Noir, et sa victime, furent emportés hors du Yosi-Wara, et l’on n’a jamais rien su.

Jeune-Saule se tut, et versa du thé dans sa tasse.

Toutes les oïrans, modulèrent un, ah ! de désappointement.

— Nous connaissions, à peu près, ce que vous venez de nous redire, déclara Ko-Mourasaki. Ne savez-vous donc rien de plus ?

La tache d’or, qui décorait la lèvre inférieure de Jeune-Saule, frémit légèrement dans une ébauche de sourire. À petits coups, elle but son thé, reposa la tasse, et reprit.

— Peu après mes premières amours, au Yosi-Wara, un vieux seigneur, s’éprit de ma personne, au delà de mes mérites. Mais, il ne me plaisait guère, et, malgré les propositions avantageuses qu’il me faisait, je ne me décidai pas à l’accueillir. J’appris, un jour, qu’il avait été chef de justice et que c’était lui qui était venu faire les constatations officielles, lors du meurtre et du suicide, qui nous préoccupaient toujours. Mon indifférence pour lui cessa subitement, et, à la condition qu’il me parlât de cet événement, je voulus bien causer avec lui.

Je le fis souffrir : déchiré, entre son amour et son devoir, l’un voulant le faire parler, l’autre ordonnant le silence, il était vraiment à plaindre. Bref, je l’affolai si bien, qu’il m’avoua avoir en sa possession, le manuscrit trouvé sur le cadavre de Glaive-Noir, et dans lequel elle avait elle-même relaté, jour à jour, une partie de sa vie. Lire ce manuscrit ce fut, dès lors, le prix de mes faveurs et je n’en voulus aucun autre.

— Vous l’avez lu ? s’écria Petit Papillon tout émerveillée.

— Le brave juge résista longtemps. Un soir enfin il apporta le précieux rouleau, et me le laissa lire, quand nous fûmes seuls, après que je lui eus juré de ne jamais le trahir. Pour dormir il plaça le rouleau sous le matelas du lit. Au milieu de la nuit, je parvins à le tirer de là sans éveiller le dormeur, et, à la faible lueur d’une lanterne, je le copiai, d’un bout à l’autre…

— Vous l’avez copié ?…

Cette exclamation s’échappa de toutes les lèvres, et même l’Oiseau-Fleur se pencha en avant, la bouche entr’ouverte, distraite un moment de son rêve.

Jeune-Saule porta la main à sa coiffure, ce qui fit tomber jusqu’à l’épaule sa lourde manche et mit à nu son bras, blanc comme du papier. Elle ôta, de l’ornementation compliquée de ses cheveux, un étui en laque d’or, presque entièrement dissimulé sous les ailes du chignon. L’étui ouvert, elle en tira un rouleau de soie fine et le tint au bout de ses doigts.

— Le juge est mort durant la dernière lune, dit-elle, il n’y a plus de témoin du serment. Et, d’une saccade, elle fit le manuscrit déroulé, courir comme une coulée de lait, sur les nattes.

— Votre silence est éloquent, ajouta-t-elle, je n’ai pas besoin de vous dire : écoutez.

Elle lut.

Château de Fusimi, la 1re année de Gengi, au 6e mois[2].

« Après deux cents ans d’une paix heureuse, la guerre civile éclate, hélas !…

« Ô ! brutale douleur ! Nouvelle funeste !… C’en est fait du charme de la vie. Un buffle furieux a brisé la barrière de l’enclos et piétine les fleurs ravissantes. Hélas ! hélas ! les sentiments les plus subtils, vont être pétris avec la boue et le sang !

« Dans l’alcôve désertée, les cordes de la lyre, avec un tintement lugubre, se brisent d’elles-mêmes !

« L’angoisse serre ma gorge ; pourtant mes larmes ne peuvent pas couler : l’ouragan déchaîné ne laisse pas tomber la pluie !



« Comment durcir nos cœurs ? comment retrouver l’énergie et la force, après ces longues années de voluptueuse mollesse ? Les sabres, aux gardes embellies d’oiseaux d’or et de fleurs d’argent, ne sont plus que des parures, dans les ceintures de soie.

« Les princes, passaient leur vie en contemplation de la nature. Nonchalamment accoudés au rebord des terrasses ; ils chantaient, rêvaient ; écrivaient sur du satin, des vers. Épris de toutes beautés, savourant les sensations nobles et les mille nuances de l’amour.

« Les corps suaves, imbibés de parfums, comme ils vont être meurtris par la lourde et rude cuirasse ! Comment les mains délicates, emprisonnées dans le dur gantelet de corne, pourront-elles saisir la lance et l’épieu pesant ?



« Ô fils des héros ! Vous voilà debout ; fiers et indignés ; méconnaissables, sous l’habit de guerre ! Le cœur cuirassé aussi, car voilà que vous brisez l’interminable adieu de désespoir !…

« Il n’y a plus que le bruit des pas qui s’éloignent… des pas sans retour… hélas !…

« La face contre terre, je mords mes cheveux, pour étouffer mes sanglots.



« La honte et l’orgueil me relèvent, pourtant. Vais-je donc crier, sous la douleur, comme une simple femme des rizières, moi princesse, de l’illustre clan de Nagato, fille d’honneur de notre suzeraine ?…

« Ah ! c’est que l’amour venait d’éclore dans mon cœur… et… sans l’excuser, l’amour seul explique la lâcheté.

« Que se passe-t-il ? d’où vient le coup, qui anéantit le peu que je suis ? Je l’ai reçu, sans le comprendre. Maintenant il faut savoir, et suivre, de l’âme, ceux qui combattent.

«  Honneur au Mikado ! hors les étrangers !  » tel est le cri de bataille.

« Les barbares de l’ouest, souillent de leur présence le sol sacré du Japon. Leurs navires jettent l’ancre dans nos ports ; les vils marchands, de ces nations inconnues, viennent faire leurs trafics. Mais ce n’est là qu’un prétexte, ils convoitent notre beau pays, et emploient toutes sortes de ruses, pour nous abuser.

« Le Shogun a eu la faiblesse de céder à ces barbares, de leur permettre ce qui est défendu, d’échanger avec eux des promesses écrites.

« L’orgueil du pouvoir l’a égaré.

« Après tant d’aïeux puissants, le Shogun ne se souvient pas, qu’il ne règne qu’au nom du divin Mikado, et qu’il n’est qu’un esclave ? Il a osé signer des conventions avec les étrangers, sans l’agrément du fils des Dieux, à cause de cela la dynastie des Tokougava sera détruite.

« Le souffle exhalé ne revient jamais aux lèvres de l’homme. Les ordres du Mikado ne peuvent être rapportés. Ne pas y obéir, est un crime dont on n’a jamais eu l’idée. Et voici que ce crime est près d’être commis.

« Que les étrangers soient rejetés hors de notre empire, ainsi que la poussière est chassée par le balai. »

Tel est l’ordre méprisant de l’empereur céleste. Mais le Shogun l’élude, retarde le moment d’obéir, sous prétexte qu’il y a des traités, et que ces barbares ont, dans leurs navires, de terribles engins de destruction.

« Quelle honte ! Trembler devant les étrangers ! Craindre de les irriter, quand on ose mécontenter le Mikado, et tous ses aïeux divins !



« Notre Suzerain Matsudaira Daïzen-no-Daïbou, prince de Nagato, n’a pas pu endurer cette humiliation, et c’est à notre clan, que revient l’honneur d’avoir attaqué le premier.

« Des châteaux forts de Nakatsu et de Nokura, qui défendent le détroit de Simonosaki, les batteries ont tiré, sur des navires étrangers, qui franchissaient la passe.

« Et, à cause de cela, on blâme notre prince. Le Shogun, suivi de sa cour est allé, de Yédo, à Kioto se prosterner devant le voile du trône céleste. Par des insinuations perfides il veut persuader au Mikado, qu’il faut user de ménagements, avec les barbares :

« Il est parvenu à convaincre l’In-no-Mya (Ier ministre) et notre illustre seigneur doit s’excuser. Son fils, le charmant Nagato-no-Kami, se rend à Kioto.



« Oh ! qu’elles sont lourdes au cœur les journées de solitude, d’angoisse et d’attente ! Elles semblent interminables et pourtant, comme toutes se ressemblent, les mois passent, sans laisser d’autre souvenir que celui d’une monotone souffrance.

« Dans ce grand château de Fusimi, sauf la garnison, qui veille aux murailles, il n’y a plus que les femmes. Notre princesse réside au château d’Hagi, et l’ordre ne nous est pas parvenu de la rejoindre.

« Aucun service ne nous appelle plus. Les robes de cour, comme de belles mortes au cercueil, sont couchées dans les coffres parfumés. Qui donc les réveillera ? Quand donc, la houle bruissante des satins et des brocarts, ondulera-t-elle encore, sur la blancheur neigeuse des nattes fines ?

« Hélas ! il semble bien que tout est fini. La perspective des salles, par les châssis entr’ouverts, reste toujours vide. Seul, le messager que guette l’anxiété, parfois, apparaît au loin sur la lumière des jardins, s’avance et se prosterne, apportant de confuses nouvelles.

« Oh douleur ! il n’est plus le temps, où nous savourions chaque heure comme un fruit mûr ; ou quelque fête de l’esprit, était le cœur de chaque jour. Alors, aucune grâce de nos manières, aucune inflexion de notre beauté, n’était sans la récompense d’un regard ou d’un sourire. Ceux que nous courtisions nous accueillaient avec une bienveillance émue. Quand nous nous prosternions, pour l’hommage, nous nous épanouissions à leurs pieds, comme les fleurs des parterres : l’ardeur de leurs yeux était des rayons de soleil. Ils proclamaient la femme être l’accoudoir de leur âme, la parure de leur pensée…

« Maintenant la femme n’est plus rien : sa beauté inutile est une floraison ignorée du printemps.



« Les nouvelles deviennent terribles ; l’empire se déchire en lambeaux. Le clan de Nagato, désapprouvé pour avoir obéi, se révolte. Les samouraïs de notre prince, ont jeté le casque et pris la coiffure masque de ronine. Ils parcourent les routes et combattent en soldats libres, pour venger l’honneur de leur daïmio méconnu.

« Mort aux étrangers ! est plus que jamais leur cri de combat. Ils égorgent ces intrus, quand ils les rencontrent, ayant l’audace de braver notre haine, en foulant le sol du Japon.

« Mais le Shogun les soutient toujours ; veut des représailles pour les meurtres, et cherche à convaincre le Mikado, qu’il faut ménager ces importuns.

« Qu’ils soient dispersés comme la poussière avec le balai ».

« Les grands daïmios de l’empire se groupent autour du Fils des Dieux ; d’autres soutiennent le Shogun, et la confusion est affreuse.

« Oh ! les jours d’autrefois ! la fête des chrysanthèmes de l’an dernier, où, pour la première fois, entre des touffes d’or et de pourpre, celui qui a cueilli mon cœur, m’apparut, hautain et charmant !

« C’est l’anniversaire aujourd’hui, et je cache mon visage, sous ma manche trempée de larmes…



« Les Dieux ne vont-ils pas descendre sur la terre, pour nous châtier ?… Je ne puis croire le message effrayant qui vient d’arriver : Nagato veut marcher sur la capitale sacrée, attaquer les mauvais conseillers du Mikado, et reconquérir les bonnes grâces du maître. L’offense qu’il a subie explique cette folle audace ; mais un tel sacrilège, va le perdre à jamais. Le feu et l’acier, la menace et la violence, autour des palais qui, depuis vingt siècles, sont le vestibule du ciel ! le pieux silence, déchiré par les clameurs et les cliquetis d’armes ! Le Fils des Dieux, attaqué par un homme !

« Malheureuse ! ne vais-je pas, moi aussi, blâmer notre prince ? Non, non, mon souffle est à lui, et le sacrilège serait, de ne pas être, même criminelle, avec lui.

« Ici, au château de Fusimi, nous sommes tout près de Kioto, au cœur même de la guerre.



« C’était vrai, l’attaque est décidée. Nos troupes sont précipitamment rentrées au château.

« Tous les grands chefs sont ici ; et c’est un tumulte extraordinaire, après l’anxieux silence de notre solitude.

« Est-il là, lui ? osera-t-il tenter de me voir ? Garde-t-il, sous la dure cuirasse, la fleur fragile d’amour ? Voudra-t-il en aspirer un fugitif arôme ?

« Dans ma demeure, sous les grands cèdres, je guette sans relâche, à l’angle de la balustrade !



« Il est venu !… Invisible, à travers le bois de bambous. Il m’est apparu, à la faible lueur de la lune décroissante.

« À ma vue, son beau visage sévère s’est adouci… J’ai tendu les bras. Je me suis penchée, par dessus la balustrade, tandis que, s’aidant des branches et des poutres, il se soulevait jusqu’à moi.

« Ah ! quel long baiser éperdu et avide !… Nous y avons bu, d’un seul coup, toutes les délices de l’amour.

« — Ma mort sera embaumée de toi ! a-t-il dit.

« Et il s’est enfui !…

« — Pour jamais ! pour jamais !

« Sur mon cœur, à grands coups, comme sur une cloche, heurtent ces mots.

« — Pour jamais ! pour jamais !



En pleine nuit, c’est le départ des combattants. Un bruissement, pareil à celui de la mer, emplit les jardins ; par instants, des appels de trompette éclatent, et, de tous côtés, des lueurs rouges jouent l’incendie.

« Je ne puis y tenir ! Cachant ma tête dans l’enroulement d’un voile sombre, par des chemins détournés, je cours aux remparts et j’en gravis la pente. Beaucoup de mes compagnes ont fait comme moi, et nous nous serrons, en un groupe tremblant. Oh ! l’extraordinaire spectacle ! à la clarté confuse des torches résineuses et des lanternes blasonnées. Depuis deux cents ans, que régnait la paix, tout ce harnachement de guerre restait invisible ; nous ne le connaissions que par les peintures. Les voici donc, ces cuirasses pesantes ; ces casques étranges, aux masques de bronzes, hérissés de poils, avec le rictus sur leurs dents d’argent ! ces fouets aux lanières d’or, ces lances aux lames luisantes, de formes si diverses, ces orgueilleuses bannières qui soufflètent le vent.

« Oh ! quel tableau superbe et terrible ! dans l’angoisse de la nuit !

« Comme un fleuve noir sous l’arche d’un pont, l’armée coule sous la voûte du portail. Les soldats marchent d’un pas vif, qui sonne en imitant la grêle ; les fossés franchis, ils s’alignent en carrés d’ombre, et restent immobiles, la lance au poing, ou la main appuyée sur la bouche de l’arme nouvelle, le fusil venu de l’occident. Des lueurs, comme des serpents rouges, montent le long des armes.

« Mais voici que le flot tarit, un instant, sous la voûte de la grande porte, qui reste vide, et aussitôt émergent de l’ombre, s’avancent, au pas de leurs chevaux, les trop grands chefs.

« D’abord, Masuda, qui commande la réserve, il est précédé des deux étendards sacrés. Sur l’un d’eux est brodée l’image du divin guerrier, Kantoni Daï-Miojin, venu du ciel pour soumettre le Japon ; sur l’autre, le portrait de Kora Daï-Miozin, ministre de l’impératrice Zin-Sou qui conquit la Corée, il y a seize siècles.

« Puis, vient, Echigo, gouverneur du palais où nous sommes, et, enfin, paraît Kounishi, le chef suprême…

« Il prend la tête de l’armée, et passe, très éclairé par les porteurs de torches, juste au dessous de moi et son image se grave à jamais dans ma mémoire.

« Devant lui, on porte la bannière du clan de Nagato où l’on voit la ligne horizontale surmontant trois boules, qui signifient : le premier grade.

« Les pièces de son armure de corne noire, sont liées par des points de soie verte, et jouent sur le vêtement de dessous, en brocart de Yamato. Son manteau de guerre est en gaze blanche et des dragons, peints à l’encre de chine au revers de l’étoffe, transparaissent comme une fumée. Il tient à la main le fouet de commandant aux lanières dorées. Il n’est pas masqué, et l’expression intrépide et implacable de son visage, me glace d’effroi.

« Il passe, et derrière lui, avec un bruit d’orage, roulent deux canons, gardés par trente soldats, armés de piques. Et les noires cuirasses défilent, presque invisibles, reflétant çà et là, comme ferait de l’eau, les torches fumeuses.

« Fukubara Echigo prend la même route ; je le vois venir vers moi dans une clarté plus vive. Sous le casque de guerre en cuir bronzé, sa figure fière respire un héroïsme enthousiaste, qui émeut le cœur. Son manteau écarlate s’étale sur la croupe du cheval. J’aperçois sur l’épaule du prince son emblème brodé : le trèfle à trois feuilles. Des points pourpres attachent les pièces de l’armure.

« Déjà il est passé avec les bannières, ayant aussi derrière lui, des canons, et cinq cents cuirasses le suivent. Mais Lui, Lui ! je n’ai pas eu le douloureux bonheur de le voir. Sans doute il est auprès de Masuda, qui a pris une autre route.

« Et toute cette armée, qu’accompagnent de grandes ombres dansantes, pareilles à des spectres noirs, et des nuages de fumée rougie, s’enfonce dans la nuit, disparaît…

« Longtemps, longtemps, nous écoutons le grand bruit rythmé, qui s’éloigne.



« Qu’il est douloureux d’être femme, en de tels jours ! Notre souffrance, stagnante et vaine, est presque impossible à endurer.

« Nous nous sommes réunies, toutes, dans le palais central ; incapables de demeurer, seules, dans nos pavillons réservés.

« Ô ! le piétinement fiévreux, à travers les chambres vides, les mains crispées et froides, les brusques arrêts du cœur, à l’entrée d’un messager.

« D’heure en heure il doit nous en venir, pour nous empêcher de mourir d’angoisse. À peine le soleil se lève-t-il, et en voici un, déjà.

« Il s’est prosterné, et il me semble que ses larmes s’égrènent sur la natte blanche.

« Avec un tremblement nous attendons qu’il parle, sans oser l’interroger.

« — La Ville sainte est pleine de combattants, qui sont accourus pour défendre le Mikado outragé. Devant le danger, le Shogun s’est soumis ; tous ses samouraïs sont là, et les daïmios de la famille de Tokougava, commandent leurs troupes ! Stotsubachi, Echigen, Kouvana, Aidzu. Le prince de Satsuma, a envoyé des soldats, le prince de Chikouzen, garde lui-même une des portes du palais.

« Les adversaires les plus haineux, se côtoient et oublient leurs querelles ; ils font rempart de leurs corps au fils des Dieux.

« Le messager ne sait rien de plus, le petit nombre des assaillants devant cette formidable défense fait frémir. »

Pendant qu’il parle encore, le canon commence à gronder au loin.

« D’un élan irrésistible, nous quittons encore les salles, courant à travers les jardins ; et nous voici de nouveau sur le chemin de ronde, penchées entre les créneaux. Puisque nous entendons, il nous semble que nous pourrons voir aussi ; mais on voit seulement la campagne, à l’infini, qui fume toute rose, au soleil levant.

« Ô ce globe pourpre, sur la brume d’argent ! On dirait l’étendard du Japon, déployé, par les dieux mêmes, au-dessus de la ville sacrée !



« Dans la poussière soulevée, un cavalier, dont le cheval semble emporté… Il passe au-dessous de nous, franchit le pont sonore, et s’engouffre sous la voûte.

« Serrant mes robes autour de moi, je cours, entre les cèdres du terre-plein, pour savoir plus vite ; devançant mes compagnes, qui, leurs toilettes éparses, luttent contre le vent.

« Aux pieds du vieux gouverneur, le messager, la respiration sifflante, essaie de parler ; le cheval tremble sur ses pattes, s’affaisse.

— » Notre grand chef, Kounishi, d’un élan impétueux, est entré à Kioto, forçant la porte Nakada-Kiuri, gardée par le prince de Chikousen. Les soldats vainqueurs refoulent l’ennemi, jusqu’aux remparts du palais sacré ; ils attaquent la Porte des Seigneurs, que défendent, avec leurs meilleures troupes, les princes d’Aidzu de Kouvana. Mais ceux de notre clan triomphent encore malgré leur petit nombre ; sur les talons d’Aidzu et de Kouvana, qui s’enfuient, ils franchissent le saint portail et pénètrent dans les mystérieux jardins. »

« Est-ce donc possible ?… à cette heure même, le fracas des armes déchire brutalement le séculaire silence ! les flèches et les balles tranchent les douces fleurs, qui expirent leurs parfums ! la fumée souille la pureté de l’air, et la déesse Amatératzu, divine aïeule du Mikado, armée de sa lance rayonnante, ne descend pas du ciel, irritée et terrible !…



« Je ne peux plus quitter la poterne. On attend, là, les messagers. Plus vite on entend leur parole haletante.

« Nous sommes toutes groupées autour du gouverneur, dans le courant d’air de la voûte qui rafraîchit notre fièvre. Les filles d’honneur bavardent, nerveusement, exaltées par la victoire.

Le vieux gouverneur, lui, ne parle pas. Droit et raidi dans son anxiété, il darde son regard pâle vers la route.

Je me tais aussi. Par ma gorge serrée, ne pourrait passer aucune parole. Il me semble que mon cœur laisse fuir une cascade rouge.



« — Le prince de Satsuma s’est porté au secours d’Aidzu. Les vainqueurs de Nagato, un contre dix, ont été rejetés hors de la Porte des Seigneurs, et un effrayant combat a lieu, en ce moment même. »

« Le dernier venu, sanglote cette nouvelle.

« La victoire est effacée, déjà, par la défaite.

« Le messager dit encore, que le daïmio d’Issé, qui avait franchi l’Idogava avec ses partisans, a repassé la rivière et s’est éloigné, ne voulant pas combattre contre ceux de Nagato.

« Tandis qu’on l’écoute, un bruit de galop, sur la route, nous précipite au pont-levis.

« La lance au poing, un groupe d’écuyers s’approche. L’un d’eux porte, respectueusement, quelque chose, enveloppé dans une bannière ; du sang s’égoutte, à travers l’étoffe ; une traînée s’est caillée sur le poitrail et sur une patte du cheval, Ô ! l’héroïque et terrible épisode ! Nous sommes tous prosternés sur les dalles de la cour, pour accueillir dignement le précieux fardeau : la tête du chef Matabaï.

« Elle est là, dans la bannière, étendue sur le sol ; couleur de cire, les yeux clos, les sourcils froncés, et nos larmes coulent, en écoutant comment cette chère tête est glorieusement tombée.

« — Blessé à mort, Matabaï se voit abandonné par ses soldats qui reculent. »

« — Enlevez ma tête, au moins, et emportez-la, crie-t-il, ne m’infligez pas cette honte, de la laisser aux mains de l’ennemi ! »

« La mêlée est affreuse, on hésite.

« — Guerriers stupides et indignes, crie-t-il encore, vous serez déshonorés avec moi. »

« Son neveu l’a entendu, il bondit par dessus les morts et les vivants, frappant de son glaive, avec fureur : il atteint le blessé, tranche cette noble tête, et parvient à s’échapper.

« Un grand frisson me parcourt — d’enthousiasme ? ou d’horreur ? — je ne sais. Je revois le tout jeune homme, cette nuit même, courbé sur son cheval, levant ses yeux sombres sur le visage du chef Matabaï, qui lui parle rapidement. Je revois la main, crispée sur les rênes pour maintenir le cheval indocile, le luisant de l’étrier sous la lueur des torches, et l’opacité de la nuit, alentour. Cet enfant a dû faire cette chose affreuse, et pour cela, il est glorieux, à jamais !



« Des blessés, des mourants, en défilé lugubre, à présent ; en travers des chevaux, sur des branchages, on les apporte au château. Les salles s’emplissent, et, en un instant, les nattes blanches du sol deviennent des nattes rouges.

« Le cœur tordu de désespoir, nous essayons, en vain, de soulager. Nos frêles mains, ne peuvent arrêter tout ce sang ! Oh ! les effrayants visages de souffrance ! les pâleurs de damnés ! cependant, si on entend des râles, aucun de ces héros, ne laisse échapper un gémissement.

« Hélas ! hélas ! les nouvelles funestes, tombent sur nous, comme une grêle de pierre : Notre chef suprême, Kouniski, est vaincu, écrasé ; la déroute emporte ses soldats.

« Masuda assiège le palais de Takatsu-Kasa, défendu par le prince de Hikone ; la lutte est terrible en ce lieu ; il y a, entre les hommes de Nagato et ceux de Hikone, des duels si formidables, que les combattants s’arrêtent, pour les contempler.

« Echigo résiste encore aux samouraïs d’Ogaki ; il a pris deux canons à l’ennemi. Mais quelqu’un dit, l’avoir vu tomber de cheval, grièvement blessé, emporter dans une litière.

« Jo-hi ! Jo-hi ! (hors les étrangers) est-ce donc vraiment pour ces êtres méprisables, pour ces inconnus chassés comme des chiens, qu’ont lieu de pareils massacres, que tous les fils du Japon, comme pris de folie, s’entr’égorgent ?



« Oh ! Qu’est-ce donc !… Ces cris, ce tumulte ?… peut-être, dans mon sommeil fiévreux, un cauchemar, qui m’éveille ?…

« Non, non, c’est la réalité, plus affreuse encore ; l’armée, ce qui reste de l’armée, fuyant, poursuivie, qui rentre, en désordre, dans le château.

« Je vois de ma fenêtre, les soldats se répandre dans les jardins, traînant des morts, des blessés, qu’ils couchent sur les gazons…

Et Lui ! Lui !… Oh ! oh !…

. . . . . . . . . . . . . .



Pavillon des Perles Rouges.
Au Yosi-Wara !

. . . . . . . . . . . . . .

« C’est une morte, qui reprend le pinceau, après tant de jours, tombés sur elle, comme des coups de poignard dans une chair inerte.

« Je lui dois, à Lui, d’écrire encore pour que l’on sache la vérité, et si j’ai pu exécuter son ordre.

« L’Enfer ! je l’ai traversé, mais sans atteindre le néant : je suis dans un lieu pire que l’enfer, et c’est par ma seule volonté que j’y suis.

« D’un œil morne, je relis, sur le rouleau de soie, les caractères en désordre, que j’ai jetés là, d’heure en heure, pendant la terrible journée.

« Ils cessent au cri de douleur qui me déchira, quand je le vis, porté par deux ronines, les yeux clos, si pâle qu’on eût dit qu’un rayon de lune l’enveloppait.

« J’étais près de lui, presque aussitôt, sans savoir par où j’avais passé, échevelée, dans mes vêtements de nuit.

« On l’avait étendu sur un tertre, puis laissé, seul, évanoui ;… mort ?… non ! il ouvrit brusquement les yeux, comme éveillé par mes sanglots, des yeux où vivaient une flamme de colère effrayante. Il me vit, il me reconnut. Ses lèvres, déjà closes sur l’éternel silence, s’entr’ouvrirent, un souffle précipité souleva sa poitrine, il voulait parler.

Terrassant ma douleur, je mis mon oreille à sa bouche…

— Si tu m’aimes, venge ma mémoire. Un homme de Hikone, un lâche, m’a frappé par derrière, pendant que, blessé déjà, je luttais contre un loyal adversaire. Celui-ci, devant cette action, avec dédain, s’est détourné, et j’ai pu saisir l’infâme à la gorge, le voir en face. Les forces m’ont trahi. Venge-moi, et, après, viens me rejoindre, pour l’éternel amour !…

— L’homme ! l’homme ! son nom ? Déjà sa voix n’obéissait plus, ses lèvres s’agitaient en silence. Ô quelle angoisse ! Les yeux élargis, d’une fixité horrible !. Me voyait-il seulement ?… Il les ferma, puis les rouvrit et, dans un effort suprême, balbutia.

— Pas de nom !… Cuirasse arrachée… Sous la mamelle… un tatouage… trois fleurs de cerisiers…

— Trois fleurs de cerisiers ! avais-je bien entendu ?…

Ses yeux me dirent « oui » et, aussitôt l’haleine de la mort souffla sur eux sa buée, les ternit à jamais !…



L’écrasant fardeau de la vie, il fallait le porter, le sauver même, à grand’peine, car la mort tendait mille bras pour m’en délivrer.

L’horreur, autour de moi, me laissait aussi insensible que pouvait l’être la chimère de bronze, assise au pied des escaliers. L’assaut du château : Hikone, Satsuma, Aidzu, hurlant aux portes ; la défense désespérée des héros, — qu’on n’aurait pas vivants, — les râles, les agonies, tout cela tombait, sur la plénitude de ma douleur, comme l’eau dans un seau qui déborde.

L’idée fixe, ainsi qu’une épine dans mon front, s’enfonçait, cuisante, « trois fleurs de cerisier… un homme de Hikone ». Harcelée par ces mots, j’agissais machinalement, avec précision, m’habillant comme pour un voyage, réunissant les choses précieuses faciles à emporter.

Comment m’échapper ? comment me garder vivante ? De lourdes ondes de fumée commençaient à ramper, jusque dans les jardins. Les assiégés allumaient leur bûcher, se livraient aux flammes, pour échapper aux vainqueurs.

Le château était comme une tombe murée. Allais-je donc désobéir ?… On jeta une torche enflammée, sous les pilotis de mon pavillon, qui prit feu, craqua. Je descendis, à travers la fumée étouffante.

— Ne pas mourir !…

Je longeai le ruisseau, j’atteignis l’étang, et, détachant une barque, je la poussai vers le milieu. Le feu ne me prendrait pas là, les arbres environnants, pleuraient sur leurs brûlures, les éteignaient.

À travers les ruines fumantes ; les vainqueurs m’ont laissée passer, riant de moi, m’envoyant des compliments moqueurs. La bannière de Hikone flottait… Il était parmi ceux-là, sans doute, l’homme aux fleurs de cerisiers !… Oh ! pourquoi mes yeux ne voient-ils pas à travers les cuirasses ?… Comment écarter les tuniques, pour mettre à nu les poitrines ?…



La réponse me vint, brusquement, en traversant un village incendié.

« Les prostituées seules, peuvent voir les hommes nus… beaucoup d’hommes !… »



C’est pourquoi je suis ici, au Yosi-Wara. Araignée sinistre, guettant, du bord de sa toile, une proie, qui, peut-être, ne se prendra jamais au piège.



Des jours ! des mois, des années ! oh ! si lourds ! comment n’en suis-je pas écrasée ? Ma vie est, le plus souvent, un demi-sommeil. Les plantes, à l’ombre, doivent végéter de cette façon !



Ces présences odieuses, que je dois subir, ces étreintes, ce viol de mon corps, est-ce que j’en souffre ? Non, pas plus que le cadavre, de l’attouchement des vers.

C’est tellement pareil ici, aux châteaux princiers, on simule avec tant de soin le cérémonial, on observe si bien tous les usages, que, dans de fugitifs instants, je me crois encore là-bas, à la résidence d’Hagi, près de ma souveraine. L’illusion dure peu ; mais me laisse un confus désir de savoir ce qu’il est advenu d’elle et de l’illustre prince, notre Maître, après tant de catastrophes. Comment la guerre a-t-elle fini ? Quel bienfait a pu fleurir, de tant de sang répandu ?

On dirait que des siècles se sont écoulés, pendant ces trois années, si longues. Autour de moi, par moments, mes yeux distraits, sont surpris par d’incompréhensibles choses.

J’ai fait parler les êtres qui m’approchent, et c’est comme un chaos, dans mon esprit.

Le shogunat n’existe plus ! Il n’y a plus de princes souverains ! Le nouveau Mikado, qui a dix-sept ans, abandonnant Kioto, et tout le mystère divin qui entourait sa sainteté, proclame la capitale de l’empire : Yeddo, qui s’appelle désormais : Tokio. Après de grandes luttes encore, tout semble apaisé. Nagato, pardonné et rentré en faveur, est premier ministre… Alors, à jamais, les étrangers maudits sont chassés, hors du Japon, puisque ceux qui avaient, à cause d’eux, déchaîné cette guerre terrible, ont remporté une victoire complète. Eh bien, non, au contraire, ils viennent en foule à présent, on les appelle, on les traite en frères, on veut leur ressembler, on les imite, il n’y a plus qu’eux !… C’est comme s’ils avaient soufflé sur nous un vent de folie !…

Je ne croirais rien de ces sacrilèges histoires, si je ne voyais pas de si étranges symptômes autour de moi.

Mais que m’importe ? Nagato est rentré en grâce, c’est tout ce que j’ai retenu.



Ô mon bien-aimé. Je perds tout espoir et mon martyre est inutile. Jamais tu ne seras vengé, jamais tu ne m’accueilleras, par delà les nuages, pour l’éternel amour.

Ces trois fleurs de cerisiers ! N’est-ce pas là, une vision de ton agonie ? Jamais aucun tatouage ne m’est apparu, sur les poitrines, courbées vers moi, pour ma honte. Peut-être a-t-il été tué aussi, l’homme de Hikone ! Alors !… Oh ! Alors !…



Tu devrais m’apparaître en rêve, me consoler, me soutenir. Je suis exténuée, au milieu d’un désert sans limites, si seule, si perdue !…

Viens me dire, que tu rapportes ton ordre, que je peux te rejoindre ; ou bien, si tes mânes irrités veulent toujours la vengeance, inspire l’ennemi, pousse-le, traîne-le jusqu’ici.



Enfin ! Enfin ! l’œuvre est faite ! la vengeance accomplie ! Je suis libre !…

L’homme est là ; il gît, frappé dans le dos par le poignard, que je portais toujours, caché dans mes cheveux.

C’est bien lui. Cherchez sous sa mamelle, les trois fleurs de cerisiers. Elles vous diront que l’homme châtié était un lâche, qu’il a frappé, traîtreusement, un noble guerrier, combattant, en face, un guerrier loyal.

Il était devenu un personnage puissant, l’homme de Hikone, il occupait une haute charge, à la nouvelle cour, il était heureux. Tant mieux ! plus la vie lui était chère, plus j’ai eu de joie à la lui arracher. Il a su pourquoi il mourrait, je le lui ai crié, avec des insultes.

Ô mon bien-aimé, je sens ton souffle qui me caresse. Je viens ! je viens ! mais pas ici, que mon sang ne se mêle pas à ce sang vil. Dans le jardin, à l’air libre ; pour nous envoler plus vite !



Un long silence régna, quand Jeune Saule eut cessé de lire. Toutes les femmes, réfléchissaient profondément, sur ce qu’elles venaient d’entendre ; quelques-unes essuyaient des larmes.

Très rêveuse aussi, Jeune Saule roula lentement le manuscrit et le replaça dans son étui de laque.

Ce fut l’Oiseau-Fleur, qui la première releva le front.

— Après une aussi terrible histoire, dit-elle, on ne devrait plus rien conter. L’usage, veut, cependant, que la reine d’un jour, qui préside la réunion, parle après ses sujettes, en terminant le tournoi. Je veux donc me conformer à l’usage, en vous disant, brièvement, une histoire, différente des vôtres, car il n’y est pas question d’amour. Elle est un exemple frappant, à mon avis, de notre caractère ; et elle montre, combien l’éducation, si haute, que l’on nous donne, peut rendre, dans un corps impur, noble l’esprit, et généreux le cœur. Voici :



  1. C’est une sorte de cloche, entrant jusqu’au cou et à travers laquelle sont ménagés des jours. Cette coiffure masque était portée par les vassaux mutins des princes. On les appelait alors : Ronines, espèce de chevaliers errants, quelquefois brigands.
  2. Juillet 1864.