Les Propos d’Alain (1920)/Tome 2/026

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Editions de la Nouvelle Revue Française (2p. 39-40).
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XXVI

L’autre jour, vers midi, je m’arrêtai près du cadran solaire. Ce n’est pas une aiguille sur un mur ; c’est un cercle méridien dressé au milieu d’une pelouse, et coupé par un cercle équateur sur lequel les heures sont marquées. Au total c’est une sphère évidée qui me représente la terre orientée justement, par rapport au soleil, comme la terre que j’ai sous les pieds. Chaque fois que je considère cet appareil si simple, j’apprends par vue directe quelque vieille vérité que j’avais lue en vain dans les livres.

Ce jour-là le brouillard noyait tout ; la terre était imbibée comme le lit d’un fleuve ; le plein jour traînait comme un crépuscule, et le soleil, pareil à une lanterne de papier rouge, semblait près de son coucher, quoi qu’il fût midi. Avez-vous remarqué comme le soleil est bas à midi vers la fin de décembre ? Non peut-être. Ce sont des choses que tout le monde sait, et auxquelles personne ne pense. Pour un homme à moitié instruit, le soleil est un disque jaune, et la terre est un disque plus petit qui tourne tout autour en suivant une ellipse. Mais je ne pensais pas du tout à la première page d’un atlas de géographie ; j’en étais encore aux apparences.

J’interrogeai le cadran solaire. Je vis que le soleil était bien au-dessous de l’équateur, et justement dans la direction d’une pointe de fer sur laquelle on avait écrit : Tropique du Capricorne. Je pensai à ceux qui habitent ces régions-là ; je me dis qu’ils avaient ces jours-ci le soleil verticalement au-dessus de la tête et qu’il faisait très chaud chez eux. Je me dis aussi que le soleil allait maintenant nous revenir, et remonter un peu chaque jour. Le cadran solaire me montrait un autre point dans le ciel ; je pensai aux ombrages de l’été et à l’odeur des foins. Ces cercles de fer scellés dans la pierre figuraient le retour constant des saisons.

Subitement je compris ce que c’est que le premier janvier et les réceptions officielles. C’est ici, me dis-je, c’est ici même que le chef de l’État devrait annoncer l’année nouvelle. Il y a eu sans doute un temps où les peuples, toutes les fois qu’ils voyaient le soleil descendre, croyaient que la fin du monde allait venir, avec la nuit éternelle et le froid. Mais les chefs, qui avaient sans doute dressé des cercles comme ceux-là, apercevaient, avant les autres, que le soleil remontait. C’est alors qu’ils réunissaient le peuple et annonçaient un nouveau retour des saisons, c’est-à-dire une nouvelle année et de nouvelles moissons. De nos jours ils n’annoncent plus rien, mais les sourires sont restés, et les félicitations, et les souhaits aussi, qui signifient que tout espoir n’est pas perdu. Il me plaît de penser que les Finances, l’Enregistrement, les Contributions et les Douanes vont se parer de chapeaux à ressort pour aller faire hommage au vieux Soleil, père des forces, roi des peuples et artisan de l’histoire.