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Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Jean/19

La bibliothèque libre.
Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 509-515).
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saint Jean


CHAPITRE XIX


VAINS ESSAIS DE PILATE POUR SAUVER JÉSUS. — CRUCIFIEMENT. — MARIE AU PIED DE LA CROIX. — MORT DE JÉSUS, SA SÉPULTURE.


Alors Pilate prit Jésus, et le fit battre de verges[1]. Et les soldats ayant tressé une couronne d’épines la mirent sur sa tête, et le revêtirent d’un manteau d’écarlate[2]. Et venant à lui, ils disaient : Salut, roi des Juifs ; et ils le souffletaient[3]. Pilate sortit de nouveau et dit aux Juifs : Voici que je vous l’amène dehors, afin que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun crime. Jésus sortit donc, portant la couronne d’épines et le manteau d’écarlate ; et Pilate leur dit : Voilà l’homme[4]. Les Princes des prêtres et les satellites l’ayant vu, crièrent : Crucifiez-le, crucifiez-le. Pilate leur dit : Prenez-le vous-mêmes et le crucifiez ; car moi je ne trouve pas de crime en lui. Les Juifs lui répondirent : Nous avons une loi, et selon cette loi[5] il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. Ayant entendu ces paroles, Pilate fut plus effrayé[6]. Et rentrant dans le prétoire, il dit à Jésus : D’où êtes-vous ? Mais Jésus ne lui fit aucune réponse[7]. Pilate lui dit donc : Vous ne me parlez point. Ignorez-vous que j’ai le pouvoir de vous crucifier et le pouvoir de vous délivrer ? Jésus répondit : Vous n’auriez sur moi aucun pouvoir, s’il ne vous était donné d’en haut. C’est pourquoi le péché de celui qui m’a livré à vous est plus grand[8]. De ce moment Pilate cherchait à le délivrer. Mais les Juifs criaient : Si vous le délivrez, vous n’êtes point ami de César ; car quiconque se fait roi, se déclare contre César[9]. Pilate, ayant entendu ces paroles, fit amener Jésus dehors, et il s’assit sur le tribunal, au lieu appelé en grec Lithostrotos, et en hébreu Gabbatha[10]. C’était le jour de la Préparation de la Pâque[11], vers la sixième heure[12] ; et il dit aux Juifs : Voilà votre roi[13]. Mais eux criaient : Qu’il meure ! qu’il meure ! Crucifiez-le. Pilate leur dit : Crucifierai-je votre roi ? Les Princes des prêtres répondirent : Nous n’avons de roi que César[14]. Alors il le leur livra pour être crucifié[15].

17 Et ils prirent Jésus et l’emmenèrent. Et, portant sa croix, il vint au lieu nommé Calvaire, en hébreu Golgotha[16], où ils le crucifièrent, et deux autres avec lui, un de chaque côté, et Jésus au milieu. Pilate fit aussi une inscription, et la fit mettre au haut de la croix ; il y était écrit : Jésus de Nazareth, le roi des Juifs[17]. Beaucoup de Juifs lurent cette inscription, parce que le lieu où Jésus fut crucifié était près de la ville, et qu’elle était écrite en hébreu, en grec et en latin[18]. Les Princes des prêtres des Juifs dirent donc à Pilate : N’écrivez point : Le roi des Juifs, mais que lui-même a dit : Je suis le roi des Juifs. Pilate répondit : Ce qui est écrit est écrit[19].

23 Les soldats, après l’avoir crucifié, prirent ses vêtements (et ils en firent quatre parts, une pour chaque soldat) et sa tunique. C’était une tunique sans couture, d’un seul tissu depuis le haut jusqu’en bas. Ils se dirent donc entre eux : Ne la divisons point, mais tirons au sort à qui elle sera : afin que s’accomplît cette parole de l’Écriture : « Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont jeté ma robe au sort. » C’est ce que firent les soldats.

25 Debout près de la croix de Jésus étaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas[20], et Marie Madeleine. Jésus ayant donc vu sa mère, et, debout près d’elle, le disciple qu’il aimait, il dit à sa mère : Femme, voilà votre fils. Ensuite il dit au disciple : Voilà ta mère. Et depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui[21].

28 Après cela, Jésus sachant que tout était accompli, afin qu’une parole de l’Écriture[22] s’accomplît encore, il dit : J’ai soif. Il y avait là un vase plein de vinaigre ; les soldats emplirent une éponge, et l’environnant d’hysope, ils la présentèrent à sa bouche[23]. Jésus ayant pris le vinaigre, dit : Tout est consommé[24] ; et baissant la tête, il rendit l’esprit.

31 Comme c’était le jour de la Préparation, afin que les corps ne demeurassent pas en croix le jour du sabbat (car ce jour de sabbat était un grand jour), les Juifs prièrent Pilate qu’on leur rompît les jambes et qu’on les détachât[25]. Les soldats vinrent donc, et ils rompirent les jambes du premier, et de l’autre qui avait été crucifié avec lui. Étant venus à Jésus, et le voyant déjà mort, ils ne lui rompirent point les jambes ; mais un des soldats lui ouvrit le côté avec une lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau[26]. Et celui qui l’a vu en rend témoignage, et son témoignage est vrai, et il sait qu’il dit vrai, afin que vous croyiez aussi[27]. Car ces choses ont été faites afin que cette parole de l’Écriture fût accomplie : « Vous ne briserez aucun de ses os[28]. » Et il est encore écrit ailleurs : « Ils verront celui qu’ils ont transpercé[29]. »

38 Après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret, par crainte des Juifs, pria Pilate de lui permettre d’enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit[30]. Il vint donc, et enleva le corps de Jésus. Nicodème, qui était venu la première fois trouver Jésus de nuit, vint aussi, apportant une composition de myrrhe et d’aloès, d’environ cent livres[31]. Ils prirent donc le corps de Jésus, et l’enveloppèrent dans des linceuls[32] avec des aromates, selon que les Juifs ont coutume d’ensevelir. Au lieu où il avait été crucifié, il y avait un jardin, et dans le jardin un sépulcre neuf, où personne encore n’avait été mis[33]. Ils y mirent donc Jésus, parce que c’était le jour de la Préparation[34] et que le sabbat était proche.

  1. Il est probable que Pilate ordonna ce supplice comme question, non qu’il eût besoin pour lui-même de s’assurer par ce moyen de l’innocence de Jésus ; mais il voulait montrer aux Juifs que, même après y avoir eu recours, il n’avait pu le convaincre d’aucun crime. La colonne de la flagellation est conservée à Rome dans l’église de sainte Praxède.
  2. D’une vieille casaque militaire.
  3. Philon (in Flaccum) rapporte une insulte semblable infligée, par les habitants d’Alexandrie, au roi Hérode Agrippa.
  4. La couronne d’épines : le Fils de l’homme prenait ainsi sur soi d’une manière symbolique la malédiction prononcée contre la terre, lorsque Dieu dit à Adam après son péché : « A cause de ce que tu as fait, la terre sera maudite, et elle te produira des ronces et des épines (Gen. iii, 17, 18). » — On sait que la couronne d’épines de Notre-Seigneur fut donnée par Beaudoin, empereur latin de Constantinople, au roi de France saint Louis, qui, pour la recevoir, fit construire la Sainte-Chapelle. Cette relique insigne se conserve aujourd’hui à Notre-Dame de Paris. — Leur dit, pour exciter leur compassion. — Les ruines du prétoire existent encore, et notamment la terrasse de l’Ecce Homo. Ces ruines sacrées ont été acquises vers la fin de 1857 par la Congrégation de Notre-Dame de Sion, qui possède un couvent tout à côté.
  5. Lévit. xxiv, 16.
  6. Il lui répugnait jusqu’alors de condamner un innocent ; mais, entendant parler de Fils de Dieu, il craignit d’attirer sur lui la colère de quelque divinité.
  7. Sans doute parce que Pilate était incapable de le comprendre.
  8. Le péché des Juifs, qui ont agi par haine et par envie, est plus grand que le vôtre, vous qui ne me condamnez que par crainte et par faiblesse.
  9. « Sous un règne dont Tacite dit : Le crime de lèse-majesté était le complément de toutes les accusations (Annal. iii, 38), le langage menaçant des chefs du peuple est parfaitement conforme aux circonstances. Pilate avait d’abord laissé voir un léger reste de la justice dont les Romains se targuaient ; mais finalement il ne tient qu’à la faveur de Tibère. » Tholuck.
  10. C’était une place revêtue d’un carrelage en mosaïque, et située devant le prétoire, entre la tour Antonia et le portique occidental du temple (Josèphe, Bell. Jud. vi, 1, 8 et iii, 2). Lithostrotos signifie litt. terrain pavé en pierres, et Gabbatha, en syro-chaldaïque, éminence. C’est là que Pilate avait fait dresser son tribunal ou bima. Suétone nous apprend que César, jusque dans les camps, faisait paver en mosaïque le lieu où il plaçait son tribunal.
  11. Le vendredi qui tombait dans la semaine de Pâque.
  12. Voy. Marc, xv, 25, note.
  13. Un homme dans cet état peut-il vous inspirer la moindre crainte pour l’ordre public ?
  14. Il faut placer après ce verset Matth. xxvii, 24, 28.
  15. Non par les Juifs, mais par les soldats romains.
  16. On appelait ainsi, disent le P. Patrizzi et Schegg, une petite colline qui avait la vague apparence d’un crâne chauve, comme nous disons en français Chaumont. Berlepsch, après saint Jérôme : Golgotha, c’est-à-dire tête, ou lieu de la tête, lieu capital, où l’on exécutait les sentences de mort.
  17. Le titre de la croix se conserve encore aujourd’hui à Rome, et quoique les lettres, surtout hébraïques et grecques, en soient usées par le temps, on en peut conclure que saint Jean a rapporté exactement cette inscription dont les synoptiques n’ont donné qui le sens ou l’abrégé.
  18. Par conséquent en trois langues. Quelques-uns pensent, d’après Luc, xxiii, 38, que les trois inscriptions étaient composées avec trois sortes de caractères, mais dans la même langue. Malheureusement la relique de Rome est trop défigurée pour fournir un argument décisif ; le premier sentiment, néanmoins, est de beaucoup le plus commun et le plus probable.
  19. « Écrirez donc, ô Pilate, les paroles que Dieu vous dicte, et dont vous n’entendez pas le mystère. Quoi que l’on puisse alléguer, gardez-vous de changer ce qui est déjà écrit dans le ciel : que vos ordres soient irrévocables parce qu’ils sont faits en exécution d’un arrêt immuable du Tout-Puissant. Que la royauté de Jésus soit écrite en langue hébraïque, qui est la langue du peuple de Dieu, et en la langue grecque, qui est la langue des doctes et des philosophes, et en la langue romaine, qui est celle de l’empire et du monde. Et vous, ô Grecs, inventeurs des arts ; vous, ô Juifs, héritiers des promesses ; vous, Romains, maîtres de la terre, venez lire cet admirable écriteau. Fléchissez le genou devant votre Roi. Bientôt, bientôt, vous verrez cet homme, abandonné de ses propres disciples, ramasser tous les peuples sous l’invocation de son nom. Bientôt les nations incrédules auxquelles il étend ses bras, viendront recevoir parmi ses embrassements paternels cet aimable baiser de paix qui, selon les prophéties anciennes, les doit réconcilier au vrai Dieu qu’elles ne connaissaient pas. Bientôt ce Crucifié sera couronné d’honneur et de gloire. » Bossuet.
  20. La mère des apôtres saint Jacques le Mineur et saint Jude Thaddée. S. Marc (xv, 40) et S. Luc (xxiii, 49) disent de loin ; mais les moments ne sont pas les mêmes : il y a entre les deux situations un intervalle de trois heures, pendant lesquelles les ténèbres se répandirent sur la Terre.
  21. « Ce que, durant sa vie terrestre, Jésus fut pour sa Mère, et elle pour lui, Jean le sera désormais pour Marie, et Marie pour Jean. Les SS. Pères, et notamment saint Augustin, observent que tous les enfants de l’Église sont ici représentés par saint Jean, et que Jésus, dans la personne de cet apôtre, a donné à tous les fidèles Marie pour mère. » Allioli.
  22. Ps. lxviii 22.
  23. Vinaigre, vin acide, appelé posca, qui servait de boisson aux soldats romains. — D’hysope, la mettant à l’extrémité d’une tige d’hysope. Ce breuvage est-il le même que le vin mêlé de myrrhe présenté à Jésus, selon la coutume, pour affaiblir en lui le sentiment de la douleur (Matth. xxvii, 48 ; Marc, xv, 36) ? Patrizzi répond affirmativement ; d’autres disent qu’il s’agit, dans saint Jean, de la soif que Jésus éprouva sur la croix, conséquence ordinaire de ce supplice, et distinguent les deux faits, ce qui est plus exact.
  24. Les prophéties sont réalisées, les décrets éternels de mon Père sont exécutés, l’œuvre de la rédemption du monde est accomplie. Ce fut un vendredi que le premier homme fut créé, un vendredi que Jésus naquit, un vendredi qu’il expira et racheta l’humanité.
  25. De la Préparation du sabbat, le vendredi. — Ne demeurassent pas en croix : les Romains laissaient le supplicié attaché à la croix jusqu’à ce que son corps tombât en putréfaction ou fût dévoré par les oiseaux et les bêtes sauvages. Chez les Juifs, une loi (Deut. xxi, 22, 23) ordonnait de le détacher et de l’ensevelir avant le coucher du soleil ; cette prescription urgeait surtout la veille d’un jour de fête. — Un grand jour, parce que c’était le sabbat de la Pâque. — Les jambes, pour s’assurer de la mort, ou la hâter.
  26. Le soldat, tenant la lance de la main droite, dut frapper le côté gauche de Jésus, en sorte que le fer, après avoir traversé le poumon, déchira le péricarde, d’où il s’échappa une certaine quantité d’eau ; car, dit Grüner, le péricarde s’emplit d’eau quand la mort arrive après une grande tristesse. Dans l’eau et le sang qui sortirent du côté de Jésus, les SS. Pères voient une figure des deux sacrements de baptême et d’eucharistie, dons principaux de son cœur brisé par une mort volontaire. La sainte Lance se trouve aujourd’hui à Rome parmi les reliques de la basilique de Saint-Pierre.
  27. Ceci paraît ajouté contre les Docètes, hérétiques qui niaient la réalité du corps de Jésus-Christ.
  28. Exod. xii, 46. Ces paroles se rapportent immédiatement à l’Agneau pascal, type prophétique du Messie.
  29. Citation libre de Zach. xii, 10.
  30. Comp. Marc, xv, 43 sv. Les Romains accordaient cette faveur aux parents ou amis du supplicié (Ulpien, XLVIII, xxiv, 1).
  31. Nicodème : voy. iii, 1, 21, note. La tradition raconte que Nicodème, après avoir été baptisé par saint Pierre et saint Jean, fut destitué par le Sanhédrin et privé de tous ses biens. Son oncle Gamaliel parvint à le soustraire à la fureur des Juifs en le cachant dans sa maison de campagne, près de Jérusalem ; il y mourut peu de temps après et fut enseveli à côté de saint Etienne. — De myrrhe et d’aloès, arbres aromatiques, dont le bois pilé et réduit en poudre servait aux embaumements ; car il n’est pas probable qu’il s’agisse ici d’aromates liquides. Ad. Maier. — Cent livres : cette quantité n’étonnera pas ceux qui connaissent les anciens usages de l’Orient. Aux funérailles du roi Hérode, cinq cents esclaves, dit Josèphe, portaient les aromates qui devaient servir à sa sépulture
  32. Dont un grand, le saint Suaire, précieuse relique conservée jusqu’à nos jours, et d’autres plus petits, ou bandelettes.
  33. En sorte que, dit saint Augustin, Jésus eut un tombeau virginal, comme le sein de Marie. Voy. Matth. xxvii, 33, note.
  34. Le vendredi soir ; on touchait au grand sabbat de Pâque, jour de repos absolu.