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Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Luc/06

La bibliothèque libre.
Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 282-287).
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saint Luc


CHAPITRE VI


ÉPIS CUEILLIS ET GUÉRISON OPÉRÉE LE JOUR DU SABBAT (Matth. xiii, 1 sv. ; Marc, ii, 2). — ÉLECTION DES APÔTRES (Matth. iii, 9 ; Marc, iii, 1). — DISCOURS AU PEUPLE.


1. Un jour de sabbat, dit le second-premier[1], comme Jésus passait le long des champs de blé, ses disciples cueillaient des épis, et les froissant dans leurs mains, les mangeaient. Quelques-uns des Pharisiens leur dirent : Pourquoi faites-vous ce qu’il n’est pas permis de faire le jour du sabbat ? Jésus leur répondit : N’avez-vous pas lu ce que fit David lorsqu’il eut faim, lui et ceux qui l’accompagnaient, comment il entra dans la maison de Dieu, et prit les pains de proposition, en mangea et en donna à ceux qui étaient avec lui[2], quoiqu’il ne soit permis d’en manger qu’aux prêtres seuls ? Et il ajouta : Le Fils de l’homme est maître même du sabbat.

6 Un autre jour de sabbat, Jésus entra dans la synagogue pour y enseigner. Et il y avait là un homme 7. dont la main droite était desséchée. Or, les Scribes et les Pharisiens l’observaient, pour voir s’il le guérirait le jour du sabbat, afin de trouver un prétexte pour l’accuser. Mais, connaissant leurs pensées, il dit à l’homme qui avait la main desséchée : Levez-vous, et tenez-vous là debout au milieu. Et se levant, il se tint debout. Alors Jésus leur dit : Je vous le demande, est-il permis, le jour du sabbat, de faire du bien ou du mal, de sauver la vie ou de l’ôter ? Puis, promenant son regard sur tous ceux qui l’entouraient[3], il dit à cet homme : Étendez votre main. Il l’étendit, et sa main redevint saine. Mais eux, remplis de fureur, se consultaient sur ce qu’ils feraient à Jésus.

12 En ces jours-là, il se retira sur la montagne pour prier, et il passa toute la nuit en prière devant Dieu. Quand il fut jour, il appela ses disciples, et en choisit douze d’entre eux (qu’il nomma apôtres)[4] : Simon, auquel il donna le surnom de Pierre, et André, son frère, Jacques et Jean, Philippe et Barthélemi, Matthieu et Thomas, Jacques, fils d’Alphée, et Simon, appelé le Zélé, Jude, frère de Jacques[5], et Judas Iscariote, qui fut le traître.

17 Étant descendu avec eux, il s’arrêta sur un terrain uni avec la troupe de ses disciples et une grande multitude de peuple de toute la Judée, de Jérusalem, et de la région maritime de Tyr et de Sidon, qui étaient venus pour l’entendre, et pour être guéris de leurs maladies ; il y en avait aussi que tourmentaient des esprits impurs, et ils étaient délivrés. Et toute cette foule cherchait à le toucher, parce qu’il sortait de lui une vertu qui les guérissait tous. Alors, levant les yeux vers ses disciples, il leur dit[6] :

20 Bienheureux, vous qui êtes pauvres, car le royaume des cieux est à vous.

21 Bienheureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés.

Bienheureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez.

22 Bienheureux serez-vous, lorsque les hommes vous haïront, vous repousseront de leur société, vous chargeront d’opprobres, et rejetteront votre nom comme infâme, à cause du Fils de l’homme. Réjouissez-vous en ce jour-là, et tressaillez de joie, car voici que votre récompense est grande dans le ciel : c’est ainsi que leurs pères traitaient les prophètes.

24 Mais malheur à vous, riches, car vous avez votre consolation.

25 Malheur à vous, qui êtes rassasiés, car vous aurez faim.

Malheur à vous, qui riez maintenant, car vous gémirez et vous pleurerez[7].

26 Malheur à vous, quand les hommes vous loueront, car leurs pères ont loué ainsi les faux prophètes.

27 Mais je vous dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis ; faites du bien à ceux qui vous haïssent. Bénissez ceux qui vous maudissent, et priez pour ceux qui vous calomnient. A celui qui vous frappe sur une joue, présentez encore l’autre. Celui qui vous prend votre manteau, laissez-le prendre aussi votre tunique.

30 Donnez à quiconque vous demande, et si l’on vous ravit votre bien, ne le réclamez point. Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites le pareillement pour eux. Si vous aimez ceux qui vous aiment, quel est votre mérite ? Car les pécheurs aussi aiment ceux qui les aiment. Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quel est votre mérite ? Car les pécheurs le font aussi. Et si vous prêtez à ceux de qui vous espérez recevoir, quel est votre mérite ? Car les pécheurs aussi prêtent aux pécheurs, afin d’en recevoir l’équivalent[8]. Pour vous, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans en espérer rien ; et votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, qui est bon aux ingrats et aux méchants. Soyez donc miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux.

37 Ne jugez point, et vous ne serez point jugés ; ne condamnez point, et vous ne serez point condamnés ; remettez, et il vous sera remis. Donnez, et il vous sera donné ; on versera dans votre sein une bonne mesure, pressée et remuée, et se répandant par-dessus les bords, car on usera pour vous de la même mesure dont vous aurez usé pour les autres.

39 Il leur faisait aussi cette comparaison : Un aveugle peut-il conduire un aveugle ? Ne tomberont-ils pas tous deux dans la fosse[9] ? Le disciple n’est pas audessus du maître ; mais tout disciple sera parfait, s’il est comme son maître[10]. Pourquoi voyez-vous une paille dans l’œil de votre frère, et ne voyez-vous pas la poutre qui est dans votre œil ? Ou comment pouvez-vous dire à votre frère : Mon frère, laissez-moi ôter cette paille de votre œil, vous qui ne voyez pas une poutre dans le vôtre ? Hypocrite, ôtez d’abord la poutre de votre œil, et vous verrez ensuite à ôter la paille de l’œil de votre frère. L’arbre qui produit de mauvais fruits n’est pas bon, et l’arbre qui produit de bons fruits n’est pas mauvais ; car tout arbre est connu par son fruit. On ne cueille point de figues sur les épines ; on ne coupe point de grappes de raisin sur les ronces. L’homme bon[11] tire le bien du bon trésor de son cœur ; et, de son mauvais trésor, l’homme mauvais tire le mal : car la bouche parle de l’abondance du cœur.

46 Pourquoi m’appelez-vous Seigneur, Seigneur, et ne faites-vous point ce que je dis ? Quiconque vient à moi, et entend mes paroles, et les met en pratique, je vous montrerai à qui il est semblable. Il est semblable à un homme qui, bâtissant une maison, a creusé très-avant, et en a posé le fondement sur la pierre. Les eaux s’étant débordées, le torrent est venu se briser contre cette maison, et il n’a pu l’ébranler, parce qu’elle était fondée sur la pierre. Mais celui qui entend et ne pratique point, est semblable à un homme qui a bâti sa maison sur la terre sans fondement ; le torrent est venu fondre sur elle, et elle est tombée aussitôt, et grande a été la ruine de cette maison.

  1. On appelait ainsi, selon l’opinion la plus probable, le premier sabbat qui suivait le second jour des azymes ; il venait quelques jours après la fête de Pâque.
  2. I Rois, xxi, 6.
  3. Un regard scrutateur qui interroge et confond en même temps.
  4. C’est-à-dire envoyés.
  5. Jude est le même que S. Matthieu et S. Marc nomment Thaddée. Voy. Matth. x, 3.
  6. Quoique ce discours semble un extrait du Sermon sur la montagne (Matth. v, sv.), le P. Patrizzi pense qu’il fut prononcé un peu plus tard. En effet, plusieurs circonstances paraissent différer, et l’on sait que N.-S. avait coutume de répéter certaines maximes selon que l’exigeait l'utilité de ses divers auditeurs.
  7. « Quand tout nous rit dans le monde, nous nous y attachons trop facilement ; le charme est trop puissant, et l’enchantement est trop fort Ainsi, mes Frères, si Dieu nous aime, croyez qu’il ne permet pas que nous dormions à notre aise dans ce lieu d’exil. Il nous trouble dans nos vains divertissements, il interrompt le cours de nos imaginaires félicités, de peur que nous ne nous laissions entraîner aux fleuves de Babylone, c’est-à-dire au courant des plaisirs qui passent. Croyez donc très-certainement, ô enfant de la Nouvelle Alliance, que lorsque Dieu vous envoie des afflictions, c’est qu’il veut briser les liens qui vous attachaient au monde et vous rappeler à votre patrie. Le soldat est trop lâche qui veut toujours être à l’ombre, et c’est trop délicat que de vouloir vivre à son aise et en ce monde et en l’autre. Ne t’étonne donc pas, chrétien, si Jésus-Christ te donne part à ses souffrances, afin de t’en donner à sa gloire. » Bossuet.
  8. Soit la somme prêtée, soit un service pareil.
  9. S. Matthieu, xv, 14, nous apprend que N.-S. avait en vue les Scribes et les Pharisiens.
  10. Si donc les docteurs juifs sont imparfaits, leurs disciples le seront aussi. Ce vers. est pris dans un autre sens Matth. x, 24.
  11. Le bon maitre (docteur).