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Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Luc/19

La bibliothèque libre.
Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 342-346).
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saint Luc


CHAPITRE XIX


ZACHÉE REÇOIT JÉSUS. — PARABOLE DES DIX MINES. — ENTRÉE DE JÉSUS DANS JÉRUSALEM ; IL ANNONCE LA RUINE DE CETTE VILLE (Matth. xxi, 1 ; Marc, xi, 1 ; Jean, xii, 12). — MARCHANDS CHASSÉS DU TEMPLE (Matth. ibid. ; Marc, xi, 15 sv.).


1. Jésus étant entré dans Jéricho, traversait la ville. Et voilà qu’un homme, nommé Zachée[1], chef des publicains et fort riche, cherchait à voir Jésus, désirant le connaître ; et il ne le pouvait à cause de la foule, parce qu’il était fort petit. Il courut donc en avant et monta sur un sycomore pour le voir, parce qu’il devait passer par là. Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux, et l’ayant vu, lui dit : Zachée, descendez vile, car il faut qu’aujourd’hui je loge dans votre maison. Zachée se hâta de descendre, et le reçut avec joie. Voyant cela, ils murmuraient tous en disant : Il est descendu chez un pécheur. Mais Zachée, debout devant le Seigneur, lui dit : Voici, Seigneur, que je donne aux pauvres la moitié de mes biens, et si j’ai fait tort à quelqu’un en quelque chose, je lui rends le quadruple. Jésus lui dit : Le salut est entré aujourd’hui dans cette maison, parce que celui-ci est aussi enfant d’Abraham[2]. Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu[3].

11 Comme ils écoutaient ce discours, il ajouta encore une parabole sur ce qu’il était près de Jérusalem, et sur ce qu’ils pensaient que le royaume de Dieu allait paraître[4]. Il dit donc :

12 Un homme de grande naissance s’en alla en un pays lointain pour recevoir un royaume[5] et revenir ensuite. Ayant appelé dix de ses serviteurs, il leur donna dix mines[6], et leur dit : Faites-les valoir jusqu’à ce que je revienne. Or ceux de son pays le haïssaient, et ils envoyèrent après lui des députés chargés de dire : Nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous. Étant donc revenu, après avoir été mis en possession du royaume, il fit appeler ses serviteurs auxquels il avait donné de l’argent, pour connaître le profit que chacun en avait tiré. Le premier vint et dit : Seigneur, votre mine a produit dix autres mines. Il lui dit : C’est bien, bon serviteur, parce que vous avez été fidèle en peu de choses, vous aurez puissance sur dix villes. Un autre vint et dit : Seigneur, votre mine a produit cinq autres mines. Vous, lui répondit-il, vous aurez puissance sur cinq villes. Un autre vint et dit : Seigneur, voilà votre mine, que j’ai gardée enveloppée dans un linge. Car je vous ai craint, parce que vous êtes un homme sévère : vous reprenez ce que vous n’avez pas déposé, et vous moissonnez ce que vous n’avez pas semé. Le maître lui répondit : Je te juge sur tes paroles, méchant serviteur. Tu savais que je suis un homme sévère, reprenant ce que je n’ai pas déposé, et moissonnant ce que je n’ai pas semé ; pourquoi donc n’as-tu pas mis mon argent à la banque, afin qu’à mon retour je le retirasse avec les intérêts ? Et il dit à ceux qui étaient présents : Otez-lui la mine, et la donnez à celui qui en a dix. Seigneur, lui dirent-ils, il a déjà dix mines. Je vous le dis en effet[7], on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance ; et à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a. Quant à mes ennemis qui n’ont pas voulu m’avoir pour roi, amenez-les ici, et tuez-les devant moi[8].

28 Après ce discours, il continua de marcher vers Jérusalem. Comme il approchait de Bethphagé et de Béthanie, près de la montagne appelée des Oliviers, il envoya deux de ses disciples, et leur dit : Allez au village qui est là devant[9] ; en y entrant, vous trouverez un ânon attaché, sur lequel aucun homme ne s’est encore assis : déliez-le, et me l’amenez. Et si quelqu’un vous demande : Pourquoi le détachez-vous ? vous lui répondrez : Parce que le Seigneur en a besoin. Ceux qui étaient envoyés s’en allèrent, et trouvèrent l’ànon comme il leur avait dit. Comme ils détachaient l’ânon, ses maîtres leur dirent : Pourquoi déliez-vous cet ânon ? Ils répondirent : Parce que le Seigneur en a besoin. Et ils l’amenèrent à Jésus ; et jetant leurs vêtements sur l’ânon, ils le firent monter dessus. Et, sur son passage, le peuple étendait ses vêtements le long du chemin. Lorsqu’il fut près de la descente du mont des Oliviers, les disciples en foule, transportés de joie, commencèrent à louer Dieu à haute voix de toutes les merveilles qu’ils avaient vues. Béni soit, disaient-ils, le roi qui vient au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel, et gloire à Dieu dans les hauteurs des cieux ! Alors quelques Pharisiens qui étaient parmi le peuple, lui dirent : Maître, faites taire vos disciples. Il leur répondit : Je vous le dis, si ceux-ci se taisent, les pierres crieront[10].

41 Et comme il approchait, voyant la ville, il pleura sur elle, disant : Si tu connaissais, toi aussi, du moins en ce jour qui t’est encore donné, ce qui ferait ta paix ! Mais maintenant ces choses sont cachées à tes yeux. Viendront pour toi des jours où tes ennemis t’environneront de tranchées, t’enfermeront et te presseront de toutes parts ; ils te renverseront par terre, toi et tes enfants qui sont au milieu de toi, et ils ne laisseront pas dans ton enceinte pierre sur pierre[11], parce que tu n’as pas connu le temps où Dieu t’a visitée.

45 Et étant entré dans le temple, il commença à chasser ceux qui y vendaient et y achetaient, leur disant : Il est écrit : « Ma maison est une maison de prière, et vous en avez fait une caverne de voleurs[12]. » Et il enseignait tous les jours dans le temple. Cependant les Princes des prêtres, les Scribes et les principaux du peuple cherchaient à le perdre ; mais ils ne trouvaient aucun moyen de rien faire contre lui, car tout le peuple était ravi en l’écoutant.

  1. Nom hébreu qui signifie pur, juste.
  2. Non-seulement par son origine, mais encore par ses sentiments, savoir par la foi et l’amour.
  3. L’Église catholique fait lire cette histoire à la fête de la dédicace des églises, et elle convient fort bien à cette cérémonie ; car quand une église est construite et consacrée au culte divin, Jésus entre avec sa grâce chez les pécheurs. Allioli.
  4. Voyez xvii, 30.
  5. Cette circonstance de la parabole n’a rien d’étrange dans un temps où les Romains distribuaient des royaumes à leur gré.
  6. La mine attique pesait 100 drachmes ; mais la mine hébraïque, selon Josèphe, valait 60 sicles, environ 180 francs.
  7. Le vers. 26 est une réflexion de Notre-Seigneur intercalée dans la parabole. La plupart traduisent : Mais lui : le vous le dis, on donnera, etc.
  8. L’homme de grande naissance est Jésus-Christ ; le royaume est la gloire céleste, dans laquelle Jésus-Christ est entré après sa passion (xxiv, 26) ; les serviteurs sont les chrétiens, qui doivent se préparer au second avénement du Sauveur ; la mine que chacun reçoit, c’est le don de la foi et la régénération dans le baptême ; les citoyens qui ne veulent pas de Jésus-Christ pour roi, ce sont les Juifs, et en général tous les méchants ; le retour du roi arrivera pour toute l’humanité au jugement dernier, et pour chaque homme en particulier à l’heure de la mort. Cette parabole donne une idée complète du royaume de Dieu, en marquant quel sera le sort des bons, des tièdes et, des méchants : les Juifs infidèles sont punis avant tout examen, les Chrétiens qui ont la foi sans les œuvres ne seront pas épargnés.
  9. A Bethphagé.
  10. « Depuis quand Jésus aime-t-il les applaudissements ? Il avait fui dans la solitude les honneurs de la royauté (Jean, vi, 15), et il entend aujourd’hui tout ce peuple qui l’acclame, et les Pharisiens jaloux l’avertissent en vain d'imposer silence à cette multitude échauffée. Que dirons-nous d’un changement si inopiné ? Il accepte aujourd’hui une royauté qu’il avait autrefois refusée. Oh ! n’en cherchez pas d’autre cause : c’est qu’à cette dernière heure qu’il entre dans Jérusalem, il y entre pour y mourir, et mourir, à mon Sauveur, c’est régner. » Bossuet.
  11. Cette célèbre prophétie est comme un résumé fidèle de l’histoire du siége, de la prise et de la ruine de Jérusalem par les Romains, telle que Josèphe la rapporte dans son livre de la Guerre des Juifs. Comp. xxi, 20 sv.
  12. Is. lvi, 7 ; Jérém. vii, 11.