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Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Marc/12

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 224-228).
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saint Marc


CHAPITRE XII


PARABOLE DES VIGNERONS HOMICIDES ET DE LA PIERRE ANGULAIRE (Matth. xxi, 33 sv. ; Luc, xx, 9 sv.). — RENDRE A CÉSAR CE QUI EST A CÉSAR (Matth. xxii, 15 sv. ; Luc, xx, 20 sv.). — RÉSURRECTION DES MORTS (ibid.). — LE PLUS GRAND DES COMMANDEMENTS (ibid.). — LE MESSIE, FILS ET SEIGNEUR DE DAVID (ibid.). — HYPOCRISIE DES SCRIBES (Matth. xxiii, 5 sv. ; Luc, xx, 43 sv.). — OFFRANDE DE LA PAUVRE VEUVE (Luc, XXi, 1-4.).


1 Et Jésus commença à leur parler en paraboles : Un homme planta une vigne[1], l’entoura d’une haie, y creusa un pressoir et y bâtit une tour ; et l’ayant louée à des vignerons, il partit pour un pays lointain. Au temps de la vendange, il envoya un serviteur aux vignerons pour recevoir d’eux du fruit de sa vigne. Et l’ayant pris, ils le battirent, et le renvoyèrent les mains vides. Il leur envoya encore un autre serviteur, et ils le blessèrent à la tête, et le chargèrent d’outrages. Il en envoya un troisième qu’ils tuèrent ; ensuite plusieurs autres, et ils battirent les uns, et tuèrent les autres. Enfin, ayant un fils unique qui lui était très-cher, il le leur envoya le dernier, disant : Ils respecteront mon fils. Mais les vignerons se dirent l’un à l’autre : Voici l’héritier ; venez, tuons-le, et l’héritage sera pour nous. Et s’étant saisis de lui, ils le tuèrent, et le jetèrent hors de la vigne. Que fera donc le maître de la vigne ? Il viendra, il exterminera les vignerons et donnera sa vigne à d’autres[2].

10 N’avez-vous point lu cette parole de l’Écriture : « La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient, est devenue le sommet de l’angle : c’est le Seigneur qui a fait cela, et nos yeux le voient avec admiration ? » Et ils cherchaient à se saisir de lui, sachant qu’il les avait en vue dans cette parabole ; mais ils craignirent le peuple, et le laissant, ils s’en allèrent.

13 Et ils lui envoyèrent quelques-uns des Pharisiens et des Hérodiens[3], pour le surprendre dans ses paroles. Lesquels étant venus, lui dirent : Maître, nous savons que vous êtes véridique, et n’avez souci de personne ; car vous ne considérez point la condition des hommes, mais vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité. Est-il permis de payer le cens à César, ou devons-nous ne le point payer ? Connaissant leur malice, il leur dit : Pourquoi me tentez-vous ? Apportez-moi un denier[4], que je le voie. Ils le lui apportèrent ; et il leur dit : De qui est cette image et cette inscription ? De César, lui dirent-ils. Alors Jésus leur répondit : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Et il les remplit d’admiration.

18 Des Sadducéens, qui nient la résurrection, vinrent aussi à lui, et ils l’interrogeaient, disant : Maître, Moïse nous a donné cette loi, que si un homme meurt, laissant une femme sans enfants, son frère doit prendre sa femme et susciter des enfants à son frère[5]. Or il y avait sept frères ; le premier prit une femme, et mourut sans laisser d’enfants. Le second la prit ensuite, et mourut aussi sans laisser d’enfants. Il en arriva de même au troisième, et chacun des sept la prit à son tour et ne laissa point d’enfants. Enfin, après eux tous, mourut aussi la femme. Lors donc qu’au temps de la résurrection ils ressusciteront, duquel d’entre eux sera-t-elle la femme ? car tous les sept l’ont eue pour épouse. Jésus leur répondit : Ne voyez-vous pas que vous êtes dans l’erreur, ne comprenant ni les Écritures, ni la puissance de Dieu ? Car, après la résurrection des morts, les hommes n’auront point de femmes, ni les femmes de maris ; mais ils seront comme les anges dans le ciel. Et touchant la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu dans le livre de Moïse, au récit du Buisson[6], ce que Dieu lui dit : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ? » Il n’est point le Dieu des morts, mais des vivants. Vous vous trompez donc beaucoup[7].

28 Un des Scribes, qui avait entendu cet entretien, voyant qu’il leur avait bien répondu, s’approcha et lui demanda quel était le premier de tous les commandements. Jésus lui répondit : Le premier de tous les commandements est celui-ci : « Écoute, Israël : le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit, et de toutes tes forces[8]. » C’est là le premier commandement. Le second lui est semblable : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même[9]. » Aucun commandement n’est plus grand que ceux-là. Le Scribe lui dit : Bien, Maître, vous avez dit selon la vérité qu’il n’y a qu’un seul Dieu, et qu’il n’y en a point d’autre que lui ; que l’aimer de tout son cœur, de tout son esprit, de toute son âme et de toutes ses forces, et aimer son prochain comme soi-même vaut mieux que tous les holocaustes et tous les sacrifices[10]. Jésus, voyant qu’il avait répondu avec sagesse, lui dit : Vous n’êtes pas loin du royaume de Dieu. Et personne n’osait plus l’interroger.

35 Et Jésus, enseignant dans le temple, disait : Comment les Scribes disent-ils que le Christ est fils de David ? Car David lui-même parle ainsi par l’Esprit-Saint : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de vos ennemis l’escabeau de vos pieds. » Ainsi David lui-même l’appelle son Seigneur, comment donc est-il son fils ? Et une foule nombreuse prenait plaisir à l’entendre.

38 Et il leur disait en enseignant : Gardez-vous des Scribes[11], qui aiment à marcher vêtus de longues robes et à être salués dans les places publiques ; qui aiment les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les festins ; qui dévorent les maisons des veuves sous le semblant de longues prières : ils recevront un jugement plus rigoureux.

41 S’étant assis vis-à-vis du tronc, il regardait de quelle manière le peuple y jetait de l’argent[12], et plusieurs riches en jetaient beaucoup. Et une pauvre veuve étant venue, elle y mit deux petites pièces valant ensemble le quart d’un as[13]. Jésus, appelant ses disciples, leur dit : Je vous le dis en vérité, cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres dans le tronc. Car tous ont mis de leur abondance, mais cette femme à mis de son indigence même, tout ce qu’elle avait, tout ce qui lui restait pour vivre[14].

  1. Comp. Isaïe, v, 2 ; Ps. lxxix, 9-17. Cette parabole est en partie historique (vers-1-6), en partie prophétique (vers. 7-9).
  2. Voy. l’explication de cette parabole Matth. xxi, 41.
  3. Hérode et ses courtisans se trouvaient à Jérusalem pour la fête de Pâque (Luc, xxiii, 7).
  4. Un denier d’argent, ce que tout Juif devait payer chaque année au peuple romain.
  5. Deutér. xxv, 5-10. De là la distinction entre la descendance naturelle et la descendance légale, distinction d’où il faut partir pour concilier entre elles les deux généalogies de Notre-Seigneur, données par saint Matthieu et saint Luc.
  6. C’est-à-dire l’endroit où il est parlé du buisson ardent (Exod. iii, 4 ; c’est de cette manière, dit Jablonski, que les anciens docteurs juifs, dont les livres n’étaient pas divisés en chapitres et en versets, indiquaient leurs citations.
  7. Les Sadducéens niaient la résurrection parce que, regardant l’âme comme matérielle, ils croyaient qu’elle ne survivait pas au corps, et que, par conséquent, la mort anéantissait l’homme tout entier. C’est ce dernier point, base de leur système, que réfute le Sauveur. Dieu n’est pas le Dieu des morts, c’est-à-dire de ceux qui n’existent pas, dont il ne reste plus rien ; mais des vivants, au moins quant à leur âme : voilà la majeure du raisonnement. Pour que la conséquence soit légitime, il faut que la mineure soit prise dans le même sens que la majeure ; ainsi il ne faut pas expliquer : Je suis le Dieu qu’ont adoré, etc. ; mais : Je suis le Dieu qu’adorent Abraham… Or, qui oserait soutenir, contre l’autorité du Fils de Dieu, que ces paroles n’ont pas été dites dans ce dernier sens ? Patrizzi. Comp. les endroits parallèles de saint Matthieu et de saint Luc.
  8. Deut. vi, 4, 5. « Il ne se faut pas tourmenter l’esprit à comprendre la vertu de chacune de ces paroles, ni à distinguer, par exemple, le cœur d’avec l’âme, ni l’un ni l’autre d’avec l’esprit, ni tout cela d’avec la force de l’âme… Il faut seulement entendre que le langage humain étant trop faible pour expliquer l’obligation d’aimer Dieu, le Saint-Esprit a ramassé tout ce qu’il y a de plus fort pour nous faire entendre qu’il ne reste plus rien à l’homme qu’il puisse se réserver pour lui-même ; mais que tout ce qu’il a d’amour et de force pour aimer, se doit réunir en Dieu. » Bossuet.
  9. Lévit. xix, 18.
  10. Ces dernières paroles du Scribe montrent qu’il a bien compris ce qu’il y avait de nouveau dans la réponse de Notre-Seigneur.
  11. Surtout des Scribes de l’école des Pharisiens. Comp. Matth. xxiii.
  12. Pour l’entretien du temple et du culte.
  13. Ces petites pièces valaient à peine un de nos centimes. Saint Marc, écrivant pour les Romains, évalue en monnaie romaine l’offrande de la veuve juive.
  14. « Heureux les chrétiens d’avoir un maître qui sait si bien faire valoir les bonnes intentions de ses serviteurs ! Aussitôt qu’il voit cette veuve qui n’a donné que deux petites pièces, ravi de sa libéralité, Jésus appelle ses disciples, comme à un grand et magnifique spectacle. » Bossuet.