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Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Matthieu/09

La bibliothèque libre.
Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 69-74).
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saint Matthieu


CHAPITRE IX


GUÉRISON D’UN PARALYTIQUE (Marc, ii, 1-12 ; Luc, v, 17-26) — VOCATION DE SAINT MATTHIEU (Marc, ii, 13-22 ; Luc, v, 27-39) — POURQUOI LES DISCIPLES DE JÉSUS NE JEÛNENT PAS (ibid.) — JÉSUS GUÉRIT L’HEMORRHOÏSSE ET RESSUSCITE LA FILLE DE JAÏR (Marc, v, 21-43 ; Luc, viii, 41-56). — IL REND LA VUE À DEUX AVEUGLES ET LA PAROLE À UN MUET — MOISSON ABONDANTE, PEU D’OUVRIERS (Luc, x, 2).


1 Jésus étant monté dans la barque, repassa le lac et vint dans sa ville[1]. Et voilà qu’on lui présenta un paralytique étendu sur un lit. Et Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : Mon fils, ayez confiance, vos péchés vous sont remis[2]. Aussitôt quelques-uns des Scribes dirent en eux-mêmes : Cet homme blasphème. Jésus, connaissant leurs pensées, leur dit : Pourquoi pensez-vous le mal dans vos cœurs ? Lequel est le plus aisé de dire : Vos péchés vous sont remis ; ou de dire : Levez-vous et marchez ? Or, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés : Levez-vous, dit-il au paralytique, prenez votre lit, et vous en allez dans votre maison. Et il se leva, et s’en alla dans sa maison. La multitude voyant ce prodige fut saisie de crainte, et rendit gloire à Dieu qui avait donné une telle puissance aux hommes[3].

9 Étant parti de là, Jésus vit un homme, nommé Matthieu[4], assis à un bureau de péage, et lui dit : Suivez-moi[5]. Et se levant, il le suivit. Or, il arriva que Jésus étant à table dans la maison de Matthieu, un grand nombre de publicains et de pécheurs vinrent s’y asseoir avec lui et ses disciples. Ce que voyant, les Pharisiens disaient à ses disciples[6] : Pourquoi votre maître mange-t-il avec des publicains et des pécheurs. Jésus, entendant cela, leur dit : Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. Allez donc apprendre ce que signifie cette parole : « Je veux la miséricorde, et non le sacrifice[7]. » Car je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs[8].

14 Alors les disciples de Jean vinrent le trouver, et lui dirent : Pourquoi, tandis que les Pharisiens et nous, nous jeûnons souvent[9], vos disciples ne jeûnent-ils pas ? Jésus leur répondit : Les amis de l’Époux[10] peuvent-ils s’attrister pendant que l’Époux est avec eux ? Mais viendront des jours où l’Époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront. Personne ne met une pièce d’étoffe neuve à un vieux vêtement ; car elle emporte du vêtement tout ce qu’elle recouvre, et la déchirure devient plus grande. On ne met pas non plus de vin nouveau dans des outres vieilles ; autrement, les outres venant à se rompre, le vin se répand et les outres sont perdues. Mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et tous les deux se conservent[11].

18 Comme il leur parlait ainsi, un chef de synagogue[12] s’approcha, et l’adorant, il lui dit : Seigneur, ma fille vient de mourir ; mais venez, imposez votre main sur elle, et elle vivra. Et Jésus se levant, le suivit avec ses disciples. Et voilà qu’une femme, affligée d’un flux de sang depuis douze années, s’approcha par derrière[13], et toucha la houppe de son manteau[14]. Car elle disait en elle-même : Si je touche seulement son vêtement, je serai guérie. Jésus se retourna, et la voyant, il lui dit : Ayez confiance, ma fille, votre foi vous a guérie. Et cette femme fut guérie à l’heure même.

23 Lorsque Jésus fut arrivé à la maison du chef de synagogue, voyant les joueurs de flûte et une foule qui faisait grand bruit[15], il leur dit : Retirez-vous ; car la jeune fille n’est pas morte, mais elle dort[16] ; et ils se riaient de lui. Lorsqu’on eut fait sortir cette foule, il entra ; et il prit la main de la jeune fille, et elle se leva. Et le bruit s’en répandit dans tout le pays.

27 Comme Jésus poursuivait sa route, deux aveugles se mirent à le suivre, en disant à haute voix : Fils de David, ayez pitié de nous. Lorsqu’il fut entré dans la maison, les aveugles s’approchèrent de lui, et Jésus leur dit : Croyez-vous que je puisse faire cela pour vous ? Ils lui dirent : Oui, Seigneur. Alors il toucha leurs yeux en disant : Qu’il vous soit fait selon votre foi. Aussitôt leurs yeux furent ouverts, et Jésus leur dit d’un ton sévère : Prenez garde que personne ne le sache. Mais s’en étant allés, ils répandirent sa renommée dans tout ce pays.

32 Après leur départ, on lui présenta un homme muet, possédé du démon. Et le démon étant chassé, le muet parla[17], et la multitude, saisie d’admiration, disait : On n’a jamais rien vu de semblable en Israël. Les Pharisiens disaient au contraire : C’est par le prince des démons qu’il chasse les démons[18].

35 Et Jésus parcourait toutes les villes et les bourgades, enseignant dans les synagogues, prêchant l’Évangile du royaume, et guérissant toute maladie et toute infirmité. Et voyant cette multitude d’hommes, il fut ému de compassion pour eux, parce qu’ils étaient harassés et abattus[19], comme des brebis sans pasteur. Alors il dit à ses disciples : La moisson est abondante, mais les ouvriers en petit nombre. Priez donc le maître de la moisson, qu’il envoie des ouvriers à sa moisson[20].

  1. Capharnaüm, où il faisait sa résidence ordinaire.
  2. Le paralytique croyait-il, comme les Pharisiens l’enseignaient (Jean, ix, 2), que toute maladie avait sa cause dans un péché personnel ? Cela se trouvait-il vrai dans ce cas particulier ? Ou bien N.-S. voulait-il simplement montrer aux Juifs qu’il avait le pouvoir de remettre les péchés ? Quoi qu’il en soit, il est incontestable que la présence de la grâce de Dieu dans une âme est un bienfait même pour le corps.
  3. La multitude s’étonne, parce qu’elle considère Jésus comme un prophète ordinaire. Aujourd’hui ce sont bien réellement des hommes, tous les prêtres, qui possèdent, en vertu d’une institution divine (Jean, xx, 23), et exercent dans l’Église de J.-C. le pouvoir de remettre les péchés.
  4. C.-à-d. don de Dieu : c’est le même nom que Théodore, Déodat, Dieudonné. Il s’appelait aussi Lévi.
  5. Suivez-moi, c.-à-d. soyez mon disciple.
  6. Après le repas, au moment où Jésus sortait de la maison de Matthieu ; car il n’est pas probable que les Pharisiens eussent voulu entrer chez un publicain. Kuinœl.
  7. Osée, vi, 6. Ces paroles, d’après l’usage de la langue hébr., signifient : J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice. Par sacrifice Notre-Seigneur entend ici tous les actes du culte extérieur, que les Pharisiens pratiquaient avec tant de scrupule.
  8. Saint Jérôme et saint Hilaire : Les justes, c’est-à-dire ceux qui se regardaient comme justes, tels que les Pharisiens. Corn. Lapierre ajoute : à la pénitence, qui se trouve dans plusieurs manuscrits (comp. Luc, v, 32). Bossuet : Jésus-Christ, comme Fils de Dieu, quoi qu’il se plaise de voir à ses pieds un pécheur qui retourne à la bonne voie, il aime toutefois d’un amour plus fort l’innocence qui ne s’est jamais démentie, et l’honore d’une familiarité plus étroite ; quelque grâce qu’aient à ses yeux les larmes d’un pénitent, elles ne peuvent jamais égaler les chastes agréments d’une sainteté toujours fidèle. Tels sont les sentiments de Jésus selon sa nature divine ; mais il en a pris d’autres pour l’amour de nous, quand il s’est fait notre Sauveur. Comme Sauveur, dit-il, je dois chercher ceux qui sont perdus ; comme Médecin, ceux qui sont malades ; comme Rédempteur, ceux qui sont captifs… De la même manière qu’un médecin, comme homme, il se plaira davantage à converser avec les sains, et néanmoins comme médecin, il aimera mieux soulager les malades. Ainsi ce médecin charitable, certainement comme Fils de Dieu, il préfère les innocents, mais en qualité de Sauveur, il recherchera plutôt les criminels.
  9. Saint Luc (xviii, 12) nous apprend que les Pharisiens jeûnaient deux fois la semaine. Il devait en être à peu près de même des disciples de Jean-Baptiste, le prédicateur de la pénitence ; peut-être même, pendant la captivité de leur maître, multipliaient-ils leurs jeûnes en signe de deuil.
  10. Ses compagnons, appelés par les Grecs paranymphes, qui escortaient l’époux le jour de ses noces, et lui rendaient toutes sortes d’honneurs et de services. Jean-Baptiste lui-même avait donné à Notre-Seigneur le nom d’Époux (Jean, iii, 29) ; l’Épouse, c’est l’Église, sans tache, ni ride, dit saint Paul, mais sainte et immaculée ; c’est aussi chaque âme fidèle en particulier. — Dans les siècles passés, l’Église jeûnait plusieurs fois la semaine, en mémoire de la douleur que la retraite (mort et sépulture) de son divin Époux lui avait causée. Il nous en reste encore l’abstinence du vendredi et du samedi.
  11. Le sens général des versets 16-17 est que les vieilles lois cérémonielles des Juifs ne doivent ni ne peuvent être ajoutées à la nouvelle doctrine de Jésus-Christ, faire partie de la religion chrétienne. Cette pensée, Notre Seigneur l’exprime par deux comparaisons empruntées à la vie commune, et dont il ne faut pas urger l’application dans les détails.
  12. Chaque synagogue avait un chef, chargé de veiller au maintien de l’ordre dans les assemblées. — Comp. saint Luc, viii, 49 sv., qui complète le récit abrégé de saint Matthieu.
  13. Cette femme, qui se considérait comme impure, était retenue par la honte.
  14. D’après la Loi (Nomb., xv, 38 ; Deut., xxii, 12), les Hébreux devaient porter, à chacun des quatre coins de leur vêtement de dessus, c’est-à-dire de leur manteau (longue pièce de drap quadrangulaire), une houppe composée de fils de laine, pour se distinguer d’entre les Gentils et se souvenir des commandements du Seigneur. C’est cette houppe que la plupart appellent improprement frange.
  15. « Chez les Juifs, la plus pauvre femme avait, après sa mort, au moins deux joueurs de flûte et une pleureuse qui faisait entendre des chants funèbres ; mais ici le convoi était beaucoup plus considérable. Les morts étaient emportés aussitôt de la maison : on voulait éviter par là les souillures légales. » Sepp.
  16. « Un imposteur aurait dit : Elle ne dort pas, elle est réellement morte, afin de donner plus de poids et de consistance à son imposture ; mais le vrai thaumaturge agit autrement. » Sepp.
  17. Le mutisme de cet homme n’était pas occasionné par une cause naturelle, telle qu’un vice des organes ; il était produit par le démon. S. Jean Chrysostome.
  18. Voy. chap. xii, 14 sv.
  19. Abattus par la fatigue ; le mot gr. correspondant se traduirait mieux, délaissés, abandonnés à eux-mêmes : image d’un troupeau négligé par ses conducteurs. Kenrich. Meyer : déchirés (mordus) et couchés (à demi-morts ou morts tout à fait) : image d’un troupeau ravagé par le loup ; mais ce sens plus énergique nous paraît moins bon.
  20. Ainsi Dieu fait dépendre en partie de la prière des fidèles l’envoi de bons pasteurs. C’est pourquoi l’Église a déterminé quatre époques de l’année, appelées Quatre-Temps, auxquelles les fidèles doivent, entre autre chose, demander cette grâce à Dieu par le jeûne et la prière.