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Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Matthieu/10

La bibliothèque libre.
Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 74-80).
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saint Matthieu


CHAPITRE X


MISSION DES APÔTRES (Marc, iii, 13-19 ; Luc, vi, 13-16) ;
INSTRUCTIONS QUE JÉSUS LEUR DONNE.


1 Ayant assemblé ses douze disciples, Jésus leur donna puissance sur les esprits impurs pour les chasser, et pour guérir toute maladie et toute infirmité. Or voici les noms des douze apôtres[1] : Le premier, Simon, appelé Pierre, et André son frère ; Jacques, fils de Zébédée, et Jean[2] son frère ; Philippe[3] et Barthélemi[4] ; Thomas et Matthieu le publicain ; Jacques[5], fils d’Alphée, et Thaddée[6] ; Simon le Zélé[7], et Judas Iscariote[8], qui le trahit.

5 Jésus envoya ces douze, après leur avoir donné ses instructions[9] : N’allez point, leur dit-il, vers les Gentils, et n’entrez point dans les villes des Samaritains[10] ; mais plutôt allez aux brebis perdues de la maison d’Israël. Partout, dans vos courses, annoncez que le royaume des cieux est proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons : vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement[11].

9 Ne prenez ni or, ni argent, ni aucune monnaie dans vos ceintures[12], ni sac pour la route, ni deux tuniques, ni chaussure, ni bâton ; car à l’ouvrier est due sa nourriture. En quelque ville ou village que vous entriez, informez-vous qui en est digne[13], et demeurez chez lui jusqu’à votre départ. En entrant dans sa maison, saluez-la en disant : Paix à cette maison[14]. Et si cette maison en est digne, votre paix viendra sur elle ; si elle n’en est pas digne, votre paix reviendra à vous[15]. Si l’on refuse de vous recevoir et d’écouter votre parole, sortez de cette maison ou de cette ville en secouant la poussière de vos pieds[16]. Je vous le dis en vérité, il y aura moins de rigueur, au jour du jugement, pour la terre de Sodome et de Gomorrhe que pour cette ville.

16 Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme des serpents[17], et simples comme des colombes. Gardez-vous des hommes[18] ; car ils vous traduiront devant leurs tribunaux, et vous flagelleront dans leurs synagogues[19]. Vous serez conduits à cause de moi devant les gouverneurs et les rois, pour être en témoignage à eux et aux Gentils[20]. Lorsqu’on vous livrera, ne pensez ni à la manière dont vous parlerez, ni à ce que vous devrez dire : ce que vous devrez dire vous sera donné à l’heure même. Car ce n’est pas vous qui parlez ; mais c’est l’Esprit de votre Père[21] qui parle en vous. Le frère livrera son frère à la mort, et le père son fils, et les enfants s’élèveront contre leurs parents, et les feront mourir[22]. Et vous serez en haine à tous à cause de mon nom[23] ; mais celui qui persévérera jusqu’à la fin, celui-là sera sauvé. Lorsqu’on vous poursuivra dans une ville, fuyez dans une autre ; en vérité, je vous le dis, vous n’aurez pas achevé de parcourir les villes d’Israël, avant que le Fils de l’Homme vienne[24]. Le disciple n’est pas au-dessus du maître, ni le serviteur au-dessus de son seigneur. Il suffit au disciple d’être comme son maître, et au serviteur comme son seigneur. S’ils ont appelé le père de famille Béelzébub[25], combien plus ses serviteurs ? Ne les craignez donc point. Car rien de caché qui ne doive être révélé, rien de secret qui ne doive être connu[26]. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le au grand jour, et ce qui vous est dit à l’oreille, prêchez-le sur les toits[27].

28. Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et ne peuvent tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut précipiter dans la géhenne l’âme et le corps[28]. Deux passereaux ne se vendent-ils pas une obole[29] ? Et il n’en tombe pas un sur la terre, sans que votre Père le permette. Les cheveux même de votre tête sont tous comptés. Ne craignez donc point : vous êtes de plus de prix que plusieurs passereaux. Celui donc qui m’aura confessé devant les hommes, moi aussi je le confesserai devant mon Père qui est dans les cieux ; et quiconque m’aura renié devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est dans les cieux[30]. Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Car je suis venu séparer l’homme de son père, la fille de sa mère, et la bru de sa belle-mère : et l’homme aura pour ennemis les gens de sa propre maison[31]. Celui qui aime son père et sa mère plus que moi, n’est pas digne de moi, et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi, n’est pas digne de moi. Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n’est pas digne de moi[32]. Celui qui veut sauver sa vie, la perdra ; et celui qui perdra sa vie pour l’amour de moi, la sauvera[33]. Quiconque vous reçoit, me reçoit, et quiconque me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé. Quiconque reçoit un prophète en qualité de prophète, recevra la récompense du prophète ; et quiconque reçoit un juste, en qualité de juste, recevra la récompense du juste. Quiconque donnera seulement un verre d’eau froide à boire à l’un de ces plus petits, parce qu’il est de mes disciples, je vous le dis en vérité, il ne perdra point sa récompense[34].

  1. Ce mot veut dire envoyés, ambassadeurs. On appelle ainsi les douze hommes que Jésus choisit parmi tous ses disciples, pour annoncer sa doctrine, établir son Église, et que le Saint-Esprit pourvut des dons nécessaires à cette fin. Ils sont nommés deux à deux, parce que Notre-Seigneur les envoya deux à deux prêcher l’Évangile. Simon Pierre figure toujours au premier rang, à cause de sa prééminence ; il est le coryphée, dit saint Jean Chrysostome, c’est-à-dire celui qui marche en avant, le guide, le chef de tout le corps.
  2. L’Évangéliste. Voy. Matth., iv, 21.
  3. Voy. Jean, i, 44.
  4. C’est-à-dire fils de Tholomé ; on croit que c’est le Nathanaël dont parle saint Jean (i, 46 ; xxi, 2).
  5. Surnommé le Mineur, fils d’Alphée, autrement Cléophas ou Klopas (trois formes différentes du même nom). Sa mère, nommée Marie, était la sœur de la sainte Vierge (Jean, xix, 25). Il est l’auteur de la Ire Épître catholique.
  6. En gr. et Lebbée, surnommé Thaddée. C’est le même que Jude, frère de Jacques le Mineur, et auteur de l’Épître qui porte son nom. Lebbée (de l’hébr. leb, cœur, courage) et Thaddée (de l’hébr. thad, poitrine) signifient également le courageux.
  7. Ou le Zélote (comp. Luc, vi, 15 ; Act. i, 13). On ne sait pas pourquoi on lui a donné ce surnom, qui n’est d’ailleurs que la traduction grecque de son nom.
  8. C’est-à-dire homme de Carioth (Kerioth), ville de la tribu de Juda, à une journée au-delà d’Hébron ; aujourd’hui Kurietein ou Kereiten. Peut-être a-t-il reçu ce surnom, parce que seul il était né en Judée, tandis que les autres apôtres étaient originaires de la Galilée.
  9. Saint Matthieu rassemble ici diverses instructions données par Notre-Seigneur, soit aux Apôtres, soit aux soixante-douze disciples. Comp. Marc, vi, 7-13 ; ix, 37, 41 ; xiii, 9-13 ; Luc, ix, 2-6 ; xii, 2-12 ; xiv, 26, 27 ; xxi, 12-18.
  10. En gr. dans une, c’est-à-dire aucune ville des Samaritains : voy. Jean, iv, 9. C’est parmi les Juifs que le Messie était né ; il convenait donc qu’ils fussent les premiers invités au salut. Notre-Seigneur voulait sans doute aussi éviter, au commencement de sa mission, toute complication résultant de rivalités et de jalousies nationales. Au reste, bientôt tomberont toutes les barrières : Juifs, Samaritains, Gentils, tous les hommes sans exception seront évangélisés.
  11. Notre-Seigneur ne veut pas que ses ministres profitent, pour s’enrichir, des pouvoirs et des dons qu’ils ont reçus de l’Esprit-Saint ; mais il déclare (v. 10) qu’ils sont « dignes qu’on les nourrisse. »
  12. La ceinture, chez les Hébreux, comme celle que portent encore de nos jours certains marchands forains, était souvent disposée de manière à servir de bourse. D’autres fois la bourse était suspendue à la ceinture.
  13. C’est-à-dire qui est, par sa libéralité et ses bonnes dispositions, digne de vous recevoir, et avec vous la doctrine du salut.
  14. Le grec omet : disant : Paix à cette maison. C’était le salut ordinaire chez les Juifs ; mais, dans la bouche des Apôtres, qui apportaient la véritable paix, la réconciliation avec Dieu, cette formule exprimait une réalité.
  15. Elle sera inutile pour eux. Mais vous, ajoute saint Augustin, vous ne perdrez point le fruit de votre prédication.
  16. Les Juifs, dit Lightfoot, regardaient comme impure, non-seulement la personne même des Gentils, mais jusqu’à la poussière de leurs champs ; elle souillait ceux auxquels elle s’attachait. Par l’action symbolique qui leur est ici commandée, les Apôtres témoignaient qu’il n’y avait plus désormais rien de commun entre eux et cette ville ou cette maison et ses habitants.
  17. « Soyez prudents, non pas pour vous, vous n’avez absolument rien à craindre, mais pour les hommes qui sont en face de vous. Prenez garde ! car s’ils foulent aux pieds les choses saintes que vous annoncez et que vous apportez, s’ils vous forcent de secouer en sortant la poussière de vos pieds, ils seront plus sévèrement jugés que Sodome et Gomorrhe. Traitez-les comme l’homme traite l’enfant, ou le médecin le malade. » Gratry.
  18. Des Juifs, semblables à des loups.
  19. La flagellation était, parmi les Juifs de cette époque, une punition ordinaire pour la violation de la loi de Moïse : elle était donnée dans les synagogues, Allioli.
  20. Vous y paraîtrez comme des témoins de la vérité, et vous rendrez devant eux témoignage à ma doctrine. Bossuet.
  21. L’Esprit de votre Père, qui rend est aussi l’Esprit du Fils (Gal. iv, 6), le Saint-Esprit.
  22. Sainte Barbe et sainte Christine furent livrées à la mort par leur père, et sainte Lucie par son propre fils. Allioli.
  23. C’est-à-dire, parce que vous êtes chrétiens. C’est ce que dit l’histoire par la bouche de Tacite : Christianos odio generis humani convictos ! Condamnés par la haine du genre humain ! Qu’on se rappelle les persécutions. Des hommes nouveaux, humbles et doux, présentent la vérité dans la paix et l’amour : on leur répond par la haine. La vieille société païenne traîne les premiers disciples de Jésus-Christ sous l’œil féroce des foules, des assemblées, des tribunaux. Leur indéfinissable majesté ivres de fureur les juges. On les frappe, on les tue ; durant trois siècles tout se soulève pour les exterminer, comme des serpents dont il faut extirper la race. Gratry.
  24. Saint Jean Chrysostome : Avant que vous n’ayez achevé de parcourir, dans cette mission, la Galilée et la Judée, je viendrai à vous, et vous réunirai de nouveau à ma société. Corn. Lapierre : Vous (et vos successeurs) n’aurez pas encore converti tous les Israélites quand je viendrai dans mon second avènement pour le jugement dernier. La conversion générale des Juifs ne doit avoir lieu qu’à la fin des temps (Rom., xi, 25, 26).
  25. Voy. ce mot dans le Vocabulaire.
  26. Ce proverbe général signifie ici : La vérité de ma doctrine et votre innocence ne laisseront pas de paraître au grand jour, et de remporter sur eux, à la face du monde, une éclatante victoire. Saint Jean Chrysostome.
  27. La doctrine que je vous ai enseignée en présence d’un petit nombre de témoins, vous l’annoncerez ouvertement à tous les hommes. Les toits des maisons en Orient sont plats ; on peut s’y promener et parler de là au peuple.
  28. C’est-à-dire Dieu. Comp. Sagesse, xvi, 13 sv.
  29. Litt. un as, monnaie romaine qui avait cours alors chez les Grecs et les Hébreux, et valait la dixième partie d’une drachme, un peu plus d’un sou.
  30. Les vers. 32-33 doivent se joindre aux vers. 27-28.
  31. C’est-à-dire, ma doctrine excitera toutes sortes de contradictions. Les disciples de Jésus-Christ possèdent une vertu surnaturelle, une vertu qui est un reproche pour les consciences mondaines. Les vertus naturelles, la bonté du cœur, la bienfaisance à l’égard du prochain qui en découle, le monde peut bien les estimer et les aimer : il sent que ce sont là des fruits qui naissent dans son sol ; mais les vertus proprement chrétiennes, l’abnégation, la pénitence, l’union à Dieu et l’assiduité à la prière, il les hait ; il souffre en leur présence comme en présence de l’ennemi de tout ce qu’il y a en lui de plus intime, de ce qu’il cherche et qu’il aime davantage : car il sent que là est sa mort (Jacq., iv, 4). Allioli.
  32. La croix est le symbole des plus grandes souffrances. Le disciple de Jésus crucifié doit embrasser d’avance, mettre courageusement sur ses épaules toutes les tribulations qu’il pourra rencontrer en suivant son divin Maître.
  33. Le mot vie, proprement âme en gr. et en lat., a deux significations : il désigne la vie passagère du corps et la vie éternelle de l’âme. Sens : Celui qui, pour conserver sa vie, abandonne ma doctrine, perd la vie véritable, la vie éternelle. Autre application : Celui qui conserve sa vie, la vie de l’homme charnel, dans sa
  34. Tant c’est une grande chose que d’avoir concouru, ne fût-ce que par une prière, par un vœu, par un verre d’eau, au règne de Dieu sur la terre !