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Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Matthieu/12

La bibliothèque libre.
Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 85-90).
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saint Matthieu


CHAPITRE XII


ÉPIS CUEILLIS (Marc, ii, 23-27 ; Luc, vi, 1-5) ET GUÉRISON OPÉRÉE LE JOUR DU SABBAT (Marc, iii, 1-5 ; Luc, vi, 6-11). — DOUCEUR DU MESSIE — CE N’EST PAS AU NOM DE BÉELZEBUB QUE JESUS-CHRIST CHASSE LES DÉMONS ; PÉCHÉ CONTRE LE SAINT-ESPRIT (Marc, iii, 22-27 ; Luc, xi, 14-23). — SIGNE DE JONAS (Luc, xi, 29-32). — DÉMON QUI REVIENT (Luc, xi, 24-26). — MÈRE ET FRÈRES DE JÉSUS-CHRIST (Marc, iii, 31-33 ; Luc, viii, 19-21).


1 En ce temps-là[1], Jésus marchait le long des champs de blé un jour de sabbat, et ses disciples ayant faim, se mirent à cueillir des épis et à les manger. Les Pharisiens voyant cela, lui dirent : Voilà que vos disciples font ce qu’il n’est pas permis de faire le jour du sabbat[2]. Mais il leur dit : N’avez-vous pas lu ce que fit David, lorsqu’il eut faim, et ceux qui étaient avec lui ? Comme il entra dans la maison de Dieu[3] et mangea les pains de proposition[4], qu’il ne lui était pas permis de manger, ni à ceux qui étaient avec lui, mais aux prêtres seuls ? Ou n’avez-vous pas lu dans la Loi qu’au jour du sabbat les prêtres violent le sabbat dans le temple[5] sans commettre de péché ? Or, je vous dis qu’il y a ici quelqu’un plus grand que le temple. Si vous compreniez cette parole : « Je veux la miséricorde, et non le sacrifice[6], » vous n’auriez jamais condamné des innocents. Car le Fils de l’homme est maître même du sabbat[7].

9 Étant parti de ce lieu, il vint dans leur synagogue. Or, il se trouvait là un homme qui avait la main desséchée, et ils demandèrent à Jésus : Est-il permis de guérir le jour du sabbat[8] ? afin d’avoir un prétexte pour l’accuser. Il leur répondit : Quel est celui d’entre vous qui, ayant une brebis, si cette brebis tombe dans une fosse le jour du sabbat, ne la prenne et ne l’en retire ? Combien l’homme n’est-il pas au-dessus d’une brebis ? Il est donc permis de faire le bien le jour du sabbat. Alors il dit à cet homme : Étendez votre main. Il l’étendit, et elle devint saine comme l’autre.

14 Les Pharisiens, étant sortis, tinrent conseil contre lui sur les moyens de le perdre. Mais Jésus, le sachant, partit de là, et une grande foule le suivit, et il guérit tous leurs malades. Et il leur commanda de ne pas le publier : afin que s’accomplit la parole du prophète Isaïe : « Voici mon serviteur que j’ai choisi, mon bien-aimé, en qui mon âme s’est complue. Je ferai reposer sur lui mon esprit, et il annoncera la justice aux nations. Il ne disputera point, il ne criera point, et personne n’entendra sa voix dans les places publiques. Il n’achèvera point de rompre le roseau brisé, ni d’éteindre la mèche qui fume encore, jusqu’à ce qu’il fasse triompher la justice[9]. En son nom les nations mettront leur espérance[10]. »

22 On lui présenta alors un possédé aveugle et muet[11], et il le guérit, de sorte que cet homme parlait et voyait. Et tout le peuple, saisi d’étonnement, disait : N’est-ce point là le fils de David[12] ? Mais les Pharisiens, entendant cela, disaient ; Il ne chasse les démons que par Béelzébub, prince des démons. Jésus, qui connaissait leurs pensées, leur dit : Tout royaume divisé contre lui-même sera détruit, et toute ville ou maison divisée contre elle-même ne pourra subsister. Si Satan chasse Satan, il est divisé contre lui-même : comment donc son royaume subsistera-t-il ? Et si moi je chasse les démons par Béelzébub, par qui vos fils[13] les chassent-ils ? C’est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges. Que si c’est par l’esprit de Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc venu à vous[14]. Ou bien encore, comment quelqu’un peut-il entrer dans la maison du fort[15] et enlever ses meubles, si auparavant il ne lie le fort ? Et alors il pillera sa maison. Qui n’est pas avec moi est contre moi, et qui n’amasse pas avec moi dissipe[16]. C’est pourquoi je vous dis : Tout péché et tout blasphème sera remis aux hommes ; mais le blasphème contre l’Esprit ne sera pas remis. Et quiconque aura parlé contre le Fils de l’homme, il lui sera remis ; mais à celui qui aura parlé contre l’Esprit-Saint[17], il ne sera remis ni dans ce siècle, ni dans le siècle futur. Ou estimez l’arbre bon, et son fruit bon ; ou estimez l’arbre mauvais, et son fruit mauvais : car c’est par son fruit qu’on connaît l’arbre[18]. Race de vipères, comment, étant mauvais, pourriez-vous dire des choses bonnes ? Car la bouche parle de l’abondance du cœur. L’homme bon tire du bon trésor de son cœur des choses bonnes, et l’homme mauvais, d’un mauvais trésor, tire des choses mauvaises. Je vous dis qu’au jour du jugement les hommes rendront compte de toute parole oiseuse[19] qu’ils auront dite. Car tu seras justifié par tes paroles et condamné par tes paroles[20].

38 Alors quelques-uns des Scribes et des Pharisiens lui dirent : Maître, nous voulons voir un signe de vous. Il leur répondit : Cette race mauvaise et adultère[21] demande un signe, et il ne lui sera donné d’autre signe que celui du prophète Jonas. Car, comme Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson, ainsi le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits[22]. Les Ninivites s’élèveront au jour du jugement contre cette race et la condamneront, parce qu’ils firent pénitence à la voix de Jonas, et il y a ici plus que Jonas. La reine du Midi[23] s’élèvera au jour du jugement contre cette race et la condamnera, parce qu’elle est venue des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon, et il y a ici plus que Salomon.

43 Lorsque l’esprit impur est sorti d’un homme[24], il va par des lieux arides, cherchant du repos, et il n’en trouve point. Alors il dit : Je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti. Et, revenant, il la trouve libre, purifiée et ornée[25]. Alors il s’en va prendre sept autres esprits plus méchants que lui, et, entrant dans cette maison, ils y fixent leur demeure, et le dernier état de cet homme devient pire que le premier. Ainsi en sera-t-il de cette race perverse[26].

46 Comme il parlait encore au peuple, voilà que sa mère et ses frères[27], qui étaient dehors, cherchaient à lui parler. Quelqu’un lui dit : Voici votre mère et vos frères qui sont là dehors, cherchant à vous parler. Mais il répondit à l’homme qui lui disait cela : Qui est ma mère et qui sont mes frères ? Et, étendant la main vers ses disciples, il dit : Voici ma mère et mes frères. Car quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, et ma sœur, et ma mère.

  1. L’an 27 de l’ère vulg., après la fête de Pâques, où commençait la moisson de l’orge.
  2. D’après la loi de Moïse, il était permis à ceux qui avaient faim de cueillir des épis et de s’en nourrir (Deut., xxiii, 26) ; mais, dans les derniers temps de la nation, plusieurs docteurs avaient imaginé que l’action de froisser les épis entre les mains pour en faire sortir les grains (ce que les Apôtres avaient fait, Luc, vi, 1), était une violation de la loi du sabbat.
  3. Dans le Tabernacle, alors à Nobé (I Rois, xxi, 6).
  4. Pains consacrés à Dieu, et posés devant lui, dans la partie du temple, appelée le Saint, sur une table d’or, pendant une semaine.
  5. En remplissant les fonctions de leur ministère.
  6. Osée, vi, 6. C.-à-d., j’aime mieux la miséricorde que le sacrifice.
  7. Parce qu’il est Dieu, en tout égal à son Père, qui a institué le sabbat.
  8. À cette question, les célèbres docteurs Schammaï et Hillel, antérieurs de quelques années seulement à Notre-Seigneur, répondaient négativement, sauf dans le cas d’un danger urgent de mort.
  9. La justice, c’est-à-dire la Loi nouvelle, l’Église.
  10. Isaïe, xlii, 1 sv. Tout ce passage est cité pour montrer la modestie et la douceur du Messie.
  11. Par suite de la possession.
  12. Le Messie. Comp. Matth., ix, 27.
  13. Kuinœl veut qu’on traduise ici, vos disciples, les disciples des Pharisiens. Ce n’est pas mal pour le sens ; mais le mot Fils est plus exact. Les Pharisiens n’étaient pas seulement les docteurs, mais aussi les chefs du peuple, et, par conséquent, les pères en ce double sens. Vos fils, c’est-à-dire ceux qui vous appellent du nom de pères, comme étant les magistrats et les maîtres de tout Israël. Il y avait, dit Allioli, parmi les Juifs de cette époque et des temps antérieurs, des hommes pieux qui, par l’invocation du saint nom de Dieu, chassaient les esprits impurs.
  14. L’Esprit de Dieu ; S. Luc dit : le doigt de Dieu, c’est-à-dire, la vertu de Dieu. — Le royaume de Dieu, le règne du Messie, le Messie lui-même est donc venu à vous, comme je vous l’annonce.
  15. C’est-à-dire d’un homme fort et vaillant. Sens : Le fort ne peut être vaincu que par un plus fort que lui ; donc Notre-Seigneur est plus fort que le démon, puisqu’il trouble son empire, le chasse de sa demeure et lui enlève ce qu’il possédait.
  16. Notre-Seigneur conclut par une réprimande sévère adressée aux Pharisiens, qui, au lieu de lui amener le peuple dont ils étaient les pasteurs, le détournaient d’aller à Jésus, et le conduisaient à sa perte.
  17. Ce péché des Pharisiens consistait en ce que, contre des preuves visibles et contre leur propre conviction, ils attribuaient à l’esprit malin ce que le Saint-Esprit opérait dans Jésus-Christ. Comme il suppose un entier endurcissement et une révolte absolue de la volonté, il est, dit Corn. Lapierre, rarement et difficilement remis. Toutefois, remarque Kohlgrueber, rien n’est impossible à la grâce, ni au-dessus du pouvoir des clefs confié à l’Église, et ici, comme dans un passage célèbre de S. Paul (Hebr., vi, 4 sv.), on ne doit pas trop presser les expressions. Voy. Marc, iii, 29, l’explication un peu différente que le P. Patrizzi donne de ce texte difficile.
  18. Locution proverbiale, qui signifie, appliquée à Notre-Seigneur : Vous reconnaissez que mes œuvres sont bonnes, dites donc que je suis bon ; appliquée aux Pharisiens : Vos calomnies et vos accusations méchantes montrent ce que vous êtes.
  19. Fritzsche : « Ce mot a une signification très-large ; mais Grotius la précise bien ainsi : Une parole à qui manque la vérité. S. Chrysostome s’exprime à peu près de même : Une parole mensongère et calomnieuse. C’est le sens du mot hébreu correspondant, shave. Néanmoins, nous avons préféré traduire littéralement, sans restreindre l’idée par une expression plus étroite.
  20. C’est-à-dire sur, ou d’après tes paroles. N.-S. cite ce proverbe textuellement : c’est ce qui explique le changement du pluriel au singulier.
  21. Adultère, c’est-à-dire impie et criminelle, qui a violé son alliance avec Dieu. L’alliance entre Dieu et la nation juive est souvent présentée, dans l’Ancien Testament, sous le symbole d’un mariage.
  22. La résurrection de Jésus-Christ sera le signe, la preuve incontestable de sa divinité.
  23. La reine de Saba (III Rois, x, 1 sv.).
  24. Notre-Seigneur reprend le discours interrompu au vers. 27.
  25. En un mot, préparée pour le recevoir.
  26. Ainsi les Juifs, revenus à Dieu au temps de la captivité, fervents encore à l’époque des Machabées, se sont endurcis de nouveau ; leur état est pire qu’il n’a jamais été ; ils vont recevoir un terrible et irrémédiable châtiment.
  27. Ses frères, ses cousins : voyez Frères de Jésus dans le Vocabulaire.