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Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Matthieu/11

La bibliothèque libre.
Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 80-84).
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saint Matthieu


CHAPITRE XI


JÉSUS ET LES ENVOYÉS DE SAINT JEAN-BAPTISTE. — ÉLOGE DU PRÉCURSEUR. — JÉSUS ET JEAN-BAPTISTE REJETÉS PAR LES JUIFS (Luc, vii, 1835). — MALHEUR AUX VILLES IMPÉNITENTES (Luc, 12-10). — HEUREUX CEUX QUI PORTENT LE JOUG DE JÉSUS-CHRIST.


1 Après avoir donné ces instructions à ses disciples, Jésus partit de là pour aller enseigner et prêcher dans les villes de la Galilée.

2 Or, Jean, dans sa prison[1], ayant entendu parler des œuvres de Jésus-Christ, envoya deux de ses disciples lui dire : Êtes-vous celui qui doit venir[2], ou devons-nous en attendre un autre ? Jésus leur répondit : Allez, rapportez à Jean ce que vous avez entendu et vu : Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres sont évangélisés[3]. Et bienheureux celui qui ne se scandalisera pas de moi[4] !

7 Comme ils s’éloignaient, Jésus se mit à parler de Jean à la foule : Qu’êtes-vous allés voir dans le désert ? Un roseau agité par le vent[5] ? Qu’êtes-vous donc allés voir ? Un homme vêtu mollement ? Mais ceux qui se vêtent avec mollesse sont dans les maisons des rois. Et qu’êtes-vous allés voir ? Un prophète ? Oui, je vous le dis, et plus qu’un prophète. Car c’est de lui qu’il est écrit : « Voici que j’envoie mon ange devant vous, pour vous précéder et vous préparer la voie[6]. » En vérité, je vous le dis, parmi les enfants des femmes, il n’en a point paru de plus grand que Jean-Baptiste ; mais le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui[7]. Depuis les jours de Jean-Baptiste jusqu’à présent le royaume des cieux souffre violence, et les violents le ravissent. Car, jusqu’à Jean, les Prophètes et la Loi ont annoncé des choses futures. Et si vous voulez le comprendre, lui-même est Élie qui doit venir[8]. Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende.

16 Mais à qui comparerai-je cette génération ? Elle ressemble à des enfants assis dans la place et qui crient à leurs compagnons : Nous vous avons chanté des airs joyeux[9], et vous n’avez point dansé ; nous avons chanté des airs lugubres[10], et vous n’avez point frappé votre poitrine. Jean est venu ne mangeant ni ne buvant, et ils disent : Il est possédé du démon. Le Fils de l’homme est venu mangeant et buvant, et ils disent : Voilà un homme de bonne chère et qui aime le vin, ami des publicains et des pécheurs. Et la Sagesse a été justifiée des reproches de ses enfants[11].

20 Alors il commença à reprocher aux villes où il avait opéré le plus grand nombre de ses miracles, de n’avoir pas fait pénitence. Malheur à toi, Corozaïn ! Malheur à toi, Bethsaïde ! Car si les miracles qui ont été faits au milieu de vous, l’avaient été dans Tyr et dans Sidon, elles eussent depuis longtemps fait pénitence dans le cilice et dans la cendre[12]. Oui, je vous le dis, il y aura, au jour du jugement, moins de rigueur pour Tyr et pour Sidon, que pour vous. Et toi, Capharnaüm, qui t’élèves jusqu’au ciel[13], tu seras abaissée jusqu’aux enfers[14], car si les miracles qui ont été faits dans tes murs, avaient été faits dans Sodome, peut-être serait-elle restée debout jusqu’à ce jour. Oui, je vous le dis, il y aura, au jour du jugement, moins de rigueur pour Sodome que pour vous.

25 En ce même temps, Jésus dit encore : Je vous bénis, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et les avez révélées aux petits[15]. Oui, je vous bénis, mon Père, de ce qu’il vous a plu ainsi. Toutes choses m’ont été données par mon Père[16]. Nul ne connaît le Fils, si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils a voulu le révéler. Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau[17], et je vous soulagerai. Prenez sur vous mon joug[18], et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur[19], et vous trouverez le repos de vos âmes. Car mon joug est doux, et mon fardeau léger.

    plénitude, au milieu des voluptés et des délices, qui ne pratique jamais la mortification chrétienne, conduit à la mort sa vie la plus noble. Comp. Jean, xii, 25. — Cependant ayez confiance ; plusieurs vous recevront volontiers, etc.

  1. Voy. Matth., xiv, 1 sv.
  2. Le Messie. Les SS. Pères nous disent que Jean-Baptiste envoya cette députation parce que plusieurs de ses disciples étaient encore dans le doute au sujet de Jésus : il voulait que le Messie eût une occasion de se manifester lui-même à eux.
  3. C’est sous ces traits qu’Isaïe décrit la venue du Messie (xxxv, 5 ; lxi, 5).
  4. De voir le Messie dans cette condition humble et pauvre, et non dans l’éclat d’une royauté terrestre, comme plusieurs s’imaginaient qu’il viendrait.
  5. Symbole de la légèreté et de l’inconstance.
  6. L’ange, c’est-à-dire le précurseur du Messie, celui qui le montre présent et qui est chargé de préparer ses compatriotes à le recevoir, est plus que les anciens prophètes, qui l’ont seulement annoncé de loin. De plus, Jean-Baptiste a eu l’honneur d’être annoncé lui-même par les prophètes, entre autres par Malachie (iii, l ; iv, 5), d’après lequel Élie doit revenir sur la terre lors de l’avénement du Messie. Au premier avénement, Jean parut dans la vertu d’Élie ; au dernier avénement, Élie lui-même apparaîtra pour convertir les Juifs au Seigneur.
  7. Jean-Baptiste, dit Tertullien, est placé sur la limite des deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau : on pourrait donc dire qu’il appartient aux deux, à l’ancienne Loi, comme précurseur du Messie, à la Loi nouvelle comme disciple de Jésus-Christ. Mais il est considéré ici uniquement comme précurseur, comme le dernier représentant de la Loi ancienne ; et, sous ce rapport, quoique aucun des saints personnages de l’Ancien Testament ne soit plus grand que lui, il est inférieur en dignité au plus petit des disciples de Jésus ; tant la religion chrétienne l’emporte sur la religion mosaïque. Qu’il est donc grand le caractère du chrétien, baptisé, confirmé, nourri du corps et du sang d’un Dieu ! Fritzsche, après saint Jean Chrysostome, donne à ce vers, un sens plus subtil et un peu cherché : ce plus petit du royaume des cieux, ce serait Notre-Seigneur lui-même, moindre par l’âge que Jean-Baptiste, mais infiniment plus grand que lui par la dignité (Jean, i, 15).
  8. Sens des vers. 12-14 : Le royaume des cieux, simplement annoncé et figuré par la Loi et les prophètes, est présent. Jean est Élie qui doit, selon Malachie, le montrer aux hommes. Chacun peut, par de généreux efforts, y entrer comme dans une place que l’on prend d’assaut.
  9. En gr. joué de la flûte, comme on fait à des noces.
  10. Comme on fait aux enterrements. Les enfants aiment à imiter, dans leurs jeux, les actions des grandes personnes.
  11. Sens des vers. 16-19 : Mais vous n’écoutez ni Jean ni moi. Semblables à des enfants d’humeur fâcheuse qui refusent de prendre part aux jeux de leurs camarades et ne se laissent émouvoir ni par des chants joyeux ni par des chants funèbres, les Juifs ne sont persuadés ni par l’austérité de Jean-Baptiste, ni par la vie moins austère de Jésus-Christ. Et la Sagesse divine, ayant pris toutes les voies pour ramener ses enfants, est sans reproche et innocente de leur perte.
  12. Corozaïn était une ville de Galilée, sur le lac de Tibériade, non loin de Bethsaïde et de Capharnaüm. Tyr et Sidon étaient deux villes de Phénicie, célèbres par leur commerce et par leur luxe, mais qui ne furent pas honorées de la présence du Sauveur. Sur Bethsaïde (et Capharnaüm au vers. suiv.), voy. le Vocabulaire.
  13. Par ton commerce et tes richesses. Litt. t’élèveras-tu jusqu’au ciel ? Nous avons suivi le grec, comme marquant mieux le sens.
  14. Image d’une ruine profonde, qui peut se prendre ici à la lettre et s’entendre de l’enfer proprement dit.
  15. C’est-à-dire de ce que vous avez permis que mes enseignements, rejetés par l’orgueil des Pharisiens et des Scribes qui sont sages à leurs propres yeux, fussent acceptés des petits et des humbles, etc.
  16. La science, la puissance, le gouvernement, la substance même du Père. Ce vers. explique la manière dont le Père se communique aux petits, c’est-à-dire aux fidèles : c’est par le Fils, qui seul connaît le Père, et que le Père seul connaît, parce qu’ils ont la même nature et la même substance divine.
  17. Sous le fardeau, soit des observances dont les Pharisiens vous accablent (Théophylacte), soit de vos péchés (saint Augustin), soit des souffrances et des épreuves de la vie.
  18. Le joug de la loi évangélique.
  19. Beaucoup traduisent : Apprenez de moi, venez à mon école, faites-vous mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, bien différent des Pharisiens durs et orgueilleux. Mais 1. cette interprétation est moins commune. 2. Il semble qu’alors le verbe apprenez ne devrait pas être en gr. à l’aoriste, mais au présent. 3. L’omission du régime n’aurait-elle pas quelque chose de dur ?