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Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Matthieu/15

La bibliothèque libre.
Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 100-104).
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saint Matthieu


CHAPITRE XV


FAUSSES MAXIMES DES PHARISIENS (Marc, vii, 1-23). — LA CHANANÉENNE (Marc, vii, 24-30). — DEUXIÈME MULTIPLICATION DES PAINS (Marc, viii, 1-9).


1 Alors les Scribes et les Pharisiens vinrent de Jérusalem trouver Jésus, et lui dirent : Pourquoi vos disciples transgressent-ils la tradition des Anciens ? Car ils ne lavent pas leurs mains lorsqu’ils prennent leur repas[1]. Il leur répondit : Et vous, pourquoi transgressez-vous le commandement de Dieu pour votre tradition ? Car Dieu a dit : « Honore ton père et ta mère ; » et : « Quiconque maudira son père ou sa mère, qu’il soit puni de mort[2]. » Mais vous, vous dites : Quiconque dit à son père ou à sa mère[3] : « Toute offrande que je fais à Dieu vous profite ! » il n’est pas besoin qu’il honore autrement son père ou sa mère[4], — anéantissant ainsi le commandement de Dieu pour votre tradition. Hypocrites, Isaïe a bien prophétisé de vous quand il a dit : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. Vain est le culte qu’ils me rendent, enseignant des maximes et des ordonnances humaines[5]. »

10 Puis, ayant fait approcher la foule, il leur dit : Écoutez et comprenez. Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme ; mais ce qui sort de la bouche, voilà ce qui souille l’homme[6]. Alors ses disciples venant à lui, lui dirent : Savez-vous que les Pharisiens, entendant cette parole, se sont scandalisés ? Mais il leur répondit : Toute plante[7] que n’a point plantée mon Père céleste, sera arrachée. Laissez-les ; ce sont des aveugles, conducteurs d’aveugles. Or, si un aveugle conduit un aveugle, ils tomberont tous deux dans la fosse. Pierre, prenant la parole, lui dit : Expliquez-nous cette parabole[8]. Jésus répondit : Êtes-vous encore, vous aussi, sans intelligence ? Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche va au ventre, et est rejeté au lieu secret ? Mais ce qui sort de la bouche vient du cœur, et c’est là ce qui souille l’homme. Car du cœur sortent les mauvaises pensées, les homicides, les adultères, les fornications, les vols, les faux témoignages, les blasphèmes[9]. Voilà ce qui souille l’homme ; mais manger sans avoir lavé ses mains, ne souille point l’homme.

21 Jésus, étant parti de ce lieu, se retira du côté de Tyr et de Sidon. Et voilà qu’une femme chananéenne[10], qui venait de ces contrées, se mit à crier à haute voix : Ayez pitié de moi[11], Seigneur, fils de David ; ma fille est cruellement tourmentée du démon. Jésus ne lui répondit pas un mot. Alors ses disciples, s’étant approchés, le prièrent en disant : Renvoyez-la[12], car elle nous poursuit de ses cris. Il répondit : Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël[13]. Elle, cependant, s’approcha de lui et l’adora en disant : Seigneur, secourez-moi. Il répondit : Il n’est pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens[14]. Il est vrai, Seigneur, dit-elle ; mais les petits chiens mangent au moins des miettes qui tombent de la table de leur maître. Alors Jésus lui répondit : Ô femme, votre foi est grande : qu’il vous soit fait selon votre désir ; et sa fille fut guérie à l’heure même.

29 Partant de là, Jésus vint près de la mer de Galilée, et, étant monté sur une montagne, il s’y assit. Et de grandes troupes de gens s’approchèrent de lui, ayant avec eux des muets, des aveugles, des boiteux, des estropiés et beaucoup d’autres malades ; et ils les mirent à ses pieds, et il les guérit. De sorte que la multitude était dans l’admiration, en voyant les muets parler, les boiteux marcher, les aveugles voir, et elle glorifiait le Dieu d’Israël.

32 Cependant Jésus, ayant appelé ses disciples, leur dit : J’ai compassion de cette foule ; car voilà déjà trois jours qu’ils restent près de moi, et ils n’ont pas de quoi manger. Je ne veux pas les renvoyer sans nourriture, de peur que les forces ne leur manquent en chemin. Ses disciples lui répondirent : Où trouver dans le désert assez de pain pour rassasier une si grande foule ? Jésus leur dit : Combien avez-vous de pains ? Sept, lui dirent-ils, et quelques petits poissons. Alors il commanda à la multitude de s’asseoir sur la terre, prit les sept pains et les poissons, et, rendant grâces, il les rompit et les donna à ses disciples, et ses disciples les distribuèrent au peuple. Tous mangèrent et furent rassasiés, et, des morceaux qui étaient restés, ils remportèrent sept corbeilles pleines. Or, ceux qui mangèrent étaient au nombre de quatre mille, sans les femmes et les enfants. Ayant ensuite renvoyé le peuple, Jésus monta dans une barque, et vint dans le pays de Magédan[15].

  1. Les Juifs avaient, et encore aujourd’hui ont coutume de se mouiller le bout des doigts avant et après le repas, et cela avec certains gestes déterminés par leurs docteurs : ainsi, ils ne devaient jamais aller au-delà du poignet, si ce n’est dans les repas des sacrifices. Sans cette formalité, tout aliment devenait impur, et souillait celui qui l’avait pris, bien plus, le rendait semblable à un adultère ; et celui qui ne se lavait pas les mains après le repas, était aussi coupable qu’un meurtrier. Celui, au contraire, qui observait avec soin ces prescriptions, pouvait se regarder comme assuré du salut éternel. Que l’on se représente ce cérémonial absurde, imposé par les maîtres de la religion à tout un peuple qui s’y façonnait dès l’enfance, et l’on comprendra jusqu’à quel point les Juifs contemporains de Notre-Seigneur, enchaînés dans un formalisme vide et étroit, étaient inaccessibles à toute idée morale un peu élevée. Sepp.
  2. Exode, xx, 12 ; xxi, 17.
  3. Dans le besoin et implorant son secours.
  4. Et les secoure autrement que par cette offrande faite à Dieu. — Il est probable que les Pharisiens persuadaient aux enfants de déposer de riches offrandes dans le trésor du temple, qui était sous leur garde, au détriment de l’assistance de leurs parents, alors même que ceux-ci étaient dans le besoin.
  5. Chap. xxix, 13.
  6. Jésus-Christ, dans ce passage, ainsi qu’il a coutume de le faire, rappelle les Pharisiens aux dispositions intérieures, comme étant le point essentiel, sans pour cela représenter comme superflues les pratiques extérieures, quand elles sont prescrites par Dieu, ou par la puissance établie de Dieu, par exemple, le jeûne et l’abstinence.
  7. Toute plante, les Pharisiens et leur doctrine.
  8. Ce discours (vers. 11) obscur et énigmatique.
  9. Le mot grec correspondant signifie litt. paroles mauvaises, et s’entend aussi bien de celles qui sont injurieuses à Dieu, que de celles qui blessent l’honneur du prochain
  10. Païenne. Les habitants de Tyr et de Sidon, appelés depuis Phéniciens par les Grecs, descendaient des Chananéens. Allioli.
  11. Cette femme ne dit pas : Seigneur, ayez pitié de ma fille. Ayez, dit-elle, pitié de moi. Mais si elle veut qu’on ait pitié d’elle, qu’elle parle donc de ses maux. Non, je parle, dit-elle, de ceux de ma fille… Vive peinture de l’amour des mères ; vous voyez la merveilleuse communication par laquelle Dieu les lie avec leurs enfants. Bossuet.
  12. Exaucée.
  13. La mission de N.-S. était d’opérer le salut du monde entier ; mais il n’évangélisa pas lui-même les nations païennes, réservant cette œuvre à ses Apôtres. Il voulait d’ailleurs, en parlant ainsi, éprouver la foi de cette femme.
  14. N.-S. s’exprime selon la manière de parler de Juifs, qui s’appelaient enfants de Dieu, et donnaient aux idolâtres, par mépris, le nom de chien. Ce langage est moins dur qu’il ne paraît d’abord ; cette femme savait bien qu’elle était païenne ; pour le lui dire, Jésus emploie une locution proverbiale très-souvent en usage alors, et cela d’une voix et d’un visage où il y avait plus de bonté que de reproche, comme la suite le fait voir.
  15. En gr. Magdala, ville située sur le bord occidental du lac de Génésareth, près de Tibériade, et patrie de Marie Magdeleine, ou Madeleine. Ce n’est plus aujourd’hui qu’un misérable village appelé Medjdel. Si Magédan et Magdala ne sont pas identiques, il faut au moins placer le premier de ces deux endroits dans le voisinage du second.