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Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Matthieu/16

La bibliothèque libre.
Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 105-109).
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saint Matthieu


CHAPITRE XVI


UN SIGNE DU CIEL (Marc, viii, 11-12. — LEVAIN DES PHARISIENS (Marc, viii, 13-20). — CONFESSION ET PRIMAUTÉ DE SAINT PIERRE (Marc, viii, 27-38 ; Luc, ix, 18-27). — JÉSUS PRÉDIT SA PASSION, SA MORT ET SA RÉSURRECTION (Ibid.).


1 Les Pharisiens et les Sadducéens vinrent trouver Jésus pour le tenter, et ils le prièrent de leur faire voir un signe du ciel. Mais il leur répondit : Le soir vous dites : Il fera beau, car le ciel est rouge ; et le matin : Il y aura aujourd’hui de l’orage, car le ciel est d’un rouge sombre. Vous savez[1] donc discerner les aspects du ciel, et vous ne savez pas reconnaître les signes des temps ? Une race méchante et adultère demande un signe, et il ne lui sera pas donné d’autre signe que celui du prophète Jonas[2]. Et, les laissant, il s’en alla.

5 En passant de l’autre côté du lac, ses disciples oublièrent de prendre des pains. Et il leur dit : Gardez-vous avec soin du levain des Pharisiens et des Sadducéens. Et ils pensaient et disaient en eux-mêmes : Nous n’avons pas pris de pain. Mais Jésus, qui voyait leur pensée, leur dit : Hommes de peu de foi, pourquoi vous entretenez-vous de ce que vous n’avez point de pains ? Ne comprenez-vous pas encore, et ne vous souvenez-vous pas des cinq pains distribués à cinq mille hommes, et combien de paniers vous avez remportés ? Ni des sept pains distribués à quatre mille hommes, et combien de corbeilles vous avez remportées ? Comment ne comprenez-vous point que je ne parlais pas de pain quand je vous ai dit : Gardez-vous du levain des Pharisiens et des Sadducéens ? Alors ils comprirent qu’il n’avait pas dit de se garder du levain qu’on met dans le pain, mais de la doctrine des Pharisiens et des Sadducéens.

13 Jésus étant venu aux environs de Césarée de Philippe[3], interrogeait ses disciples, disant : Qui dit-on qu’est le Fils de l’homme ? Ils lui répondirent : Les uns disent que c’est Jean-Baptiste, d’autres Élie, d’autres Jérémie ou quelqu’un des Prophètes[4]. Et vous, leur demanda Jésus, qui dites-vous que je suis ? Simon-Pierre, prenant la parole, dit : Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant[5]. Jésus lui répondit : Tu es heureux, Simon, fils de Jean, car ni la chair ni le sang ne te l’ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux[6]. Et moi je te dis que tu es Pierre[7], et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle[8]. Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux ; et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aussi dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aussi dans les cieux[9]. En même temps, il défendit à ses disciples de dire à personne qu’il était Jésus le Christ[10].

21 Jésus commença dès lors à découvrir à ses disciples qu’il fallait qu’il allât à Jérusalem, qu’il y souffrît beaucoup de la part des Anciens, des Scribes et des Princes des Prêtres, qu’il fût mis à mort et qu’il ressuscitât le troisième jour. Pierre, le prenant à part, commença à le reprendre, en disant : À Dieu ne plaise, Seigneur ! cela ne vous arrivera point[11]. Mais Jésus, se retournant, dit à Pierre : Retire-toi de moi, Satan[12], tu m’es à scandale ; car tu ne goûtes pas les choses de Dieu, mais celles des hommes.

24 Alors Jésus dit à ses disciples[13] : Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il renonce à soi-même, qu’il prenne sa croix et me suive. Car celui qui voudra conserver sa vie, la perdra ; et celui qui perdra sa vie pour l’amour de moi, la trouvera. Et que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il vient à se perdre soi-même ? Et que donnera l’homme en échange de soi-même[14] ? Car le Fils de l’homme viendra dans la gloire de son Père avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon ses œuvres. En vérité, je vous le dis, plusieurs sont ici présents, qui ne goûteront point la mort, qu’ils n’aient vu le Fils de l’homme venant dans l’éclat de son règne[15].

  1. En grec, Hypocrites, vous savez, etc.
  2. Voyez plus haut, xii, 39.
  3. L’ancienne Paneas, embellie et agrandie par le tétrarque Philippe, qui l’appela Césarée en l’honneur de César Tibère.
  4. Ne sachant pas distinguer entre les deux avénements du Messie annoncés par les Prophètes, l’un dans l’humiliation, l’autre dans la gloire, la plupart des Juifs n’attendaient dans la personne du Messie qu’un roi puissant qui les délivrerait du joug des nations étrangères, et ils ne pouvaient se persuader que ce fût Jésus. Cependant, comme ils voyaient en lui une puissance extraordinaire, ils en faisaient soit le précurseur du Messie, soit quelque autre des saints personnages qui, dans leur opinion, devaient à son avénement ressusciter d’entre les morts, pour fonder et étendre son royaume. Allioli.
  5. Le Fils, et non pas fils (l’article se trouve aussi en gr.) : il s’agit donc du Fils unique de Dieu, du Fils de Dieu par nature. — Dieu vivant, c’est-à-dire, dans le style biblique, vrai Dieu, les fausses divinités n’ayant pas même de vie.
  6. C’est de cette parole du Sauveur que vient l’usage de nommer le successeur de S. Pierre, le chef de l’Église, Bienheureux Père, Beatissime Pater, d’où s’est formée cette autre dénomination, Saint-Père. Allioli. — La chair et le sang, l’homme selon la nature, l’homme seulement animal et raisonnable.
  7. C.-à-d. rocher, un homme-rocher. Telle est, par rapport à l’édifice extérieur de l’Église, la signification précise du nom de Pierre (syro-chald. Cèphas), que le Sauveur avait donné à Simon, fils de Jean (Jean, xxi, 16), lors de sa vocation à l’apostolat (Jean, i, 42.) — Les portes, c’est-à-dire le palais, le royaume, et par conséquent la puissance ; nous disons de même : La Porte Ottomane, pour l’Empire ottoman.
  8. L’intention qu’avait Notre-Seigneur de fonder une Église n’est pas exposée dans l’histoire de l’Évangile comme un fait isolé et fortuit ; si elle se révèle avec plus d’éclat dans certaines paroles et certaines actions, elle apparaît partout comme la pensée fondamentale de toute son activité terrestre. Le premier appel qu’il adresse aux hommes est une annonce de cette communauté terréno-céleste : « Faites pénitence, car le royaume de Dieu est proche (iv, 17). » En attachant les Apôtres à sa personne, en les rendant témoins de ses actions, auditeurs assidus de tous ses discours, et en leur expliquant les choses du nouveau règne de Dieu par les paraboles les plus variées, il eut pour but d’en faire des instruments solides de son œuvre. Cette œuvre, il la leur explique ici pour la première fois en paroles claires, et les munit de pleins pouvoirs pour y coopérer (comp. xviii, 14-15). Déjà il avait, en quelque sorte, mis à l’essai ces pêcheurs d’hommes (x, 5, sv.), et avant de les quitter, après leur avoir promis l’assistance de l’Esprit-Saint, qui les instruirait, les dirigerait, les soutiendrait à sa place (Jean, xiv, 16, sv.), il les investira de leur mission par ces paroles solennelles : « Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre ; allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et apprenez-leur à garder tous mes commandements (xxviii, 18-20). » Drey.
  9. Les clefs sont, dans la Bible, le symbole de l’autorité du gouvernement (Is., xxii, 22 ; Apoc., iii, 7). C’est comme si Notre-Seigneur disait à Pierre : Je te donnerai, comme à mon représentant, la direction et le gouvernement suprêmes de mon royaume, c’est-à-dire, d’après le contexte, de mon Église. Cette autorité, qui n’est ici que promise à l’Apôtre, Jésus la lui transmit réellement après sa résurrection par l’ordre trois fois répété : Pais mes agneaux, pais mes brebis. (Jean, xxi, 15.) Tout est soumis à ces clefs, dit Bossuet, rois et peuples, pasteurs et troupeaux. — Que le pouvoir de saint Pierre dût passer à ses légitimes successeurs, c’est une chose claire par elle-même, et que les successeurs légitimes de saint Pierre soient les évêques de Rome, c’est un fait historique constant. « Nous définissons, dit le concile œcuménique de Florence, que le Saint-Siége apostolique, le Pape de Rome, a la primauté spirituelle sur le monde entier, et qu’il est l’héritier du siége de l’apôtre Pierre, le véritable représentant de Jésus-Christ, le Chef de l’Église universelle, le Père et le Docteur de tous les chrétiens, et que plein pouvoir lui a été donné par Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans la personne de saint Pierre, de paître, de gouverner et de conduire l’Église catholique de la manière qu’il est prescrit dans les actes de l’Église universelle et dans les décrets de ses canons. » Allioli.
  10. Quoique la Judée fût paisible à l’époque de Notre-Seigneur, les Juifs détestaient l’étranger ; et, pour s’en affranchir un jour, comptaient sur le Messie ; ils étaient prêts, comme on ne tarda pas à le voir, à saluer de ce titre sacré le premier qui en voudrait user pour relever leur nationalité. Voilà pourquoi, tandis que Jésus se proclame le Fils de Dieu dans Jérusalem, devant les Scribes et les Pharisiens, qui ne savent que lui contredire (Jean, v, 17, sv.), il évite de se manifester de la même sorte parmi les populations de la Galilée, qui se soulèveraient à la nouvelle que le Christ est venu, et que S. Jean (vi, 15) nous montre, frappées de ses miracles, accourant pour le prendre et le faire roi. Wallon.
  11. S. Pierre ne pouvait concilier les souffrances du Seigneur avec sa divinité, et encore bien moins avec l’amour qu’il portait à son divin Maître. Allioli.
  12. Satan, adversaire, tentateur, mauvais conseiller.
  13. Non-seulement je dois souffrir, mais il faut que mes disciples souffrent aussi. Comp. Matth., x, 38, sv.
  14. En enfer. — Dans les vers. 25-26, au lieu des mots : vie, soi-même, il y a littéralement en gr. et en lat. le mot âme, employé ici dans les deux sens de vie présente et de vie éternelle. Notre-Seigneur joue sur cette double signification.
  15. Le judaïsme renversé par la ruine de Jérusalem, et l’Église de Jésus-Christ établie dans les principales contrées du monde. Quelques Pères entendent ces paroles de la Transfiguration, qui eut lieu quelques jours après (voy. Marc, viii, 39, note).