Les Quatre Saisons (Merrill)/En un pays

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Les Quatre SaisonsSociété du Mercure de France (p. 156-158).

EN UN PAYS

En un pays de calmes fontaines,
À l’heure de la mort du soleil,
Quand je défaillerai de sommeil
Après tant d’aventures vaines,

Je panserai enfin mes blessures
Et je purifierai mon âme,
Ô toi dont l’épée de flamme
M’a montré vers Dieu la route sûre.


Malgré le sourire dont j’accueille,
Pour que les lieues ne les effraient pas,
Les frères et les sœurs dont les pas
Se lassent déjà loin du seuil,

Tu sais, ô toi mon confident,
Combien faible est toute ma force
Quand le fardeau me ploie le torse
Sur les traces du vieil Adam.

Un son de cloche dans le crépuscule,
Un mourant au bord de la route,
Les paroles chuchotées par le doute
Et l’allée où l’effort s’accule,

Ô Dieu, puis-je ne pas pleurer,
Malgré le signe de la victoire
Si lointaine, hélas que le soir
Réserve à mon âme lasse d’errer ?


Et lorsque j’aurai connu la contrée
Promise sous le soleil couchant,
Serai-je plus heureux, sachant
Que d’autres se perdent dans la vêprée,

Et ne te prierai-je pas, Dieu trop fier,
En souvenir de mes douleurs proches,
De faire sonner avant la nuit les cloches
Pour appeler des routes mes frères

Vers ce pays de calmes fontaines
Où ils oublieront le soleil
Dans le bon silence du sommeil
Après tant d’aventures vaines ?