Les Quatre Saisons (Merrill)/La Maison de la vieille

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Les Quatre SaisonsSociété du Mercure de France (p. 203-205).

LA MAISON DE LA VIEILLE

Le crépuscule. La petite maison sous la neige
S’assoupissait, porte et volets bien clos,
Laissant à peine, à cette heure des sortilèges,
Glisser, vers celui qui vient mal à propos
Par la route déserte où croassent les corbeaux,
Une lueur méfiante par le trou de sa serrure.


Comme nous passions, le visage mordu par la froidure
Et les doigts bleuis entre les dents, nous vîmes,

De travers dans la neige, des traces de pas traînés
De la forêt jusqu’à la maison où une victime
Semblait avoir saigné.

Semblait avoir saigné. Près de la porte, abandonnés,
Deux sabots noirs attendaient la sortie
De la vieille à qui nous parlions, l’automne, au bois,
Quand elle cherchait des escargots dans les orties.


Nous voulûmes frapper à la porte. Mais, sans voix,
Et tremblant un peu — ce ne fut pas seulement de froid, —
Nous nous arrêtâmes devant le seuil de pierre
Où les deux sabots semblaient vouloir chausser la Mort
Qui vient parfois, quand les vieilles disent leurs prières,
Regarder par le trou de la serrure des chaumières.


Pourtant nous savions malgré notre malaise
Que la bonne vieille au coin du feu, dans sa grande chaise,
Se dodinait, écoutant chanter la soupe aux choux,

Entre sa chienne pelée et son maigre matou,
Et que bientôt, tirant les courtines rouges du lit,
Elle se coucherait sans savoir si cette nuit
Serait sa dernière sur cette terre qui lui fut dure.

La lumière filtrait, comme du sang, par la serrure.

Et nous partîmes sans dire un mot, vers le village
Où les buveurs chantaient déjà autour des pots,
Ayant eu peur de la porte close et des sabots,
Arrêtés sur le seuil, comme au terme d’un voyage.