Les Romans de la Table ronde (Paulin Paris)/Lancelot du lac/48

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Léon Techener (volume 4.p. 5-20).


XLVIII.



Nous avons passé rapidement[1] sur ce qui était arrivé à mess. Gauvain dans le carrefour des Sept voies. Provoqué par un chevalier facilement réduit à demander merci, il lui avait ordonné de se rendre à la cour d’Artus, pour remettre à Hector des Mares l’épée dont lui faisait don la demoiselle de Norgalles[2]. Le carrefour passé, mess. Gauvain chevaucha jusqu’à la rivière qui partageait en deux la forêt, et bientôt il fit rencontre d’un clerc revêtu, marchant à grands pas. « Damp clerc, demanda-t-il, êtes-vous prêtre ou ermite ? — Sire, je suis un simple clerc, et je vais en toute hâte à l’ermitage voisin du château de Loverzep. Le prêtre m’y attend pour commencer l’office de Vêpres. — N’est-il pas dans la forêt d’autre religion ? — Il y en a deux : vous avez dépassé celle qui est avant le carrefour des Sept voies. L’autre, éloignée de toute habitation, est nommée le Repost. Pour la maison où je suis attendu, c’est dit de la Croix parce que là fut posée, dans les temps anciens, la première croix élevée dans la Grande-Bretagne[3]. De Loverzep on compte deux lieues, et il n’y a pas d’asile plus rapproché, tant le pays est ruiné par la guerre émue entre le duc Escaus de Cambenic et le roi de Norgalles. Demain, au point du jour devra se faire devant Loverzep une grande assemblée des deux partis ; si vous m’en croyez, sire, vous viendrez passer la nuit à l’ermitage de la Croix. » Le jour tombait et mess. Gauvain jugea qu’il n’avait rien de mieux à faire. « Montez en croupe, dit-il au clerc. — Oh non ! sire, je suivrai l’amble de votre cheval. » Mais mess. Gauvain suivit le clerc au lieu de le précéder. Arrivés à la maison de religion, l’ermite qui l’habitait en ouvrit la porte en souhaitant la bienvenue au chevalier, tandis que le clerc se chargeait d’établer le cheval. Le prêtre après avoir désarmé messire Gauvain alla dire ses vêpres, et quand il eut fini, le manger fut disposé, frugal on doit le penser car l’ermite vivait de peu, et l’on était au vendredi.

Après le souper, l’ermite demanda au chevalier s’il était au roi Artus. « Oui, damp ermite. — Je dois connaître votre nom, car les chevaliers de la maison du roi Artus sont les plus renommés du siècle. — Comment pouvez-vous le savoir ? — Par un chevalier qui, après avoir servi le monde, a longtemps partagé ma solitude. Il se nommait messire Allier. En quittant le siècle, il avait laissé à Marest, son fils, une terre dépendante de la dame de Roestoc. Mais Marest ne put la défendre contre un baron nommé Ségurade, qui faisait à la dame de Roestoc une guerre opiniâtre. Quand il eut tout perdu, il vint raconter ici ce qui lui était arrivé. Or, messire Allier, pour s’être voué à Dieu n’en était pas moins resté d’os et de chair ; il me prit à conseil : Père, dit-il, celui qui ruine et dépouille son voisin, sans avoir une injure à venger, n’est-il pas pire que les Sarrasins[4] ? — Peut-être aussi mauvais, ai-je répondu, mais non pire. — Et Jésus-Christ me tiendrait-il compte de mon voyage, si j’allais le venger outre-mer ? — Assurément. — Eh bien ! j’irai combattre ceux qui ne valent pas mieux que les Sarrasins. » Il prit congé de moi, et se maintint dans la seule tour restée de son héritage, sans renoncer pourtant aux draps de religion. Je pense même qu’il ne tardera pas à revenir, car on m’a dit qu’un preux chevalier errant avait réduit à merci le tyran Ségurade[5]. Messire Allier me parlait souvent des chevaliers de la maison du roi Artus, de messire Gauvain, de Sagremor le desréé ; surtout il m’avait recommandé de ne jamais voir un compagnon de la Table-Ronde sans chercher à connaître son nom.

« — Je n’ai jamais caché le mien, dit alors le chevalier ; et je ne veux pas commencer avec vous. On m’appelle Gauvain, le neveu du roi Artus. – Ah ! messire Gauvain, soyez de tous les chevaliers le mieux venu ! Tout le siècle parle de votre prouesse, et j’ai honte de vous avoir si peu honoré. Vous plairait-il de dire où vous allez ? – Oui ; je voudrais gagner la terre du prince Galehaut, le fils de la Géante[6], et j’ai l’espoir d’y trouver un jeune chevalier qui passe en prouesse tous les autres. Vous m’avez parlé d’une guerre émue entre le roi de Norgalles et le duc de Cambenic : de quel côté pensez-vous que soit le bon droit ? — Du côté du duc Escaus : car le roi Tradelinan avait profité d’un séjour du duc à la cour du roi Artus pour fortifier un château qui donne entrée à la terre de Cambenic : mais plus tard, le duc Escaus l’a repris et donné à un preux chevalier, ami de l’une des deux filles de Tradelinan. »

Gauvain reconnut, dans le preux chevalier dont parlait l’ermite, son frère Agravain qu’il avait naguères retrouvé dans ce château des marches de Norgalles. « Jusqu’au présent jour, continua l’ermite, le duc a gardé l’avantage ; mais, comme il a perdu son fils, il ne voudra pas entendre à la paix avant d’avoir vengé cette mort. — J’irais volontiers, dit mess. Gauvain, à l’assemblée dont vous me parlez, si vous pouviez m’indiquer la voie. »

L’ermite fit un signe au clerc qui se leva et conduisit aussitôt mess. Gauvain jusqu’aux abords de Loverzep. En sortant de la forêt de Brequehan, ils virent les deux partis déjà aux prises. Les chevaliers du roi de Norgalles semblaient en avoir le meilleur. Mess. Gauvain, quand il eut donné congé à son guide, hésita quelque temps avant de prendre fait et cause pour un parti. Du côté de Norgalles il voyait un chevalier faisant de merveilleuses prouesses ; personne ne lui résistait, il paraissait devoir emporter l’honneur de la journée. C’était Giflet fils Do, le même qu’Hector avait naguères abattu devant la Fontaine du Pin[7]. Il s’était mis avec les chevaliers de Norgalles, sans trop savoir de quel côté était le droit. Mess. Gauvain cependant laçait son heaume, puis allait enfin se placer au premier rang des chevaliers de Cambenic. Bientôt il pénétrait dans les rangs des Norgallois, et les faisait renoncer à poursuivre leurs adversaires, frappant devant lui à droite et à gauche, renversant tous ceux qui tentaient de le retenir. « Quel peut être ce chevalier ? » pensait Giflet ; il vaut à lui seul une échelle entière. » Et brochant des éperons, il voulut tenter de l’arrêter à son tour : mais du premier choc il fut renversé, et quand son écuyer l’ayant remonté il voulut suivre celui qui lui avait donné une si rude leçon, non pour tenter une revanche mais afin de savoir qui il était, les Norgallois, privés du secours de Giflet et menacés par un autre chevalier plus terrible, plient, reculent et enfin abandonnent le champ de bataille. Or mess. Gauvain n’avait pu reconnaître Giflet, qui n’était pas adoubé de ses armes ordinaires : vous pouvez juger de leur joie commune, quand ils eurent levé leurs ventailles et qu’ils racontèrent ce qui leur était arrivé depuis la fâcheuse aventure de la Fontaine du Pin. Cependant, comme les guerriers de Norgalles se retiraient, le duc Escaus aperçut le neveu du roi Tradelinan, celui qu’il accusait du meurtre de son fils ; il le joignit, l’abattit et lui trancha la tête. Pour mess. Gauvain et Giflet, ils ne songèrent qu’à échapper aux remercîments de ceux qui leur devaient la victoire ; et, la nuit commençant à tomber, on ne les vit pas s’éloigner et prendre le chemin ferré qui devait les conduire à l’entrée de la forêt.

La lune blanchissait déjà la plaine, quand ils y arrivèrent. Là sous un chêne étaient arrêtées deux jeunes pucelles. « Oh ! »dit Giflet, « l’agréable rencontre ! Dieu vous sauve, demoiselles ! — Et vous, seigneurs, soyez les bien venus ! Nous vous attendions impatiemment. — Comment saviez-vous que nous passerions ici ? — Nous l’espérions au moins. » Sans plus enquérir, les deux amis descendent, quittent heaume, épée, haubert. Mess. Gauvain s’en va prendre par la main celle qu’il jugeait la plus belle ; Giflet s’adresse à la seconde, et bientôt, assis tous quatre sur l’herbe menue, les demoiselles sont en même temps priées d’amour. Mais si la requête de Giflet est gracieusement accueillie, il en est autrement de celle de mess. Gauvain. « Non, sire, » dit la première pucelle, « votre amour serait trop mal employé. Je suis une pauvre fille, de pauvre beauté, et je vous ai attendu pour vous conduire à la plus belle et gentille demoiselle que vous puissiez désirer. — Je n’en veux rien croire, répond mess. Gauvain ; comment trouverai-je demain mieux que je n’ai aujourd’hui rencontré ? — Parlez autrement, sire : quand vous aurez vu la dame à qui je suis, vous changerez d’avis et vous me saurez gré de n’avoir pas fait en ce moment votre volonté. — Quelle est donc cette incomparable merveille ? — Veuillez seulement me suivre. — Allons ! j’y consens. Vous, Giflet, ne viendrez-vous pas avec nous ? — Demandez à ma nouvelle amie si elle y consent. — Non, répond la pucelle, j’entends de mon côté mettre à l’épreuve la prouesse de mon nouveau chevalier. »

Gauvain n’insista pas ; il reprit ses armes, aida la demoiselle à monter sur son palefroi, recommanda les nouveaux amants à Dieu, et remonta lui-même. En avançant dans la forêt, ils ne furent pas longtemps sans arriver devant un grand feu. Deux écuyers les accostèrent et demandèrent à la demoiselle quel chevalier l’accompagnait ? « C’est le meilleur de mes amis. » Les valets s’inclinèrent puis aidèrent le chevalier à descendre. L’un prend son heaume, l’autre son écu ; une seconde demoiselle pose un riche manteau sur ses épaules et fait porter ses armes dans le pavillon. La salle était garnie d’un beau lit, et près de ce lit une table couverte de mets ; mess. Gauvain s’asseoit : quand les nappes sont levées, la première demoiselle propose une promenade dans le bois. Tout en marchant, mess. Gauvain lui demande à quelle intention avait été disposé le pavillon ? — « A la vôtre, sire, et pourtant on ne sait pas ici votre nom. Mais combien s’est méprise la dame qui vous attend, en supposant que nulle femme n’était digne d’aspirer à votre amour ! Je sais déjà ce qu’il faut en penser, ajouta-t-elle en souriant ; mais rassurez-vous ; je ne dirai pas les raisons qui peuvent m’en faire douter. — Grand merci, demoiselle ! Or savez-vous où s’en est allé Giflet ? — Il va soutenir la cause de la pucelle qui l’a charmé. Cette demoiselle avait aimé longtemps un chevalier puis elle apprit qu’il ne l’aimait plus : elle alla lui redemander les drueries[8] qu’il en avait reçues. Pour toute réponse le chevalier lui montra sa nouvelle amie qu’il en avait parée. Je saurai bien, dit la demoiselle indignée, vous contraindre à me les rendre. — Vous ! et par quel moyen ?Par un chevalier plus preux que vous n’êtes. — En vérité, je serais curieux de voir cela ; et, pour vous contenter, je m’engage à ne pas m’éloigner d’ici avant un mois. Votre preux chevalier pourra m’y trouver.

« Or une pucelle nous avait hier averties que mess. Gauvain devait traverser aujourd’hui cette forêt avec un autre chevalier de la maison du roi Artus. Messire Gauvain devait être facile à reconnaître au sinople de son écu. Devisant ainsi, mess. Gauvain et la demoiselle rentraient dans le pavillon. Un lit y était préparé ; la demoiselle ne souffrit pas qu’un autre lui ôtât ses chausses ; et quand il fut couché, elle resta près de lui jusqu’à ce qu’il eût fermé les yeux : alors elle s’étendit aux pieds du lit et s’endormit elle-même. Le matin venu, mess. Gauvain demanda ses armes ; deux écuyers l’aidèrent à les revêtir et il se remit à la voie avec la demoiselle : Après avoir chevauché une grande partie du jour, ils arrivèrent devant la forte maison d’une tante de la demoiselle, où il fut honorablement reçu sans avoir besoin de dire son nom. Mais pendant qu’ils étaient à table, deux valets entrèrent, l’un fils et l’autre neveu de l’hôtesse. « Quelles nouvelles ? » demande la dame. — « Des plus mauvaises : mon père n’a plus à réclamer que vos prières pour son âme ; le duc Escaus fait préparer pour demain son supplice. »

La dame pâlit et devient plus morte que vive. « Qu’y a-t-il ? demande mess. Gauvain. — Sire chevalier, répond le valet, mon seigneur de père est un des vassaux du duc Escaus : durant la guerre que nous soutenons encore, le fils du duc fut tué par les gens du roi de Norgalles. Mon père, il n’était pas même avec ceux qui le frappèrent, fut accusé d’avoir eu part à sa mort parce qu’il avait eu, quelques jours auparavant, un entretien avec le jeune fils du roi. Le sénéchal de Cambenic se porta pour son accusateur, et Manassès, c’est le nom de mon père, ne put convaincre les barons de la cour de son innocence. Il ne pourrait, vu son grand âge, défendre lui-même sa cause contre le sénéchal, un des plus forts chevaliers de la contrée ; et la crainte que l’accusateur inspire a détourné tous les champions de se présenter contre lui : c’en est donc fait de mon seigneur de père. »

Pendant ce récit, la demoiselle fondait en larmes. « Bel ami, dit mess. Gauvain, retourne vers ton père, annonce-lui qu’un chevalier viendra demain fournir sa bataille. » Les deux valets rendent grâce au généreux chevalier et remontent aussitôt, remplis d’une espérance inattendue.

Le soir même, ils avaient fait assez de diligence pour que le duc Escaus fût averti qu’un champion se présenterait le lendemain contre le sénéchal. On disposa les barrières dans une grande plaine voisine du château où le combat devait avoir lieu.

Pour mess. Gauvain, après avoir bien dormi la nuit il se leva et s’enquit, pour ne pas être reconnu, d’un écu différent de celui qu’il avait déjà porté devant Loverzep. On n’en trouva dans la maison qu’un seul, vieux, noir et à demi rompu. Mess. Gauvain s’en contenta comme s’il eût été digne de lui. Au sortir de la messe, il demanda son cheval et se rendit à l’endroit où se trouvait le duc, en avant des lices. On apporte les saints, le duc jure le premier de faire justice de celui qui serait jeté hors du champ ; le sénéchal et ses garants jurent ensuite que Manassès avait eu part à la mort du fils du duc ; mess. Gauvain à son tour dément le sénéchal.

Alors ils traversent un large fossé sur un pont tournant qu’on revida après eux. La foule rangée en haie le long du fossé occupait tout le versant de la montagne au pied de laquelle avaient été dressées les lices. La femme de Manassès et la demoiselle sa nièce allèrent s’enfermer dans une chapelle voisine, pour prier Dieu d’accorder la victoire au défenseur du bon droit.

Les deux chevaliers prennent du champ et reviennent l’un vers l’autre. Les écus reçoivent le premier choc, les lances éclatent : mess. Gauvain juge, à la rudesse de la première atteinte, qu’il a devant lui un vigoureux champion. « Sénéchal, lui dit-il, demeurons-en là, je vous le conseille. Grand dommage serait pour vous de mourir en péché de mensonge ; sauvez l’âme, si vous en avez plus souci que du corps ; démentez ce que vous avez à tort avancé. Manassès est innocent, je le sais ; je m’engage à faire votre paix avec lui. — C’est à toi, chevalier, répond le sénéchal, de demander merci ; celui qui m’outrera n’est pas encore né. » Ils en viennent donc aux épées ; mess. Gauvain assène au sénéchal un coup qui l’étourdit ; il en frappe un second, et rougit le terrain du sang qu’il fait jaillir des mailles du haubert. Mais il ne se hâte pas d’en finir avec un ennemi dont il aime à suivre la défense désespérée. La foule assemblée sur les fossés était plus impatiente : un sergent va dans le moutier prévenir les dames que le combat se prolonge et que l’issue en est incertaine. La nièce ne peut dominer son impatience : elle sort de la chapelle et va se placer toute tremblante sur le tertre qui dominait les lices. À la vue du sang qui semblait ruisseler des hauberts, ses yeux se troublent, elle ferme les yeux et tombe pâmée sur l’herbe.

Non moins curieux et non moins attentif aux chances du combat, le jeune Lionel se tenait près de là. Il avait dû passer par Loverzep pour se rendre du Sorelois à la cour du roi Artus, et il avait arrêté son cheval justement à l’endroit où venait de tomber la demoiselle. Telle était l’attention qu’il donnait aux deux combattants qu’il ne l’avait pas aperçue. « Reculez-donc ! » lui crie brusquement un chevalier qui s’avançait pour la relever ; et prenant le cheval par le frein, peu s’en faut qu’il ne jette à bas le valet. Lionel furieux tire son épée et il allait frapper, quand la demoiselle en se relevant l’avertit qu’un écuyer ne doit pas s’attaquer à chevalier. Il baisse aussitôt le fer, et s’adressant au chevalier : « Je ne voyais pas, sire, cette demoiselle, tant j’avais les yeux attachés sur ces deux combattants. Je les trouve bons ; mais, à tout prendre, ils ne valent pas ceux que je viens de quitter. — Et quels sont-ils, beau sire, dit en riant le chevalier, ces preux que vous quittez ? — Peu vous importe ; mais si l’un d’eux vous tenait, vous ou ceux que je vois là aux prises, je suis bien sûr que vous donneriez bien pour vous dégager tous les honneurs de Galehaut. » Lionel se mordit les lèvres après avoir prononcé le nom de Galehaut mais, tout en donnant quelque répit au sénéchal, mess. Gauvain avait recueilli ces paroles, et avait aussitôt supposé que le valet pourrait lui donner des nouvelles du grand ami de Galehaut. Il entendit ensuite la demoiselle s’écrier : « Gauvain, messire Gauvain ! on vous tient pour le meilleur chevalier du monde ; vous laisserez-vous ainsi malmener ! — Eh, demoiselle ! dit Lionel, que parlez-vous de messire Gauvain ? Ce n’est pas lui qui se laisserait ainsi travailler par un seul champion. » Tous ces mots entendus par mess. Gauvain hâtèrent la fin du sénéchal. D’une dernière atteinte, le neveu d’Artus l’étourdit et d’un coup de poing le jeta hors des arçons. Cela fait, il descend, délace le heaume, abat la ventaille du vaincu, et attend qu’il crie merci. Mais le sénéchal n’avait plus la force de prononcer un mot ; et mess. Gauvain, à son grand regret, lui trancha la tête qu’il vint déposer aux pieds du duc Escaus. Aussitôt le corps fut conduit aux fourches, pendant que mess. Gauvain, sourd aux prières du duc qui voulait le retenir, et aux actions de grâces des parents de Manassès, brochait le cheval des éperons : car il était impatient de rejoindre le valet qui avait prononcé le nom de Galehaut. Seulement il se promit, aussitôt après avoir parlé à ce valet, de venir reprendre la nièce de Manassès, et de la suivre jusqu’à la demeure de la belle inconnue dont elle lui avait parlé.

  1. Tome I, p. 332.
  2. Tome I, p. 329.
  3. Saint Graal, p. 302.
  4. Le ms. 751, fo 124 porte : « Pire que Saladin ». Ce nom semble rapporter la composition à la fin du douzième siècle ; vers 1190.
  5. Voyez t. I, p. 310.
  6. Dans le Tristan, la « géande » est femme de Brunor de l’Île aux géants ; elle meurt ainsi que Brunor de la main de Tristan, et Galehaut leur fils, arrivé pour les venger, pardonne au meurtrier. – Pour ce qui est d’Allier, son histoire est racontée un peu autrement, dans la partie inédite du livre d’Artus (ms. 337). Il était seigneur de Taningue et avait vu mourir tous ses fils, à l’exception du plus jeune, dans un combat contre les Saisnes qui avait aussi rendu veuve la dame de Roestoc. Alors Allier avait pris les draps de religion et n’avait plus fait parler de lui. On lui donne pour fils Helain de Taningue, que nous avons vu (t. I, p. 315), armé chevalier par mess. Gauvain. C’est le même fonds de récit vaguement suivi par l’auteur du roman de Tristan.
  7. Voyez t. III, p. 292.
  8. Gages d’amitié. Voy. t. I, p. 305.