Les Roses (Ausone)

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Traduction par Étienne-François Corpet.
Œuvres complètesC.L.F. Panckoucke, éditeurTome II (p. 121-125).

XIV. Les Roses.

C’était au printemps : la douce haleine du matin et sa piquante fraîcheur annonçaient le retour doré du jour. La brise froide encore, qui précédait les coursiers de l’Aurore, invitait à devancer les feux du soleil. J’errais par les sentiers et les carrés arrosés d’un jardin, dans l’espoir de me ranimer aux émanations du matin. Je vis la bruine peser suspendue sur les herbes couchées, ou retenue sur la tige des légumes ; et, sur les larges feuilles du chou, se jouer les gouttes rondes et lourdes encore de cette eau céleste. Je vis les riants rosiers que cultive Pæstum briller humides au nouveau lever de Lucifer. Çà et là, sur les arbrisseaux chargés de brouillards, luisait une blanche perle qui devait mourir aux premiers rayons du jour. On doute si l’Aurore emprunte aux roses son éclat vermeil, ou si le jour naissant donne à ces fleurs la nuance qui les colore. Même rosée, même teinte, même grâce matinale à toutes deux ; car l’étoile et la fleur ont pour reine Vénus : même parfum peut-être ; mais le parfum de l’une se dissipe dans les hautes régions des airs : plus rapproché, on respire mieux le parfum de l’autre. Déesse de l’étoile et déesse de la fleur, la divinité de Paphos a voulu leur donner à toutes deux la couleur de la pourpre.


Le moment était venu où les germes naissants de ces fleurs allaient se développer en même temps. L’une verdoie couverte encore d’un étroit chapeau de feuilles : l’autre se nuance déjà d’un rouge filet de pourpre. Celle-ci commence à découvrir la cime effilée de son haut obélisque, et laisse poindre sa tête empourprée : celle-là déploie le voile étendu sur son front, avide déjà de faire compter ses feuilles nombreuses ; et sans plus attendre elle étale les richesses de son riant calice, et livre au jour la poussière dorée qu’il renferme. Une d’entre elles, qui rayonnait naguère de tous les feux de sa chevelure, pâlit abandonnée de ses feuilles qui tombent. J’admirais les rapides ravages du temps dans sa fuite, et ces roses que je voyais éclore tout ensemble et vieillir. Et voici que la chevelure empourprée de la fleur radieuse se détache au moment où je parle, et la terre brille jonchée de sa rouge dépouille. Et toutes ces formes, toutes ces naissances, toutes ces transformations variées, un seul jour les produit, un seul jour les enlève. Nous nous plaignons, nature, que la beauté des fleurs soit fugitive : les biens que tu nous montres, tu les ravis aussitôt. La durée d’un jour est la durée que vivent les roses : la puberté pour elles touche à la vieillesse qui les tue. Celle que l’étoile du matin a vue naître, à son retour le soir elle la voit flétrie. Mais tout est bien : car, si elle doit périr en peu de jours, elle a des rejetons qui lui succèdent et prolongent sa vie. Jeune fille, cueille la rose, pendant que sa fleur est nouvelle et que nouvelle est ta jeunesse, et souviens-toi que ton âge est passager comme elle.