Les Voyages de Milord Céton dans les sept Planettes/Quatrième Ciel/Chapitre II

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CHAPITRE II.

Zachiel, qui étoit présent à cette conversation, m’avertit que ce n’étoit que par des actions héroïques, qu’on pouvoit acquérir la gloire d’occuper une place dans ce grand livre, sans quoi tout ce que les vulgaires écrivains entreprenoient d’y tracer, étoit facilement effacé par l’envie ou la jalousie, qui ne pardonnent rien, mais dont les traits s’émoussent, & ne peuvent jamais ternir la réputation des personnes que le ciel a douées d’un vrai mérite & d’un courage invincible. On ne peut, ajouta le génie, décider du rang ni de la place que méritent les grands hommes qu’après leur mort, parce qu’il en est qui perdent dans les derniers momens de leur vie, une partie de la gloire qu’ils ont acquise pendant plusieurs années, & d’autres qui sont encore plus grands en mourant, qu’ils ne l’ont été lorsqu’ils jouissoient d’une parfaite santé.

Scipion, beau-père de Pompée, rétablit au moment de sa mort la mauvaise opinion qu’on avoit eue de lui ; il montra par sa confiance & sa hardiesse, que les personnes qui ont paru les plus foibles, peuvent quelquefois s’élever jusqu’à la grandeur d’ame des héros. Scipion ayant été jetté sur les côtes d’Afrique par une horrible tempête, son vaisseau pris par les ennemis, il voulut sauver en sa personne la gloire de son nom, & ne put souffrir que l’Afrique, accoutumée à les voir vaincre, en vît mettre aux fers. Aussi grand que le vainqueur de Carthage, il dompta les horreurs de la mort, en s’enfonçant son épée dans le sein. Cet exemple, mon cher Céton, doit vous suffire pour apprendre que les derniers momens de la vie doivent être regardés comme la pierre de touche qui distingue les héros & les vrais philosophes, d’avec ceux qui n’en ont usurpé que le nom.

Nous fûmes interrompus par un homme ; qui nous dit en accourant vers nous, un fouet à la main : messieurs, je suis le postillon anglois ; je vous garantis de vous mener d’ici au temple sans vous verser ; voulez-vous un carrosse, une délassante, une chaise de poste, un diable, un cabriolet ? Choisissez ; nous avons ici des voitures de toute espèce. Ôte-toi, dit celui-ci, tu n’es qu’un babillard ; ces messieurs méritent bien d’aller sur Pégase ; il est tout bridé & tout sellé, & n’attend que vous pour partir ; c’est l’animal le plus doux qu’il y ait au monde, il se laisse très-facilement monter ; profitez-en, belle déesse ; je vous proteste que vous arriverez au temple en un clin d’œil. Un coureur s’avançant d’un air fier & audacieux, nous dit d’un ton organisé, qu’il étoit l’avant-coureur, qu’il proportionnoit ordinairement sa course aux dons qu’on lui faisoit. Il fut encore suivi de quantité de savans, qui, tous à prix d’argent, nous vinrent offrir l’immortalité.

Excédés de toutes ces offres, & de cette foule de marchands de réputation, dont le nombre s’augmentoit à chaque instant, nous prîmes le parti de nous en débarrasser ; mais nous ne le pûmes faire qu’en acceptant de gros volumes de louanges, qu’ils nous donnèrent à très-bon compte, & qui nous mettoient tout au moins de niveau avec les plus fameux héros & héroïnes de l’antiquité.

La renommée s’annonça aussi-tôt avec ses cent bouches & ses cent trompettes, dont elle entonna nos prétendus beaux faits ; son cheval ailé fut en même tems attelé à notre char ; dans un moment nous fûmes portés jusqu’aux nues, & sans avoir touché aux rochers, nous nous trouvâmes dans la grande place du temple.

Je voudrois bien ne nous point engager plus avant, dit Monime, sans faire ici une halte ; nous sommes à jeun, & je me sens trop foible pour aller plus loin. Que dites-vous, reprit Zachiel, en l’interrompant brusquement ? Est-ce ici qu’il faut parler de boire & de manger ? Apprenez, belle Monime, qu’au séjour de la gloire, on ne se repaît que de vent & de fumée : on ne s’enivre que de son mérite & de soi-même ; dormir à l’ombre de ces lauriers, recevoir de l’encens, jetter de la poudre aux yeux : voilà la vie & la seule occupation des héros immortels.

Monime ne parut pas goûter ce régime d’immortalité ; déjà elle se préparoit à visiter sa boëte aux confitures seches, lorsque tout-à-coup nous nous vîmes investis d’un tourbillon de fumée fort odoriférante. Survint ensuite un coup de vent, qui sembla ranimer des volcans de soufre & de salpêtre, qui répandirent dans toute cette place une nouvelle fumée, qui, se confondant avec l’autre, paroissoit enivrer tous les spectateurs. Ne pouvant soutenir la force de ce vent, Zachiel nous fit passer sous un vestibule : vous voici, nous dit-il, au milieu des héros les plus vantés de l’univers.

Notre étonnement à la vue de cette singulière compagnie ne peut s’exprimer ; des visages balafrés, des yeux crevés, des crânes hachés, des oreilles coupées, des bras en écharpe, des jambes de bois, des corps couverts de plaies & d’emplâtres, des femmes enfin à qui on avoit arraché une mammelle ; tels furent les affreux objets qui se présentèrent à nos yeux.

Où sommes-nous, grand dieu ! s’écria Monime toute éperdue. Ah ! méchant Zachiel, vous nous avez trompés ; quel plaisir avez-vous de nous prendre ainsi pour vos dupes ? Pourquoi me forcez-sous d’entreprendre un long voyage ? Pourquoi exciter ma curiosité par des histoires qui n’ont nulle sorte de rapport à ce que je vois ? Pourquoi enfin vous engager de nous introduire dans le sanctuaire de l’immortalité, lorsque je m’apperçois que toutes ces magnifiques promesses n’aboutissent qu’à nous conduire dans un hôpital ?

Le génie souriant de son erreur, dit qu’il étoit fâcheux pour ces malheureux officiers de n’avoir excité que sa frayeur, lorsqu’ils devoient au moins s’attendre à lui inspirer des sentimens d’admiration ; que ce n’étoit que par de pareils accidens qu’on pouvoit prétendre à la gloire. Quoi ! dit Monime, vous prétendez encore me persuader que nous sommes ici dans un temple ? Assurément, reprit Zachiel, vous êtes sous un de ces portiques ; mais entrons sous cette vaste colonnade qui est à gauche.

Monime, effrayée de voir se mouvoir une grande tour qui étoit au milieu, fit un cri, craignant qu’elle ne tombât sur nous. Cette tour que des machines à-peu-près semblables à nos ailes de moulin à vent faisoient tourner rapidement, nous représenta plusieurs figures que son mouvement paroissoit animer. Le trouble de Monime augmenta à cet aspect, & malgré l’envie qu’elle avoit d’apprendre ce que signifioit une décoration aussi extraordinaire, je remarquai qu’elle eût voulu en être bien loin ; mais Zachiel attentif à tous ses mouvemens, fixa enfin son attention : regardez ces différens héros ; celui-ci que vous voyez nonchalamment appuyé sur le bras de son écuyer, est le grand Cyrus, qui transféra l’empire des Mèdes aux Perses, qui a gagné une infinité de batailles, conquis des provinces entières, qui traversa l’Asie, la Médie, l’Hircanie, la Perse, & ravagea enfin plus de la moitié du monde qu’il habitoit. C’était sans doute, dit Monime un prince ambitieux, qui vouloit que toute la terre lui fût soumise ? Point du tout reprt Zachiel, l’amour seul le porta à tous ces désordres ; il vouloit seulement délivrer la princesse Mandane, dont il étoit passionnément amoureux ; cependant cette princesse lui fut enlevée huit fois. Voilà, dis-je, une beauté qui a passé par bien des épreuves. Cela est vrai ; mais tous ses ravisseurs étoient d’illustres scélérats, qui eurent néanmoins assez de vertu pour la respecter ; ils n’osèrent jamais la toucher seulement du bout du doigt ; & si son écuyer pouvoit vous parler, il vous en raconteroit des merveilles.

Cet autre qui paroît est Romulus, premier roi des romains, que ses citoyens firent mourir, & assurèrent ensuite qu’il étoit monté au ciel. Voici Codrus, roi d’Athènes, qui se dévoua lui-même à la mort pour le service de sa patrie. Je serois curieux, dis-je, de savoir qui est cette belle qui paroît d’un air si fier : c’est Clélie, la plus illustre de toutes les dames romaines ; c’est elle qui passa le Tibre à la nage, pour se dérober du camp de Porcenna.

Voilà, dit Monime, une héroïne qui me paroît bien pesamment armée ; ne seroit-ce point quelque reine des amazones ? C’est la pucelle d’Orléans, dit Zachiel : vous ne devez pas ignorer que ce fut elle qui délivra la France du joug des anglois. Celle que vous voyez dans l’enfoncement est Zénobie, reine de Palmire, qui gouverna ce royaume avec autant de sagesse que de douceur pendant plus de trente ans, jusqu’au tems qu’Aurelien vint lui déclarer la guerre. Ce prince, après l’avoir vaincue l’emmena captive à la suite de son char de triomphe. Il fit mourir Hernianus & Timolaüs ses deux fils. Voici Elisabeth, reine d’Angleterre ; sa gloire eût été parfaite si elle ne l’eût pas ternie par la mort du comte d’Essex, & par celle de Marie Stuart, reine d’Écosse. On a prétendu que la jalousie avoit eu beaucoup de part aux raisons qui la déterminèrent à prononcer ces deux condamnations.

Alors on entendit comme une espèce d’ouragan excité par plusieurs vents qui se combattoient. Le vent de la gloire & celui de l’immortalité paroissoient lutter contre celui de la jalousie. La renommée souffloit du côté du midi. Au septentrion les vents de l’envie & de la calomnie faisoient un fracas épouvantable ; ils agitèrent cet édifice avec tant de violence, qu’ils firent tomber des lambris & des colonnades, différentes figures qui excitèrent encore notre curiosité.

Voici, nous dit Zachiel, un roi de Phrigie, qui a été le prince le plus riche de son tems, & celui dont les lumières, l’esprit & la politique ont été le plus utiles à ses peuples, en lui faisant découvrir tous les secrets de ses alliés & les ruses de ses ennemis. Ce monarque sut si bien profiter des dons qu’il avoit reçus du ciel, en les faisant servir à la gloire de son royaume qu’il rendit ses sujets parfaitement heureux : ou le nomme Midas. Quoi ! dit Monime, seroit-ce Midas qu’on dépeint avec des oreilles d’âne, & que la demande indiscrète qu’il fit à Bacchus de changer tout ce qu’il toucheroit en or, a fait mourir de faim ? Lui-même ; c’est ce qui prouve que la postérité gâte souvent, par des fables allégoriques, les meilleures actions, & en embellit de pitoyables ; témoin l’histoire de cette Lucrèce qui vient de tomber à côté de Midas : vous ne devez pas ignorer la façon dont on publia sa mort ; la lecture a dû vous en instruire : cependant rien n’est si faux que l’histoire qu’on en raconte ; la vérité est que Collatinus, son mari, ayant appris ses intrigues avec le jeune prince, la poignarda lui-même, & fit courir de faux bruits contre les Tarquins, afin de s’emparer de la république conjointement avec Brutus son collègue.

Je m’en suis douté, dis-je, non pas que je présume que toutes les femmes soient coquettes ; mais cette histoire de Lucrèce m’a toujours parue un peu apocryphe, en ce qu’il semble qu’il eût été plus naturel de tourner d’abord ses armes contre celui qui vouloit la déshonorer, ou du moins ne pas attendre que le crime fût consommé pour se tuer.

Monime, excédée de fatigue d’être obligée de lutter sans cesse contre l’impétuosité des vents qui souffloient sans relâche, pria le génie de nous faire passer dans un bâtiment qui étoit à droite. La voûte & les pilastres de ce bâtiment étoient de verre ; plusieurs colonnes de carton soutenoient cet édifice. Sur ces colonnes, noircies par la fumée, & agitées par les vents de même que dans l’autre bâtiment, étoient écrits les hauts faits des héros, tant anciens que modernes. Il est vrai que lorsque les vents viennent à souffler avec violence, plusieurs de ces colonnes en sont renversées ; & quoique les poëtes & les historiens gagés par l’état pour l’entretien de cet édifice emploient une attention extrême à le rétablir, néanmoins il arrive très-souvent, dans ces désordres, qu’ils oublient une infinité de héros, lesquels, par cette négligence, se trouvent frustrés de l’immortalité, malgré les soins qu’ils s’étoient donnés pour la mériter.

Nous vîmes plusieurs personnes se promener, qui nous parurent fort prévenues en leur faveur. Un de ces hommes s’approchant de moi me demanda si je n’étois pas nouvellement arrivé, & ce qu’on disoit de lui dans notre monde. Lorsque vous m’aurez appris votre nom, lui dis-je, peut-être pourrai-je répondre à la question que vous me faites. Je suis Mutius Scevola, noble romain, qui voyant ma ville assiégée par le roi Porsenna, prit congé du sénat, & me rendit dans son camp dans l’intention de le tuer ; mais comme je ne connoissois pas le roi, je me trompai, en prenant pour lui un de ses favoris, à qui j’ôtai la vie : je fus arrêté sur le champ & conduit devant le roi ; mais sans m’étonner d’aucune des menaces qu’il me fit pour avoir osé attenter à ses jours, je lui montrai le peu d’état que je faisois des plus cruels tourmens, en étendant ma main droite sur un brasier ardent, & je souffris constamment la douleur jusqu’à ce qu’elle fût entièrement brûlée. Porsenna, étonné de ma fermeté, ne put s’empêcher d’admirer mon grand courage, & me renvoya sans me faire aucun mal. Peu sensible à cette générosité, je lui déclarai que je n’étois pas le seul qui eût conspiré contre sa personne ; qu’il y avoit encore trois cens romains qui avoient juré sa mort : ce fut ce qui le détermina de faire une ligue avec les romains, redoutant leur intrépidité par l’exemple que je venois de lui en donner.

Vous me faites horreur, repris-je ; comment osez-vous vous vanter du plus noir de tous les attentats ? Sont-ce là vos beaux exploits ? Quoi ! après un lâche homicide, vous prétendez à l’immortalité ? Ce n’est point par des trahisons qu’on doit chercher à vaincre son ennemi. L’action dont vous voulez tirer vanité ne seroit regardée aujourd’hui dans notre monde que comme un modèle de fourberie & de férocité, & vous n’auriez à présent d’autre gloire que d’être mis au rang de ces bandits qui se louent pour assassiner, & qui mettent un certain prix à chaque meurtre, proportionné aux difficultés qui se rencontrent à commettre le crime ; pour moi je n’en connois point de plus grand que l’homicide volontaire. La base de toutes les vertus est l’humanité ; elle coule comme une eau pure & salutaire qui fertilise tout ce qu’elle rencontre ; mais vous, vil assassin, si vous avez acquis quelques honneurs, ils sont illégitimes. Mutius, très-mécontent de ma réception, s’éloigna en haussant les épaules.

Bientôt après je fus entouré d’un grand nombre de personnes. L’un me dit qu’il étoit Achille ; un autre César ; celui-ci Alexandre : je ne pus entendre les noms d’une infinité de ces héros, parce qu’ils parlaient tous à la fois. Comme je vis que chacun d’eux se préparoit à me raconter son histoire, je les interrompis pour les prier de s’expliquer l’un après l’autre. Je suis Childebren, me dit un gros homme qui avoit l’air poussif, je voudrois savoir ce qu’on dit de moi. Ce qu’on dit de vous ? Je puis vous assurer que je n’ai jamais entendu prononcer votre nom dans aucun monde. Et moi, dit un autre avec un air de bonté, je suis Montesuma. Ha, pour vous je vous connois, vous êtes un honnête homme à qui les espagnols ont fait de grandes injustices. Mais vous, qui vous annoncez pour être un César, dites-moi de quel pays vous êtes, dans quel monde avez-vous habité, & quel est le royaume où vous avez pris naissance ? La question est singulière, y a t-il jamais eu plus d’un César ? Vous êtes un imbécile qui n’avez que la figure humaine, & n’avez pas le sens d’une carpe. Je n’ai point appris à répondre aux invectives ; mais je puis vous assurer qu’il y a actuellement sur notre terre plus d’un million de Césars, & tout au moins autant d’Alexandres, puisque le moindre de nos officiers & même de nos soldats se regarde comme tel. Je n’eus pas plutôt lâché ces mots, qu’ils prirent sans doute pour autant de blasphêmes, que toute cette foule de héros disparut, au grand contentement de Monime, qui commençoit à craindre leur pétulance.

Zachiel nous fit alors traverser une grande salle remplie de monceaux de soie & de cotton de différentes couleurs ; trois vieilles paroissoient continuellement occupées à les filer. Monime & moi les regardions avec beaucoup d’application, sans pouvoir en découvrir le mystère. Voici comme le génie nous l’expliqua.

Les trois vieilles que vous voyez sont les parques qui filent la vie des mortels. Les hommes ne peuvent demeurer sur la terre qu’aussi longtems qu’elles mettent à finir chaque monceau. Lorsqu’elles ont achevé un écheveau, le destin y attache une petite plaque d’or, d’argent ou de plomb ; c’est ce qui désigne les bonnes ou les mauvaises qualités de celui à qui on vient de couper la trame ; son nom est gravé sur la plaque, & ses vertus ou ses vices y sont tracés en caractères ineffaçables : alors un vieillard, dont la course rapide ne peut jamais être arrêtée, en remplit les pans de sa robe & les va jetter dans le fleuve d’oubli que vous voyez dans le lointain sur la gauche de cette coline ; ce vieillard, sans se lasser, revient continuellement en reprendre sans pouvoir en diminuer le nombre : mais quand, d’un air chagrin, il s’est déchargé de son fardeau, deux cignes, plus blancs que la neige, qui se promenent sans cesse sur ce fleuve, ont soin de détacher avec leur bec les noms des mortels les plus illustres, & de les remettre entre les mains d’une nymphe dont la beauté est ravissante, & dont l’unique emploi est de les porter dans le temple de la gloire, pour y être consacrés à l’immortalité ; c’est-là qu’avec un soin extrême elle les attache autour d’un simulacre posé sur une colonne élevée au milieu du temple.

Il est aisé, dit Monime, de concevoir que ce vieillard que vous nous dépeignez est le tems. Mais que signifient ces cignes qui, soigneux de détacher les noms des héros d’avec ceux des vulgaires humains, empêchent qu’ils ne soient ensévelis dans le fleuve d’oubli ? ils représentent, dit le génie, les grands poëtes & les meilleurs historiens, qui les uns & les autres, par leurs veilles & un travail assidu, servent à immortaliser les monarques, les princes, les grands politiques, & tous ceux qui se sont distingués pendant le cours de leur vie par des actions héroïques. La nymphe désigne l’histoire, qui, sous cette figure, représente la candeur, la pureté, la simplicité, & sur-tout la vérité que doit employer un historien dans les peintures qu’il nous fait en traçant la vie des héros qu’il entreprend de remettre sous nos yeux.

Au sortir de cette salle le génie nous fit traverser une grande cour. Nous remarquâmes que le soleil, par la chaleur de ses rayons, avoit concentré la fumée dans les entrailles de la terre ; tous les vents étoient dissipés ; il ne restoit que celui de la gloire, qui, semblable aux zéphirs, ne souffloient que pour rendre l’air plus agréable & plus doux. Nous voici enfin arrivés, nous dit Zachiel, devant le temple de la gloire immortelle.

Ce temple, dont le dôme paroissoit par son élévation percer les nues, fixa d’abord nos regards ; nous fûmes enchantés de la beauté & de la régularité de son architecture ; Monime & moi, éblouis de sa majesté, une sainte terreur s’empara de nos ames ; nous n’en approchâmes qu’avec le respect qu’inspire la divinité.

Sous les marches du temple est un antre profond, où nous vîmes Vulcain forger, sur son enclume, ces foudres redoutés dont les Marciens se servent pour soutenir leurs droits & assurer le destin des états. D’un côté de la porte du sanctuaire étoit la divine Uranie, un compas dans une main ; dans l’autre une carte, où l’on voyoit tracés des royaumes, des villes, des citadelles, des lacs & des mers. Calliope, vis-à-vis, tenoit un livre d’histoire, & paroissoit du doigt en montrer les plus beaux traits. Plus loin étoient rangés l’intrépide valeur, le vigilant travail, le tranquille sang-froid, l’espérance, la ruse, le détour, le déguisement & l’imagination, qui paroît occupée de mille brillans projets qu’elle présente au confident de Mars, que Zachiel nous dit être l’impénétrable secret. Ce temple est entouré de lauriers, dont Pallas forme elle-même des couronnes que Mars présente ensuite à tous ses favoris.