Les huis-clos de l’ethnographie/01

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Impr. particulière de la Société d’anthropologie et d’ethnologie comparées (p. 5-9).

Les huis-clos de l’ethnographie, Bandeau de début de chapitre
Les huis-clos de l’ethnographie, Bandeau de début de chapitre

MŒURS ORIENTALES




DE LA CIRCONCISION DES FILLES



J ’ai toujours été frappé, en entendant disserter sur les mœurs orientales au sein des sociétés savantes, des erreurs qui s’y perpétuent et se reproduisent dans les écrits les plus sérieux, lorsqu’on veut s’étendre sur les pratiques si peu décrites et par conséquent si peu connues de ces lointains pays.

Ayant été à même, dans mes voyages, par de longs séjours en Asie et en Afrique, d’étudier les Orientaux chez eux, j’espère être assez bien renseigné pour éclairer quelques points douteux, en précisant, au moyen de détails, les faits mentionnés par des voyageurs qui souvent ne mirent pas assez de soin à les observer, ou n’eurent pas le temps nécessaire pour en contrôler l’exactitude.

L’étude de la circoncision des filles m’amène à commencer ce récit par une anecdote.

Je transporterai, par la pensée, le lecteur en Syrie.

C’était à Beyrouth. Ayant dessiné dans les environs, je me disposais à rentrer en ville, lorsque je fus frappé par l’attitude d’une jeune fille qui, assise contre une masure en terre, semblait m’examiner avec la persistance et la fixité d’un dieu terme dont elle avait l’immobilité ; seulement, si elle mettait tous ses soins à voiler son nez et sa bouche, en ramenant sur sa figure une guenille de cotonnade, je m’aperçus bien vite que ce vêtement, trop sommaire, laissait parfaitement à découvert tout ce que la femme a l’habitude de cacher ; ce ne fut pas sans surprise que je constatai une anomalie à laquelle je devais me familiariser, un peu plus tard, pendant le séjour que je fis au Caire dans l’instructive compagnie du regretté docteur Godard.

Toujours est-il que, lorsque je me disposai à prendre note de ce que je voyais, le modèle fit volte-face en rentrant au plus vite dans sa cabane comme dans un terrier. Je l’y suivis, et me trouvai devant une vieille femme. Tout le monde comprendra mon embarras au sujet de la demande que j’avais à faire. Heureusement, mon interprète, qui m’avait devancé, inquiet de mon absence, revint sur ses pas et me fut d’un grand secours.

Je passe sur les négociations ; bref, j’obtins assez difficilement la permission de faire un croquis, non pas que la mère du sujet y fît opposition au nom de la pudeur, mais pour tirer une rémunération plus forte de mon désir qu’elle croyait tout autre. La jeune fille revint donc s’asseoir à terre, ne conservant, comme avant, que la préoccupation de me cacher le bas de son visage.

J’observai alors le grand développement des nymphes, dont les plis muqueux se terminaient en pointe, reposant à terre sur une longueur de quelques centimètres de chaque côté du vagin, avant de se confondre avec celui-ci, à la face interne des grandes lèvres.

Les deux lobes formant ce prolongement charnu des petites lèvres, partant du prépuce, semblaient dépasser la trace du clitoris, dont on ne voyait pas le renflement arrondi terminal.

L’aspect de la vulve de cette fille de quatorze ans, probablement déjà déflorée, était repoussant. L’excroissance anormale, plus rouge que la peau généralement d’un ton bistré, était recouverte d’une poussière grise rendue humide par la sécrétion sébacée qui s’en échappait incessamment.

Le dessin que je vous soumets est fait d’après nature ; il est la reproduction de ce que je viens d’énoncer.

Je crois que l’élongation des nymphes doit être plus fréquente dans les pays chauds, même en dehors des endroits dans lesquels les filles et les femmes se livrent à des attouchements tendant à les produire.

Je sais que dans les zones tempérées les cas précités ne sont pas rares ; même en France, cette particularité existe soit d’un seul côté, soit double. Les médecins sont, là-dessus, plus à même que moi de résoudre la question ; mais, puisque j’ai parlé de l’Orient, je veux compléter la communication que je viens de faire en disant deux mots des opérations qui s’y pratiquent pour enlever ces excroissances, opérations très-ordinaires en Égypte, ce qui me fit admettre que le cas se présentait souvent. Il ne faudrait pas cependant se baser sur le grand nombre de fellahs dont les petites lèvres manquent, pour penser que leur vulve, à toutes, nécessitait cette ablation, mais seulement en attribuer la cause à la circoncision pratiquée d’une façon défectueuse. Une série de femmes et d’enfants que nous examinâmes, le docteur Godard et moi, nous confirma dans cette idée.


Les huis-clos de l’ethnographie, Vignette de Fin de chapitre
Les huis-clos de l’ethnographie, Vignette de Fin de chapitre