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Les mystères de Montréal/XX

La bibliothèque libre.
Les mystères de Montréal (Feuilleton dans Le Vrai Canard entre 1879 et 1881)
Imprimerie A. P. Pigeon (p. 70-71).

IX

LE POISON.


Le comte de Bouctouche redoutait les menées de Caraquette.

Il s’agissait de faire disparaitre au plus tôt le seul témoin de son premier crime.

Que lui importait une infamie de plus s’il réussissait à s’emparer des millions de la famille de St-Simon ?

Le comte ne perdit pas de temps, il attela un cheval Bayard à un bog-board et se mit en route pour Ste-Thérèse, où Cléophas bambochait avec des amis d’occasion.

Lorsque Bouctouche entra dans l’hôtellerie de Ste-Thérèse, L’Angélus du soir venait de sonner.

Il rencontra son homme devant l’auberge s’amusant à jouer au tête ou bitche avec deux employés du chemin de fer du Nord.

En voyant arriver son maître, Cléophas lâcha sa partie et entra dans l’hôtel.

Il fut questionné sur tout ce qui s’était passé à Ste-Thérèse depuis le départ du comte.

Le petit Pite s’ennuyait au collège.

Il ne montrait aucun goût pour l’étude.

Pendant ses classes au lieu d’écouter les instructions du professeur, il jouait à pique ou noc avec ses petits camarades.

Il avait déserté deux ou trois fois la cour de récréation pour aller s’acheter du tabac à chiquer dans les groceries du village. Bref, ses professeurs commençaient à en désespérer.

Le comte en apprenant ces mauvaises nouvelles se rendit de suite au collège et réussit, à force de supplications, à faire consentir le directeur à la garder pendant au moins un mois.

Il rentra à l’hôtel et s’enferma dans un salon particulier avec maître Cléophas.

Il le félicita sur sa conduite et lui paya une dizaine de traites et trois ou quatre verres d’huîtres.

Cléophas qui s’était rincé la dalle une vingtaine de fois pendant la journée ne tarda pas à se sentir un peu casquette.

Le comte profita d’un moment où Cléophas était allé dans la cour de l’hôtel, pour verser dans son verre environ soixante gouttes d’acide prussique.

Cléophas rentra et fut invité à prendre une autre traite qu’il accepta.

Le comte commençait à avoir le cerveau troublé par les fumées des alcools. Il se trompa de verre. Il lampa la gobe fatale. L’effet du poison fut instantané. Il poussa un soupir comme s’il se fût senti suffoqué. Il tomba lourdement sur le plancher, gigota pendant quelques instants et rendit le dernier soupir.

Cléophas resta pétrifié devant le cadavre du comte.

Il se croisa les bras et dit :

— Je cré ben qu’il a pris de la poéson.