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Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Antonio et Bernardo ROSSELLINO

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Antonio et Bernardo ROSSELLINO
Florentins ; le premier, sculpteur, né en 1427, mort vers 1479 ; le second son frère, sculpteur et architecte, né en 1409, mort en 1464.

Antonio[1] fut appelé il Rossellino dal Proconsolo parce qu’il eut toujours son atelier dans un endroit que l’on appelle ainsi à Florence. Il fut si doux et si délicat dans ses œuvres, sa manière est si fine et d’une si parfaite netteté qu’on peut l’appeler vraiment la manière moderne. Dans le palais Médicis, il fit la fontaine de marbre[2] qui est dans la deuxième cour ; on y remarque des enfants molestant des dauphins qui lancent de l’eau. Cette fontaine est remplie de grâce et d’un travail achevé. À Santa Croce, près du bénitier, il exécuta le tombeau de Francesco Nori[3] et, au-dessus, une Madone en bas-relief. On lui doit encore la Madone qui est dans la maison des Tornabuoni et beaucoup d’autres ouvrages qui sortirent d’Italie, entre autres un tombeau de marbre qu’il envoya à Lyon[4].

À San Miniato al Monte, couvent des Frères Blancs, hors des murs de Florence, on lui fit faire le tombeau du cardinal de Portogallo[5] ; ce monument fut conduit par lui avec un art et un soin vraiment merveilleux, et aucun artiste ne peut imaginer voir jamais une œuvre qui puisse le surpasser en grâce et en fini, de quelque manière que ce soit. On y voit quelques anges qui ont tant de grâce et de beauté dans leurs visages et leurs draperies qu’on ne les croirait pas en marbre, mais absolument vivants. L’un d’eux tient la couronne virginale du cardinal, qui, assure-t-on, mourut vierge ; l’autre, la palme, emblème de la victoire qu’il remporta sur les passions du monde. Entre autres détails remarquables, il y a un arc en pierre de macigno qui soutient un rideau en marbre enroulé d’une telle vérité qu’entre le blanc du marbre et le gris de la pierre il paraît plutôt semblable à une véritable draperie qu’à du marbre. Sur le sarcophage sont des enfants vraiment admirables et la statue du mort, avec une Vierge dans un médaillon, parfaitement exécutée. Ce tombeau fut mis en place l’an 1459 ; sa forme et l’architecture de la chapelle plurent tellement au duc de Malfi, neveu de Pie II, qu’il chargea Antonio d’en reproduire à Naples, pour sa femme, un autre exactement semblable[6], à l’exception de la statue du cardinal. Dans la même ville, il sculpta un bas-relief représentant la Nativité du Christ[7]; la cabane est surmontée d’un chœur d’anges qui chantent, la bouche ouverte ; on voit qu’au souffle près, Antonio leur donna le mouvement et le sentiment, avec toute la grâce et la délicatesse que peuvent imprimer dans le marbre le génie et la pratique. Aussi ses œuvres ont-elles été tenues en haute estime par Michel-Ange et les autres grands artistes d’à présent.

Dans l’église paroissiale d’Empoli, il fit en marbre un saint Sébastien[8] que l’on considère comme une œuvre admirable. Antonio mourut[9] à Florence, à l’âge de 46 ans, laissant un frère nommé Bernardo, qui fut architecte et sculpteur, et fit à Santa Croce le tombeau en marbre[10] de Messer Leonardo Bruni d’Arezzo, qui écrivit l’histoire de Florence. Il fut très estimé du pape Nicolas V qui l’employa pour une quantité de constructions, pendant son pontificat, et qui lui aurait encore plus demandé si la mort ne l’avait arrêté[11]. Il lui fit refaire la place de Fabriano, l’année qu’il y séjourna plusieurs mois, à cause de la peste ; comme elle était étroite et irrégulière, Bernardo l’agrandit et lui donna une meilleure forme en construisant autour une série de boutiques aussi belles que commodes. Il restaura ensuite et refit, dans cette ville, les fondations de l’église San Francesco, qui tombait en ruines. À Gualdo, on peut dire qu’il refit à nouveau l’église de San Benedetto, à laquelle il ajouta de belles et bonnes constructions. L’église de San Francesco, à Assise, qui, en certains points, était ruinée et qui, sur d’autres, menaçait ruine, fut consolidée et recouverte d’un nouveau toit. À Civita Vecchia, il fit plusieurs édifices beaux et magnifiques. À Civita Castellana, il restaura plus du tiers des murs, avec un beau profil. À Narni, il refit et augmenta la forteresse de belles et bonnes murailles. À Orvieto, il construisit une grande forteresse avec un beau palais, œuvre coûteuse et d’aussi grande magnificence. Pareillement, à Spolète, il augmenta et fortifia la forteresse et y aménagea des habitations belles, commodes et bien comprises, en sorte que l’on ne saurait voir mieux. Il restaura les bains de Viterbe, dans lesquels le pape déploya une magnificence vraiment royale, car on construisit des bâtiments pour recevoir non seulement les malades qui y allaient journellement, mais tous les grands personnages. Le pape fit élever toutes ces constructions hors de Rome, sur les dessins de Bernardo. À l’intérieur de la ville, il restaura et refit à nouveau, en plusieurs endroits, les murs qui étaient généralement en ruines, leur ajoutant des tours et y comprenant les fortifications dont il entoura le château Saint-Ange, dans lequel il pratiqua plusieurs chambres et divers ornements.

Nicolas V avait conçu le projet, qu’il exécuta en grande partie, de restaurer ou de réédifier, suivant le besoin, les quarante églises des stations instituées autrefois par saint Grégoire le Grand. Ainsi on restaura celles de Santa Maria Trastevere, de Santa Prassedia, de San Teodoro, de San Pietro in Vincula et plusieurs autres moins importantes. Ce travail fut exécuté avec plus d’activité et de richesse dans six sur sept des plus grandes et principales, à savoir : Saint-Jean de Latran, Sainte-Marie-Majeure, Santo Stefano in Cœlio Monte, Sant’Apostolo, San Paolo et San Lorenzo extra maros ; je ne parle pas de Saint-Pierre, parce qu’on en fit une entreprise à part. Le pape voulait encore transformer le Vatican en forteresse et en former une espèce de ville traversée par trois rues qui auraient conduit à Saint-Pierre, je crois, sur l’emplacement actuel des Borgo Vecchio et Nuovo. Ces rues auraient renfermé, de chaque côté, des loges et des boutiques très commodes destinées aux différents métiers, en séparant les métiers riches et nobles de ceux moins relevés, et en les réunissant par rues. On avait déjà construit la grande tour ronde, que l’on appelle encore aujourd’hui la tour de Nicolas. Ces loges et ces boutiques devaient être surmontées de magnifiques maisons, divisées de telle sorte qu’elles se seraient trouvées préservées de tous ces vents empestés qui désolent Rome et qui auraient été débarrassées des eaux et des immondices qui, ordinairement, engendrent un mauvais air. Sans aucun doute, tout cela aurait été exécuté si Nicolas V eût vécu un peu plus longtemps, car il avait un esprit vaste et résolu et il s’entendait aux arts au point qu’il guidait et dirigeait lui-même les artistes, autant qu’eux le faisaient de lui.

Il voulait, en outre, élever le palais pontifical avec tant de grandeur et de magnificence, avec tant de commodité et d’élégance, qu’il aurait été, tout compte fait, le plus grand et le plus bel édifice de la chrétienté. Il devait servir non seulement à la personne du souverain pontife, mais encore au Sacré Collège des cardinaux qui, étant son conseil et son assistance, auraient été continuellement auprès de lui. Tous les offices, les bureaux de la cour devaient également y être commodément installés. On aurait pu y recevoir les empereurs, les rois, les ducs et les autres princes chrétiens qui, par leurs affaires ou leur dévotion, auraient été appelés auprès du Saint-Siège apostolique. Croira-t-on que Nicolas V voulait faire élever un amphithéâtre pour le couronnement des papes ! plus des jardins, des loges, des aqueducs, des fontaines, des chapelles, des bibliothèques et un conclave qui aurait été aussi commode que beau. En somme, cette édification (je ne sais si je dois lui donner le nom de château, de palais ou de ville) aurait été la plus superbe chose qui eût jamais été faite depuis la création du monde jusqu’à nos jours. Toute cette entreprise resta inachevée, même à peine commencée, à cause de la mort du pape, et le peu qui en fut élevé est reconnaissable à ses armes, deux clefs croisées sur un champ rouge. La cinquième œuvre qu’il avait eu l’idée de construire était l’église de Saint-Pierre, qu’il avait dessein de faire si grande, si riche et si ornée qu’il vaut mieux n’en rien dire, de peur de n’en donner, malgré tous nos efforts, qu’une bien faible idée, d’autant plus que le modèle a été perdu et que l’édifice a été élevé autrement par d’autres architectes. Tous les dessins et modèles furent demandés au génie et à l’industrie de Bernardo Rossellino[12].

Pour revenir à Antonio, que nous avons quitté pour traiter un si beau sujet, il exécuta des sculptures vers l’an 1490[13].


  1. Né à Settignano, fils de Matteo Gamberelli, né en 1427, d’après sa déclaration de 1457.
  2. C’est peut-être celle de la villa royale de Castello.
  3. En face du tombeau de Michel-Ange.
  4. Sculptures inconnues.
  5. Commandé en 1461, par l’évêque Alvaro, pour le prix de 426 florins d’or ; le cardinal était mort en 1459.
  6. En place, dans l’église de Monte Olivete : terminé après la mort d’Antonio par Benedetto de Maiano.
  7. Existe encore, dans l’église Santa Maria di Monte.
  8. Existe encore.
  9. Mentionnée pour la dernière fois en 1478.
  10. Existe encore.
  11. Nicolas V mourut le 23 mars 1455.
  12. Mort et enterré le 23 septembre 1464 à Santa Maria del Fiore (Livre des Morts de Florence).
  13. Erreur manifeste.