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Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Lorenzo di BICCI

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Lorenzo di BICCI
Peintre florentin, né en 1350 (?), mort en 1427;

Lorenzo di Bicci, peintre, naquit à Florence l’an 1400[1] au moment où l’Italie commençait à être déchirée par ces guerres qui l’amenèrent peu après à sa ruine[2]. Il fut connu dès son enfance, car, tandis qu’il se formait aux bonnes manières sous la discipline paternelle, il apprit de Spinello les principes de l’art de la peinture ; aussi en gardat-il la réputation de peintre excellent, comme celle d’un homme courtois et bien élevé. Ayant fait, tout jeune homme encore[3], quelques travaux à fresque dans Florence, et au dehors, pour se faire la main, il fut remarqué par Giovanni di Bicci de’ Medici, qui, voyant la belle manière de ces œuvres, lui fit peindre tous ces hommes célèbres[4] que nous voyons encore aujourd’hui parfaitement conservés, dans une salle du palais vieux[5] des Médicis [qui devint la propriété de Laurent, frère de Cosme le Vieux, après la construction du grand palais]. Cette œuvre terminée, Lorenzo, semblable aux médecins qui expérimentent leur art sur la peau des pauvres campagnards, accepta pendant quelque temps tous les travaux qu’on lui offrit, et qu’il exécuta tant bien que mal, ne voulant négliger aucune occasion de pousser à fond les études de son art. Hors de la Porta a San Friano, il peignit au Ponte a Scandicci un tabernacle, dans le style où on le voit encore maintenant, et à Cerbaia, sous un portique, plusieurs saints, outre une Vierge[6]. La famille des Martini lui ayant ensuite demandé de peindre une chapelle dans l’église San Marco de Florence, il représenta, à fresque, sur les parois, différents épisodes de la vie de la Vierge[7], et sur le tableau de l’autel[8], la Vierge entourée de saints ; dans la même église, à côté de la chapelle de saint Jean, évangéliste, appartenant à la famille des Landi, il peignit à fresque l’ange Raphaël et Tobie[9].

L’an 1418, il fit à fresque, pour Ricciardo[10] di Messer Niccolo Spinelli, sur la façade du couvent de Santa Croce qui donne sur la place, un saint Thomas touchant la plaie de Jésus-Christ, en présence des autres apôtres agenouillés[11]. À côté, il peignit également à fresque un saint Christophe, haut de douze brasses et demie, chose rare, car, depuis le saint Christophe de Buffalmacco, on n’avait vu de figure de cette dimension, ni si bien proportionnée, bien qu’elle laisse à désirer pour le style. Ces deux peintures ont été exécutées avec tant d’habileté professionnelle que, bien qu’exposées à l’air, depuis tant d’années, elles n’ont rien eu à souffrir des pluies, ni des grands vents, étant tournées au nord[12], et qu’elles n’ont rien perdu de la vivacité de leurs couleurs. Entre les deux, à l’intérieur de la porta del Martello, il fit encore, à la requête de Ricciardo et du gardien du couvent, un Christ en croix avec de nombreuses figures[13]; sur les parois, il représenta la confirmation de la règle de saint François par le pape Honorius[14], et à côté le martyre des Frères de cet ordre qui allèrent prêcher la religion chrétienne aux Sarrazins. Sur les arcs et sur les voûtes, il représenta quelques rois de France qui ont fait partie de cet ordre, ou qui lui ont été affectionnés, ainsi que quantité de Franciscains qui se sont signalés par leur science ou par leurs hautes dignités, tels que des évêques, des cardinaux et des papes, entre autres Nicolas IV et Alexandre V, qu’il peignit dans deux médaillons des voûtes. Toutes ces figures diffèrent entre elles, bien qu’il leur ait mis des robes grises : les unes tirent sur le rouge, les autres sur le bleu, certaines sont foncées et d’autres plus claires, en somme elles sont variées et dignes d’être considérées[15].

On raconte qu’il y travailla avec tant de facilité et de promptitude, qu’un jour, le père gardien l’ayant appelé pour dîner, au moment où, l’enduit posé sur le mur, il commençait une figure, il aurait répondu : « Commencez sans moi, pendant que je vais achever cette figure, et je suis à vous. » On a donc bien raison de dire que jamais personne n’eut tant de vélocité dans les mains, ni d’habileté professionnelle dans le coloris.

Il y a de sa main, au coin des sœurs de Foligno, un tabernacle peint à fresque, ainsi que la Madone et les saints qui sont sur la porte de l’église de ce monastère, entre lesquels saint François épousant la Pauvreté[16]. Il peignit encore^ dans l’église des Camaldules de Florence, pour la Compagnia de’Martiri, les martyres de quelques saints, et les deux chapelles qui encadrent la grande chapelle[17]. Comme ces peintures plurent infiniment à toute la ville, la famille Salvestrini le chargea de peindre, dans l’église du Carmine, des martyrs condamnés à mort, qui sont dépouillés de leurs vêtements et marchent pieds nus sur des. ronces, que les bourreaux ont semées jusqu’à l’endroit où on les voit crucifiés. Il peignit ensuite dans cette église d’autres figures et en particulier deux chapelles du transept[18].

À la même époque, il fit le tabernacle placé au coin alla Cuculia[19], celui de la Via de’ Martelli[20], et, au-dessus d’une porte de Santo Spirito, dite la porta del Martello, une fresque dans laquelle saint Augustin présente la règle à ses religieux[21]. À Santa Trinità, la fresque de la vie de San Giovanni Gualberto[22], dans la chapelle de Neri Compagni, est de lui, et, dans la grande chapelle de Santa Lucia, Via de’ Bardi, il peignit à fresque quelques traits de la vie de cette sainte[23], pour Niccolo da Uzzano[24], qui est représenté au naturel, avec quelques-uns de ses concitoyens.

Dans un tabernacle sur le Ponte Rubaconte, il fit à fresque une Vierge, entourée de saints, qui mérite des éloges[25]. Peu de temps après, Ser Michele di Fruosino, directeur de l’hôpital de Santa Maria Nuova, fondé par Folco Portinari[26], se décida, devant la richesse croissante de cet hôpital, à agrandir son église, dédiée à Sant’Egidio, qui se trouvait alors hors des murs de Florence, et réellement de trop petites dimensions. Ayant pris conseil de Lorenzo di Bicci, son intime ami, le 5 septembre 1418, il jeta les fondations de la nouvelle église, qui fut achevée dans l’espace d’une année, comme elle est maintenant, et consacrée solennellement par le pape Martin V[27], à la requête du directeur et de la famille Portinari. Cette consécration fut peinte ensuite par Lorenzo, à la prière de Ser Michele, sur la façade de l’église, et il y représenta au naturel le pape et plusieurs cardinaux. Cette œuvre[28] plut par sa beauté et sa nouveauté, et valut à son auteur l’honneur d’être désigné le premier pour peindre dans l’église principale de la ville, qui est Santa Maria del Fiore. Au-dessous des fenêtres de chaque chapelle, il peignit les saints[29] auxquels elles sont dédiées, et, sur les piliers, les douze apôtres[30] avec les croix de la consécration du Dôme, qui fut faite cette année-là par le pape Eugène IV, vénitien d’origine[31]. Dans la même église, les administrateurs du Dôme lui firent peindre à fresque un mausolée qui simule le marbre, en mémoire du cardinal Corsini[32], qui est représenté couché sur le cercueil ; et, au-dessous de ce mausolée, un autre semblable, en l’honneur de Maestro Luigi Marsili, fameux théologien[33].

De Florence, Lorenzo fut appelé à Arezzo par don Laurentino, abbé de San Bernardo, monastère de l’ordre de Monte Oliveto ; à San Bernardo, il peignit à fresque, dans la grande chapelle, pour Messer Carlo Marsuppini[34], plusieurs traits de la vie de saint Bernard. Dans le cloître, il voulut représenter la vie de saint Benoît, après avoir peint pour Francesco l’Ancien des Bacci la grande chapelle de l’église San Francesco, dont il ne fit que la voûte et la moitié de l’arc[35]. Mais, ayant été attaqué d’une maladie de poitrine, il fut forcé de se faire transporter à Florence, et laissa son élève, Marco de Montepulciano, continuer la vie de saint Benoît sur les dessins qu’il en avait donnés à don Laurentino. Marco l’acheva le mieux qu’il put, en clair-obscur, le 24 avril 1488[36], comme l’indiquent des vers écrits de sa main et qui ne sont pas meilleurs que ses peintures.

De retour dans sa patrie, et dès qu’il fut guéri, Lorenzo peignit sur la façade du couvent de Santa Croce, où il avait déjà représenté saint Cristophe, une Assomption de la Vierge[37], entourée d’anges et remettant sa ceinture à saint Thomas, qu’il termina en 1450, et pour laquelle, étant un peu malade, il se fit aider par Donatello, encore très jeune[38]. Cet ouvrage, pour le coloris et le dessin, peut être regardé comme sa meilleure œuvre. Peu de temps après, étant vieux et affaibli, il mourut à l’âge de 60 ans[39] environ, et laissa deux fils qui s’adonnèrent à la peinture. L’un d’eux, nommé Bicci[40], l’aida dans beaucoup de travaux ; l’autre, nommé Neri[41], fit le portrait de son père et le sien propre, dans la chapelle des Lenzi, à Ognissanti, dans deux médaillons où sont inscrits leurs noms[42]. Dans cette chapelle des Lenzi, peignant quelques épisodes de la vie de la Vierge[43], il chercha à imiter les costumes de son temps, tant pour les hommes que pour les femmes ; il peignit en outre le tableau en détrempe de la chapelle[44]. Il fit également des tableaux[45] dans la Badia di San Felice in piazza, à Florence, de l’ordre des Camaldules, un tableau[46] pour le maîtreautel de San Michele, à Arezzo, du même ordre, et, hors d’Arezzo, à Santa Maria delle Grazie, dans l’église de San Bernardino, une Madone abritant sous son manteau le peuple d’Arezzo[47]. D’un côté, San Bernardino est à genoux, tenant à la main une croix en bois qu’il avait l’habitude de porter quand il allait en prêchant par Arezzo ; de l’autre côté, on voit saint Nicolas et l’archange saint Michel. Sur la prédelle sont peintes des actions de San Bernardino, ainsi que des miracles qu’il fit, en particulier dans ce lieu. Le même Neri peignit, à San Romolo[48] de Florence, le tableau du maître-autel ; à Santa Trinità, dans la chapelle degli Spini, des fresques tirées de la vie de San Giovanni Gualberto, et le tableau en détrempe qui est sur l’autel[49]. Ces œuvres montrent que, si Neri n’était pas mort à l’âge de 36 ans, il aurait peint plus d’œuvres et plus belles que Lorenzo, son père.

Celui-ci étant le dernier des peintres qui ont suivi la vieille manière de Giotto, sa vie sera la dernière de la première partie que nous avons menée à bonne fin, avec la grâce de Dieu.

  1. Erreur ; mentionné dans des documents publics en 1870, 1375, 1386, 1398.
  2. Les guerres commencèrent en 1494.
  3. Mentionné comme peintre en 1870. Inscrit à la Compagnie de Saint-Luc, en 1409.
  4. Ces peintures n’existent plus.
  5. Palais Riccardi ou préfecture de Florence.
  6. Ces peintures n’existent plus.
  7. Peintures détruites ; commandées en 1482.
  8. Ce tableau, qui était de 1483, a disparu.
  9. Fresque détruite.
  10. Lire Tommaso Spinelli.
  11. Les peintures de la façade n’existent plus ; elles étaient de Bicci di Lorenzo, 1441.
  12. Au sud-ouest.
  13. Peint par Neri di Ricci, en 1469.
  14. Il en reste quelques fragments.
  15. Ces fresques n’existent plus.
  16. Ces différentes peintures n’existent plus.
  17. Peintures détruites en même temps que l’église et le couvent, pendant le siège de 1529 ; elles étaient dues à Bicci di Lorenzo, 1432.
  18. Les peintures des Bicci au Carmine n’existent plus.
  19. Existe encore.
  20. N'existe plus
  21. Ibid.
  22. N’existe plus ; était due à Bicci di Lorenzo, 1433.
  23. Ces fresques, dues à Bicci di Lorenzo, 1425 (?), n’existent plus.
  24. Adversaire des Médicis, mort en 1432.
  25. N’existe plus.
  26. En 1287.
  27. En 1420.
  28. Existe encore, à droite ; seule œuvre que l’on puisse attribuer certainement à Bicci l’ancien ; peinte en 1424.
  29. Il en reste quelques-uns.
  30. N’existent plus. Saints et apôtres furent peints par Bicci di Lorenzo, en 1440.
  31. Le 25 mars 1436, d’après une inscription de la sacristie.
  32. Mort à Avignon en 1405 et rapporté à Florence. Ces deux tombeaux peints existent encore.
  33. Mort en 1393. Son tombeau fut peint par Bicci di Lorenzo en 1439.
  34. Secrétaire de la République florentine, mort en 1453. Les peintures de San Bernardo existent encore en partie, surtout dans le cloître, où il y a sept épisodes en clair-obscur de la vie de saint Benoit.
  35. Représentant les quatre Evangélistes avec leurs symboles ; existe encore.
  36. Lire 1448.
  37. N’existe plus ; elle avait été peinte par Stefano d’Antonio di Vanni, mort en 1483.
  38. En 1450, Donatello avait 64 ans !
  39. Mort en 1427, à 77 ans.
  40. Bicci di Lorenzo, né en 1373, immatriculé en 1424 ; auteur de la plupart des peintures que Vasari attribue à son père. Mort le 6 mai 1452 et enterré au Carmine.
  41. Petit-fils de Lorenzo ; fils de Bicci di Lorenzo, né en 1418, mort en 1491.
  42. N’existent plus.
  43. Ibid.
  44. Ce tableau a disparu.
  45. Peintures perdues.
  46. Une Vierge entre quatre saints, datée 1466 ; actuellement au premier autel, à droite.
  47. Existe encore, peinte en 1446.
  48. Église détruite. Le tableau a disparu.
  49. Ces peintures sont perdues ; faites en 1453-1454. Neri est l’auteur d’un livre de Ricordi, qui va de 1458 à 1476, et où il mentionne tous ses travaux ; conservé manuscrit aux Offices.