Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/peint17
Chapitre XVII. — De la mosaïque de bois, c’est-à-dire de la marqueterie ; des sujets que l’on compose en bois teintés et assemblés, en guise de peintures.
Qu’il soit toujours facile d’ajouter, aux inventions de ceux qui nous
ont précédés, quelque chose de nouveau, nous l’avons vu très clairement
dans tout ce qui a été dit ci-dessus, au sujet des pavements en
carrelages assemblés. Sans nul doute, l’origine en est la mosaïque. Il en
est de même de la marqueterie et des figures si diverses, qu’en ressemblance de la mosaïque et de la peinture nos vieux maîtres ont faites,
avec de petits morceaux de bois assemblés et joints sur des plaques
de noyer, avec des colorations variées. Ce travail est appelé par les
Modernes travail d’assemblage, bien que les Anciens lui aient donné
le nom de marqueterie (tarsia). Les meilleures œuvres qui ont été
faites dans ce genre furent exécutées à Florence, du temps de Filippo
di Ser Brunellesco et ensuite du temps de Benedetto da Maiano. Ce
dernier, toutefois, trouvant ce travail infructueux, l’abandonna
complètement, comme on le dira dans sa Vie. Ainsi que ses prédécesseurs,
il l’exécutait seulement en noir et blanc ; mais Fra Giovanni
de Vérone, qui y fit grand profit, l’améliora grandement en donnant
des colorations variées avec des eaux et des teintes bouillies,
ainsi que des huiles pénétrantes, pour avoir en bois des teintes claires,
des teintes foncées d’une grande variété, comme dans l’art de la
peinture, les lumières étant rendues par de fins morceaux de bois
de fusain extrêmement blanc. Ce travail eut d’abord son origine dans
les perspectives, dans lesquelles une infinité de lignes se coupant sous
des angles divers donnent le dessin final. La marqueterie de même
se compose de morceaux dont les arêtes vives se réunissant font
paraître la surface d’un seul morceau, tandis qu’il y en entre plus de
mille. Les maîtres anciens en exécutèrent également avec des incrustations
de pierres fines, comme on le voit clairement dans le portique
de Saint-Pierre, où il y a une cage et un oiseau, sur un fond de porphyre,
et d’autres pièces assemblées dans le porphyre, avec tout le
détail des barreaux et des autres objets. Mais comme le bois est
plus facile à travailler et beaucoup plus doux à l’œil, nos maîtres ont
pu produire en plus grande quantité, et dans les genres divers qu’ils ont
voulus. Pour représenter les ombres, ils avaient l’habitude de bronzer
au feu un côté qui imitait bien l’ombre. D’autres se sont servis
ensuite d’huile, de soufre, de sublimé et d’eaux arsenicales, produits
avec lesquels ils ont donné aux bois les teintures qu’ils ont voulues,
comme on le voit dans les œuvres de Fra Damiano, à San Domenico
de Bologne. Comme cet art consiste uniquement à composer des
sujets avec des maisons et des objets ayant des contours rectangulaires,
de manière à pouvoir leur donner de la vigueur et du relief,
au moyen des clairs et des foncés, cet art a toujours été pratiqué par
des personnes qui avaient plus de patience que de dessin. C’est ainsi
qu’on a exécuté quantité d’œuvres qui représentent des compositions
de figures, de fruits et d’animaux ; quelques-uns de ces objets sont
pleins de vie. Mais comme de pareilles œuvres noircissent rapidement et ne sont en somme qu’une contrefaçon de la peinture, bien inférieure
d’ailleurs et peu durable, à cause des vers et des incendies, ce
genre a été jugé être une occupation inutile et du temps perdu, bien
que ce soit un art honorable et magistral.