Lettre de Saint-Évremond au comte de Lionne (« Quand je ne regretterois pas M. de Lionne le Ministre… »)

La bibliothèque libre.
Lettre de Saint-Évremond au comte de Lionne (« Quand je ne regretterois pas M. de Lionne le Ministre… »)
Œuvres mêlées de Saint-Évremond, Texte établi par Charles GiraudJ. Léon Techener filstome III (p. 92-93).


XXX.

AU MÊME.

Quand je ne regretterois pas M. de Lionne le Ministre, par mon propre intérêt, votre seule considération m’auroit fait recevoir la nouvelle de sa mort[1] avec beaucoup de douleur. Tout le monde le regrette à Paris, à ce qu’on me mande ; et je puis vous assurer que les étrangers honorent sa mémoire, avec les mêmes sentiments qu’en ont les François. Quelque mérite qu’aient eu les plus grands Ministres de notre État, on s’est toujours réjoui de leur mort, et il a fallu du temps, pour passer de la haine de leur personne, à la vénération de leurs vertus. M. de Lionne est le seul qui ait fait appréhender de le perdre, et fait connoître ce qu’on a perdu au même instant qu’il est mort. Faire de longs discours sur la mort des grands hommes, c’est vouloir ajouter quelque chose de triste et de douloureux à la mort même : elle n’a pas besoin de ces aides-là pour être funeste ; ce qui m’en fait finir l’entretien, et vous assurer qu’on ne peut pas être plus véritablement que je suis, etc.

  1. Hugues de Lionne, marquis de Fresne et de Berny, ministre et secrétaire d’État, mourut en 1671.