Lettre du 4 septembre 1668 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 527-528).
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86. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ AU COMTE
DE BUSSY RABUTIN.

À Paris, ce 4e septembre 1668[1].

Levez-vous, Comte, je ne veux point vous tuer à terre ; ou reprenez votre épée pour recommencer notre combat. Mais il vaut mieux que je vous donne la vie, et que nous vivions en paix. Vous avouerez seulement la chose comme elle s’est passée : c’est tout ce que je veux. Voilà un procédé assez honnête : vous ne me pouvez plus appeler justement une petite brutale.

Je ne trouve pas que vous ayez conservé une grande tendresse pour la belle qui vous captivoit autrefois. Il en faut revenir à ce que vous avez dit :

À la cour,
Quand on a perdu l’estime,
On perd l’amour.

M. de Montausier[2] vient d’être fait gouverneur de Monsieur le Dauphin :

Je t’ai comblé de biens, je t’en veux accabler[3].

Adieu, Comte. Présentement que je vous ai battu, je dirai partout que vous êtes le plus brave homme de France, et je conterai notre combat le jour que je parlerai des combats singuliers.

Ma fille vous fait ses compliments. L’opinion que vous avez de sa fortune nous console un peu.


  1. Lettre 86. — Dans le manuscrit de Langheac, cette lettre est datée de Livry, le 29e août 1668.
  2. Charles de Sainte-Maure devint baron de Montausier en 1635, marquis en 1644, gouverneur de Normandie en 1663, duc en 1664. Il avait épousé en juillet 1645 la célèbre Julie d’Angennes, sœur de la première femme du comte de Grignan.
  3. Mme de Sévigné cite, en l’altérant, un vers bien connu du Cinna de Corneille, acte V, scène iii :

    Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler ;
    Je t’en avois comblé, je t’en veux accabler.