Lettre du 31 août 1668 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 526-527).
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1668

85. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Le lendemain du jour que je reçus cette lettre de la marquise, j’y fis cette réponse.

À Bussy, ce dernier août 1668.

On ne peut pas être moins capable de la triplique[1] que je le suis, ma belle cousine : pourquoi m’y voulez-vous obliger ? Je me suis rendu dans la réplique que je vous ai faite ; je vous ai demandé la vie, vous me voulez tuer à terre, cela est un peu inhumain. Je ne pensois pas que vous vous mêlassiez, vous autres belles, d’avoir de la cruauté sur d’autres chapitres que sur celui de l’amour. Cessez donc, petite brutale, de vouloir souffleter un homme qui se jette à vos pieds, qui vous avoue sa faute, et qui vous prie de la lui pardonner. Si vous n’êtes pas encore contente des termes dont me sers en cette rencontre, envoyez-moi un modèle de la satisfaction que vous souhaitez, et je vous la renverrai écrite et signée de ma main, contre-signée d’un secrétaire, et scellée du sceau de mes armes. Que vous faut-il davantage ?

Vous ne voulez point, dites-vous, entrer dans les plaisanteries des corniches. Il est vrai que vous en parlez avec bien de la réserve. Eh bon Dieu, qu’en diriez-vous donc si vous étiez aussi mal satisfaite de la dame que moi ? Mais ne craignez-vous point que je lui fasse voir un jour quels égards vous avez pour elle ? car enfin que ne fait-on, et que ne doit-on pas faire pour rattraper un cœur aussi honnête que celui que j’ai perdu ?

Tremblez, Philis, et prenez garde à vous.

Quoique la fortune soit bien folle, je ne pense pas qu’elle le soit assez pour pousser son injustice jusqu’au bout contre la plus jolie fille de France. Donnez-vous un peu de patience, ma belle cousine, et vous découvrirez peut-être les raisons qu’elle a eues de faire ce qu’elle a fait.

Adieu, ma chère cousine. La fin de votre lettre m’attendrit furieusement pour vous, et je vous dirai sur cela en deux mots que je n’aime ni n’estime au monde personne tant que vous.


  1. Lettre 85. — i. Triplique, ancien terme de pratique, « réponse à une duplique. » Voyez la note 1 de la lettre précédente.