Lettres à Sixtine/Aux heures attristées

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7 h.1/2 — Dans le Bois (recopié).



AUX heures attristées par la mort du soleil,
Quand la mélancolie avec la nuit s’éveille,
éveillant le troupeau des ombres qui sommeillent,

avant qu’au bleu obscur du ciel diminué
n’éclatent les étoiles, ces diamants cloués,
clouant les draperies royales de l’Empyrée,

à ces heures très douces aux simples, salutaires,
je me sens submergé soudain par une mer
amère, dont les flots sont des doutes, des mystères…

11 h.

La cloche du dîner me coupa les ailes, — du même coup dissipa l’océan dont la marée montait et j’en suis resté là de mes vers rythmiques et de mes assonances.

Je reprends les pages lues et relues, cherchant s’il y a des choses demeurées sans réponse.

Dieu ! que d’écriture tu vas recevoir ! J’ai réservé cela pour le morne Dimanche. Puisqu’on les demande j’y aurais bien joint les rêvasseries noires écrites l’autre jour et pas envoyées, mais je les ai brûlées ; il n’y a guère de regret à en avoir, ce n’était pas de l’insurrection, mais de la maladie. De fait, je fus malade et cela pourrait être donné en exemple, dans les physiologies, comme preuve de l’influence du moral sur la bête. Cette extrême nervosité fit croire, un jour, à un bonhomme qui m’observait et se croyait sagace, que j’étais féminin, sensitivement. Au fait, je suis peut-être une âme tendre !

Quels bavardages j’envoie à mon amie ! Mais je sais qu’elle m’écoute, et si la tête ne me bourdonnait pas un peu, je serais capable de remplir encore un carré de papier.

Pour envoyer le plus mince soupçon d’échantillon, il faudrait avoir sous la main de ces rayures et je n’en ai pas encore. Je tâcherai de circonvenir ma mère qui en a dans un coin, mais sous quel prétexte ? S’il faut en faire faire, ce n’est plus cela ; j’espère en trouver à Coutances. Pour la robe, la Gr. M… est malade et ce sera peut-être difficile. Voilà des déceptions. Le reste va tout seul, encore que les cuillers ont manqué rester en route ; enfin, il est convenu qu’on me fera cet avancement d’hoirie.

Il faudrait dépoétiser le parfum de la petite feuille pour dire son nom. J’en sème dans les pages, mais, Psyché, tu ne sauras pas son nom. Les jours maintenant peuvent se décompter. Bientôt, — Enfin — Adieu, ma chère âme. Dimanche je t’écrirai du bord de la mer, mais comme là le courrier est le matin, il n’est pas sûr qu’on ait la lettre lundi. Je ferai mon possible. Je te dois bien cette illusoire compensation d’une lettre quotidienne. Une lettre, c’est une joie, je le sais bien quand je vois ton écriture.