Lettres à Sixtine/Il me semble, mon adorée Sèvres

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Dimanche, 21 août 1887, 8 h. 1/2, 9 h.


Il me semble, mon adorée chérie, que je t’ai aimée et que je t’aime aujourd’hui, plus que jamais. C’est comme si une fleur nouvelle avait fleuri, donnant une nuance nouvelle et un nouveau parfum ; je ne sais quoi.

La peine est éloquente, l’excès du bonheur l’est aussi, éloquent, c’est-à-dire qu’il lui faut se dépenser au dehors en phrases ; — et je suis de ceux qui écrivent mieux qu’ils ne parlent.

A te sentir si charmante, si tendre, si donnée à moi, j’éprouvais comme une sensation neuve, une plénitude d’amour. D’autres fois, peut-être, tu as été ainsi, oui, tu l’as été, mais je ne l’avais pas senti de même ; nous n’avions pas encore correspondu si profondément.

Le sentiment et la sensation vraies s’avivent à se répéter, au lieu de s’émousser ; on se pénètre plus intimement ; on comprend mieux tout, les moindres gestes, les regards, les mouvements des lèvres où l’âme s’épanouit en floraison de baisers. Chaque fois c’est une plus complète prise de possession mutuelle, et tu es difficile à conquérir ; en toi, en moi aussi, peut-être, il y a des instants qui déroutent, quand nos fiertés se rencontrent front à front.

Mais comme au fond de nos êtres nous nous aimons et quelle joie de le penser et de le repenser !

Je suis heureux par toi, ma chère âme, et je ne l’avais jamais été. Tu me fais vivre comme je ne croyais pas pouvoir vivre, avec une énergie de sensation que je n’éprouvai jamais.

Comme tu es bien toute ma vie, comme tu me tiens de partout, comme tu m’enveloppes de toi.

Il y a plus dans le ciel et sur la terre que dans toute la philosophie, comme il est dit dans Hamlet, il y a plus de joies dans tes baisers, dans tes sourires, dans tes paroles, dans tes étreintes, plus de joies que n’en a promis jamais le plus fou des rêves.

Je t’aime, je t’aime, je t’aime, et j’écrirais cela toute la nuit que je n’aurais pas dit encore combien je t’aime.

Raffinement ou profanation : ayant écrit cela je vais rue d’U.