Lettres à Sixtine/Jeunesse de notre joie

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JEUNESSE DE NOTRE JOIE


PROSE



La jeunesse de notre joie a poussé verdoyante.

Elle a des feuilles, plante robuste et bien venue, des feuilles vertes, pareilles à des fers de lance, pour darder nos cœurs.

Des fers de lance pour darder nos cœurs et leur faire saigner des larmes d’amour.

Elle a des fleurs qui s’ouvrent rouges, toutes rouges, pour que le sang de nos cœurs n’y fasse point de taches.

Des fleurs toutes rouges, toutes parfumées, pour que l’essence de leur odeur nous grise en des rêves d’amour.

Elle a des gouttes blondes, distillées au long de sa tige, des gouttes blondes dont le baume cicatrise les blessures de nos cœurs.

Notre joie, nous l’avons plantée en un coin dérobé du monde, et arrosée de nos larmes d’amour, et ensoleillée de nos sourires d’amour.

La jeunesse de notre joie a poussé verdoyante.

Ses feuilles pendant le jour ont poussé, et pendant la nuit, ses fleurs.

Longtemps, chétive, et douteuse à la vie, elle lutta, guettée par la mort.

La mort qui dessèche les plantes et les cœurs, les rêves et les feuilles, les âmes et les fleurs.

Guettée par la mort, elle est entrée dans la vie, car nous l’avons arrosée de nos larmes d’amour, et ensoleillée de nos sourires d’amour.

Tu sais quel soir elle prit racine et parmi quelles effusions.

Nos âmes, l’une vers l’autre, se répondaient, débordantes, comme des vases mystiques, pleins de ciel.

Nos âmes débordantes de ciel, et nos cœurs débordants d’amour.

Tu sais quel soir elle prit racine, la jeunesse de notre joie.

14-15 août 1887.