Lettres à un Américain sur les Sciences en France/01

La bibliothèque libre.



LETTRES À UN AMÉRICAIN
SUR L’ÉTAT
DES SCIENCES EN FRANCE.[1]

I.

L’INSTITUT.


Monsieur,

Malgré vos instances, ce n’est qu’avec beaucoup d’hésitation que je prends la plume pour vous parler de nos savans et de l’état des sciences parmi nous ; car, avec les meilleures intentions et en employant même tous les ménagemens possibles, il est bien difficile de ne pas irriter certaines susceptibilités, de ne pas blesser l’amour-propre des personnes dont on doit parler. S’il ne s’était agi que de satisfaire votre curiosité, j’aurais gardé le silence ; mais puisque vous ne voulez vous instruire de ce qui arrive chez nous que pour tâcher d’introduire dans le pays où vous exercez une si belle influence, des institutions semblables à celles qui font notre gloire, tout en vous efforçant de le préserver des inconvéniens que nous n’avons pas su toujours éviter, je crois devoir surmonter mes scrupules et me lancer sans plus hésiter sur cette mer périlleuse. En dehors de toute coterie, cultivant les sciences pour satisfaire un besoin de mon esprit sans aspirer à la renommée, je pourrai observer ce qui se passe, et vous en rendre compte mieux peut-être que ne sauraient le faire ces savans illustres qui sont quelquefois un peu éblouis par la lumière qu’ils répandent et par l’éclat dont ils sont entourés.

La France est par excellence la patrie des sciences. Non-seulement, depuis Pythéas jusqu’à nos jours, elle n’a cessé de produire des hommes éminens, mais depuis deux siècles elle s’est placée au premier rang, et chaque année a été marquée par de nouveaux progrès. Ce ne sont pas uniquement quelques esprits supérieurs qui ont contribué chez nous à l’avancement des connaissances humaines ; c’est surtout par l’ensemble et par l’admirable succession de leurs travaux que, depuis la création de l’ancienne Académie des sciences, nos savans semblent avoir fixé à Paris le foyer des lumières. La noblesse du caractère français a ouvert les portes de nos académies aux hommes distingués de toutes les nations, et cette générosité, qui n’a été égalée par aucun autre peuple, n’a pu qu’augmenter notre influence en élevant notre position. En effet, c’est le hasard seul qui a fait naître Huyghens en Hollande et Lagrange à Turin ; mais l’accueil que ces hommes célèbres ont reçu chez nous, les bienfaits et les encouragemens de Louis XIV, qui allaient chercher le mérite dans toutes les parties de l’Europe, ne sont point des accidens. On essaierait en vain de le nier : depuis cinquante ans, Paris est devenu le centre du monde ; les questions les plus élevées de la politique, les découvertes scientifiques les plus éclatantes, ont eu besoin d’être traitées à la chambre des députés ou présentées à l’institut de France pour que l’Europe les acceptât sans réclamation.

Vous connaissez trop bien notre histoire pour que j’aie besoin de vous dire comment nos institutions littéraires et scientifiques furent englouties par la révolution. L’Université de Paris, presque aussi ancienne que la monarchie, fut précipitée avec elle au fond d’un gouffre où les académies ne tardèrent pas à aller les rejoindre. Mais l’esprit scientifique est si vivace parmi nous, qu’à peine sortis de la terreur, et lorsque l’Europe entière nous regardait encore avec une sorte d’effroi, nous fîmes surgir, comme par enchantement, du chaos révolutionnaire les établissemens les plus utiles aux sciences et les plus glorieux pour le nom français. N’est-ce pas un spectacle bien singulier, monsieur, que de voir, après la mort ou la dispersion des Girondins, la Convention, où ne restaient guère que des hommes illettrés qui s’étaient attaqués avec acharnement à toutes les supériorités, oublier soudain qu’elle a l’Europe à combattre, et décréter coup sur coup la création de l’École polytechnique, de l’École normale, du Bureau des longitudes et de l’Institut ? Ce fait, qui caractérise l’esprit français et qui l’honore, ne me semble pas avoir été assez mis en relief par les historiens de la révolution. Les hommes qui nous gouvernent ne devront jamais oublier qu’il fallut plusieurs années de tentatives et la volonté de Napoléon pour rendre les églises au culte, tandis que le cri de l’opinion publique avait su forcer un gouvernement révolutionnaire, et peu favorable aux études, à rouvrir subitement nos académies et nos écoles.

Ce n’est pas du progrès de l’instruction parmi nous, mais de l’état des sciences que je dois vous parler. Vous ne serez donc pas étonné si je ne m’arrête pas aux établissemens où l’on ne reçoit qu’une instruction élémentaire, et si je commence par les corps savans qui ont leur siége à Paris ; car c’est de Paris surtout que jaillit la lumière. À la vérité, il y a en province des hommes distingués qui cultivent les sciences avec autant de modestie que de succès ; mais leurs travaux, sur lesquels j’aurai l’occasion de revenir, n’ont pas assez de retentissement, et sont peu connus, même dans le reste de la France. C’est un inconvénient auquel il est difficile de porter remède ; car non-seulement Paris efface tout, mais il offre trop de jouissances à l’ambition, trop d’avantages au talent, pour que l’on puisse espérer que la province garde aussi souvent qu’il le faudrait les hommes dont tout le pays aurait reconnu la supériorité.

Les grands établissemens scientifiques de Paris sont l’Institut, la Faculté des sciences et celle de médecine, le Collége de France, le Jardin du roi, le Conservatoire des arts-et-métiers, le Bureau des longitudes, auxquels on peut ajouter les écoles spéciales supérieures telles que l’École polytechnique, l’École des mines, celle des ponts-et-chaussées et l’École normale. Il serait difficile de rencontrer dans aucune autre ville du monde une réunion plus complète de moyens d’instruction, dirigés par des hommes plus capables de propager les sciences et d’aider à leurs progrès. Excepté l’Institut et le Bureau des longitudes, ces divers établissemens sont destinés à l’enseignement public ou à l’instruction d’une classe particulière d’auditeurs, et (sauf le Conservatoire des arts et métiers) ils sont consacrés à l’enseignement supérieur. Quant à l’Institut, vous le savez, monsieur, ce n’est pas seulement une académie, c’est un tribunal, un aréopage composé des hommes les plus éminens du pays, qui, tout en contribuant au progrès des lumières par leurs travaux, sont encore chargés de juger en dernier ressort les ouvrages des autres savans, de distribuer le blâme et la récompense, de désigner à l’attention du gouvernement et de la nation les jeunes talens qui s’élèvent, de présenter des candidats pour les places scientifiques les plus importantes, de diriger en un mot la marche des sciences dans toute l’étendue de la France.

Investi de ces prérogatives, l’Institut est devenu un des grands corps de l’état et presque un corps politique, et il était impossible qu’il en fût autrement ; car, composé comme il l’est aujourd’hui (après plusieurs remaniemens dus aux révolutions politiques qui n’ont cessé de se succéder depuis sa création) de cinq académies qui réunissent tout ce que nous avons d’hommes supérieurs dans les sciences, dans les lettres, dans la politique, dans les arts, jouissant depuis plusieurs années du privilége de donner à l’armée des chefs tels que Bonaparte, au gouvernement des ministres comme Talleyrand et Carnot, à la chambre des orateurs tels que Guizot et Thiers, il a étendu partout ses racines et s’est créé une force morale qu’il serait impossible de méconnaître. C’est donc par l’Institut, qui se trouve à la tête des autres corps savans, que je devrai commencer cet examen.

D’après la pensée qui a présidé à sa formation, l’Institut doit être considéré comme un corps unique destiné à montrer, par son organisation et ses travaux, que toutes les branches des connaissances humaines sont liées intimement entre elles, et qu’il n’existe qu’une seule et grande science qui a tour à tour pour objet la recherche du vrai, du beau et du bon. Cependant, malgré cette unité primitive, les liens qui attachaient les différentes académies de l’Institut s’étant relâchés par diverses circonstances, elles ont cessé peu à peu de se réunir et de vivre en commun ; chacune d’elles a adopté un réglement particulier, et leurs rapports avec le public se sont tellement modifiés, qu’il serait impossible de parler avec quelque certitude des travaux intérieurs des académies qui n’admettent point d’étrangers à leurs séances. Je me bornerai donc, pour celles-ci, à des considérations générales qui trouveront leur place ailleurs, et je m’étendrai particulièrement sur l’Académie des sciences, qui seule a accepté une entière publicité, et qui a dévoilé de cette manière tous les principes de son existence et tous les ressorts de son organisation.

Mais d’abord, comment l’Institut a-t-il perdu son unité ? comment une telle séparation s’est-elle opérée ? Sous la république et sous l’empire, les différentes classes de l’Institut (c’est le nom qu’elles avaient alors) formaient un tout indivisible. À la restauration, quelques membres de la classe de langue et de littérature française, se rappelant qu’ils étaient les héritiers légitimes de messieurs les quarante réclamèrent les entrées au château, dont jouissaient leurs prédécesseurs, et voulurent se séparer de leurs confrères trop bourgeois. Cette affaire souleva de vives discussions, et ce fut avec peine que, tout en consacrant le principe du rétablissement des anciennes académies (l’Académie française, celle des inscriptions et belles-lettres ; l’Académie des sciences et celle des beaux-arts), le nom d’Institut fut conservé malgré l’opposition de quelques personnes qui tentèrent d’effacer jusqu’à ce dernier reste d’origine républicaine. En même temps, la restauration commit la faute énorme de chasser de l’Institut des savans célèbres auxquels on substitua, par ordonnance, des hommes qui eurent la faiblesse d’accepter une position indigne de leur talent. L’attitude de l’Académie française, les tentatives criminelles d’un gouvernement qui, redoutant partout le principe d’élection, voulait diriger le choix de l’Institut, et refusait même quelquefois de sanctionner les élections qui lui déplaisaient, obligèrent l’Académie des sciences, un peu délaissée par ses sœurs, à chercher une défense dans ses propres forces, dans la conscience de son utilité, dans la faveur dont elle jouissait auprès du public, et dans tous les moyens que lui offrait alors le mouvement libéral qui s’opérait parmi nous.

Le plus puissant de ces moyens, ce fut la publicité. D’après les réglemens, les séances ordinaires de toutes les académies de l’Institut étaient secrètes. L’Académie des sciences n’admettait que des étrangers célèbres momentanément à Paris, et les personnes dont les travaux avaient été approuvés et jugés dignes de paraître dans le recueil des Savans étrangers. Cet auditoire peu nombreux, mais choisi, était composé d’hommes capables de comprendre les lectures et de suivre les discussions, et c’est parmi eux que l’Académie se recrutait d’ordinaire quand elle éprouvait quelque perte. Un tel public suffisait à sa véritable gloire, et les membres les plus illustres de ce grand corps, parmi lesquels il faut citer Laplace et Cuvier, qui savaient que la haute science ne peut jamais être expliquée directement à la foule sans perdre de sa rigoureuse et indispensable sévérité, s’efforçaient de maintenir cette demi-publicité. Mais les fautes du gouvernement rendirent vains leurs efforts ; car, lorsqu’on vit annuler la nomination d’un homme tel que Fourier, lorsqu’on s’aperçut que la congrégation se mêlait à toutes les élections, on eut peur et l’on se jeta dans les bras de quelques gens habiles qui, appelant au secours des libertés académiques le public et la presse, saisirent avidement cette occasion d’augmenter leur influence et de se poser en protecteurs de la science. Nous sommes blasés aujourd’hui sur toutes sortes d’émotions, et nous nous rappelons à peine les jours où une élection à l’Académie des sciences remuait toute la société parisienne, et où les portes de l’Institut étaient assiégées par la foule avide de savoir si c’était le candidat de la cour ou celui de l’opposition qui avait eu le dessus. Le lendemain de la bataille, les journaux, racontant les incidens de la lutte, distribuaient les éloges aux libéraux, qui, comme de raison, avaient seuls la science en partage, et il n’y avait pas assez d’injures pour leurs adversaires, non-seulement désignés au public comme de mauvais citoyens, mais devenus par là même des ignorans, fussent-ils des Cauchy ou des Ampère. Il faut l’avouer, les hommes les plus éminens de l’Académie laissèrent alors échapper l’occasion d’assurer leur ascendant, qu’ils auraient affermi à tout jamais, s’ils avaient consenti à suspendre leurs travaux pour se jeter hardiment dans une lutte qui intéressait si profondément l’indépendance du corps auquel ils appartenaient. Par suite de leur inaction, il surgit d’autres influences qui ne prirent pas toujours naissance dans les véritables titres scientifiques, et ces influences, s’exerçant d’abord pour la défense de l’Académie, furent aidées par la voix de tous ceux qui croyaient avoir besoin d’appui et qui sentaient la nécessité de créer une grande réputation scientifique aux protecteurs qu’ils se donnaient. Prônés par la plupart de leurs confrères et par les journaux libéraux, ces protecteurs acquirent bientôt un ascendant à l’Académie et une réputation dans le public qu’ils auraient eu de la peine à obtenir si rapidement par leurs travaux.

Je viens de vous dire, monsieur, que ces résultats furent dus principalement à la publicité. D’abord il n’y eut que des communications officieuses avec quelques journalistes et surtout avec les rédacteurs du Globe ; puis on en admit quelques-uns aux séances, et l’on augmenta sous divers prétextes le nombre des auditeurs ; enfin on ouvrit les portes à deux battans, on engagea tous les journalistes à entrer, on leur donna communication de la correspondance, on leur réserva des places particulières, on les flatta de toutes les manières, et, pour satisfaire aux exigences d’un nombreux auditoire, on construisit une nouvelle salle, qui est très incommode à plusieurs égards, mais où le public domine, où les meilleures places sont réservées aux rédacteurs des journaux, en face desquels, par une nouvelle disposition qui a semblé surprendre plusieurs personnes, se trouve le lecteur, qui paraît même ne plus parler aux membres de l’Institut. Et comme si tout cela n’était pas assez, pour ne négliger aucun moyen de publicité, on finit par obtenir de l’Académie la permission d’imprimer officiellement les comptes rendus de ses séances, et ce journal, qui a reçu depuis un si prodigieux accroissement, est devenu une espèce de feuille d’insertions gratuites où, parmi beaucoup de choses intéressantes, se trouvent parfois des annonces qui ne sont pas dignes de paraître sous le patronage de l’Institut. Cette facilité de publication a donné une extension inattendue à la correspondance, qui occupe, souvent sans beaucoup d’intérêt, la moitié des séances académiques, et elle sert merveilleusement à augmenter l’influence des personnes qui sont chargées de rédiger ce recueil périodique, et de choisir à leur gré les matériaux qui doivent le composer. Une telle publication enlève tous les ans à l’Académie des sommes très considérables qu’elle devrait consacrer aux progrès des sciences, et qu’elle est forcée quelquefois de prendre sur des fonds légués par différentes personnes pour récompenser les travaux utiles et les découvertes remarquables. Cette question des comptes rendus, dont les esprits sages commencent à se préoccuper vivement, renferme tout l’avenir de l’Académie ; car, si l’on n’y prend pas garde, si l’on n’établit pas des règles sévères, toutes les autres publications finiront par être suspendues par l’effet de celle-ci, et l’Académie des sciences de Paris, qui ne faisait paraître autrefois que les travaux de ses membres et les recherches qu’elle avait approuvées après un examen sérieux, sera réduite à ne publier qu’un journal, rédigé à la hâte, dont tout le monde peut devenir collaborateur, et qui ne trouve même pas assez de souscripteurs pour subvenir aux frais d’impression.

Mais comment, direz-vous, l’Académie s’est-elle laissée engager dans une voie si insolite, si périlleuse ? L’Académie, monsieur, frappée par une triste fatalité dans ses membres les plus illustres, l’Académie, qui avait vu disparaître en dix ans Cuvier, Laplace, Legendre, Fourier, Fresnel, Jussieu, Ampère et Dulong, privée de la plupart de ses chefs naturels, ne savait plus autour de qui se grouper, et acceptait sans murmurer les pilotes qui s’emparaient du gouvernail. D’ailleurs, les nouveaux rapports qui s’étaient établis entre elle et le public ne tardèrent pas à réagir sur la direction de ses travaux. D’un côté, les applaudissemens de la galerie, que l’on n’obtenait que lorsqu’elle croyait comprendre les questions qui étaient traitées en sa présence, devaient peu à peu amener nécessairement l’Académie à descendre des hauteurs de la science pour se mettre à la portée de ceux qu’on lui avait donnés pour auditeurs et pour juges : c’est ainsi que les recherches abstraites, les travaux mathématiques, par exemple, qui autrefois avaient captivé principalement l’attention de ce corps savant, perdirent successivement de leur faveur, et cédèrent la place à des recherches moins élevées. D’autre part, les applications, et ce que l’on appelle les connaissances utiles, s’alliant nécessairement aux intérêts matériels, si prépondérans chez nous, contribuèrent à imprimer une nouvelle direction aux travaux académiques, qui ont été modifiés aussi par les fondations de M. de Monthyon. Je reviendrai plus tard, monsieur, sur ces célèbres fondations en général ; mais, pour ne pas sortir actuellement de l’Académie des sciences, il est hors de doute qu’en chargeant ce corps de distribuer chaque année des sommes très considérables pour des travaux de médecine pratique, de mécanique et de chimie appliquées aux arts, on a rendu un très mauvais service à l’Académie en masse, qui s’est trouvée engagée de plus en plus dans la voie de la science subalterne, et à chacun de ses membres en particulier, qu’on oblige à perdre un temps précieux pour examiner une foule d’inventions et d’ouvrages qui ne sont trop souvent que des entreprises purement industrielles. Enfin les travaux des membres de l’Académie ont été modifiés surtout par l’apparition des comptes rendus ; car, ce journal hebdomadaire offrant un moyen prompt et facile de publication, il en est résulté qu’au lieu de se livrer à des travaux de longue haleine, et de méditer profondément sur un sujet, comme on le faisait toujours autrefois pour rédiger les beaux mémoires qui sont la gloire de l’ancienne Académie des sciences, on s’est contenté quelquefois d’un premier aperçu, et l’on a livré à l’impression des notes incomplètes qui portent des traces évidentes de précipitation, et qui ne sauraient guère contribuer aux progrès des sciences ni à la réputation de leurs auteurs.

Voilà, monsieur, de bien grands changemens, et vous serez sans doute curieux de savoir quel est le dieu inconnu par lequel ils ont été produits. Je pourrais ici m’arrêter et laisser à d’autres le soin de vous instruire de ces particularités, et ce serait sans doute le parti le plus prudent. Mais, d’un côté, il ne saurait y avoir un grand inconvénient à répéter tout haut ce que déjà tant de personnes disent tout bas, et d’ailleurs il est bon que les faits dont j’ai à vous entretenir soient constatés par un contemporain, afin que, si quelque érudit des temps futurs parvient d’ici à cent ans à découvrir dans un coin cet écrit, et s’il a le courage de le lire, il puisse y trouver l’explication des évènemens qui se passent de nos jours à l’Académie des sciences, et qui ne seront consignés ni dans les éloges ni dans les relations officielles. Eh bien donc ! puisqu’il faut nommer le magicien qui a eu le pouvoir de produire cette grande transformation… ce magicien, c’est M. Arago.

Vous connaissez, monsieur, cet homme célèbre, dont le nom est devenu si populaire. Né dans le midi de la France, d’une famille originaire d’Espagne, il a les qualités et les défauts des hommes méridionaux. L’esprit prompt, l’imagination vive, la parole facile, beaucoup d’amour-propre, un désintéressement qui ne s’est jamais démenti, une grande mobilité dans les idées, plus d’énergie que d’activité, une impétuosité de caractère qui l’entraîne quelquefois trop loin, et, avec cela, beaucoup d’adresse, de modération même quand il ne peut pas emporter une question de haute lutte ; très chaud pour ses amis, implacable et souvent injuste envers ses adversaires, M. Arago, en un mot, est un de ces hommes destinés à faire beaucoup de bien ou beaucoup de mal partout où ils se trouvent. Sorti de cette ancienne École polytechnique qui a donné à la France tant d’hommes éminens, il se fit distinguer de bonne heure par ses maîtres, et il fut chargé, très jeune encore, d’accompagner M. Biot en Espagne pour l’aider dans les opérations relatives à la mesure du méridien que cet habile astronome était chargé de diriger. Mais ses travaux furent interrompus par la guerre et par l’insurrection de la Péninsule. Après avoir couru les plus grands dangers, auxquels il ne put échapper que grace à l’habitude qu’il avait dès l’enfance de parler catalan, il arriva à Paris, où Monge, Laplace et M. Biot, voulant récompenser le zèle dont il avait fait preuve, lui ouvrirent bientôt les portes de l’Institut. Membre de l’Académie des sciences, attaché de bonne heure au Bureau des longitudes en qualité d’astronome, professeur à l’École polytechnique, examinateur à l’école de Metz, M. Arago se trouva dès sa jeunesse en possession des avantages qui ordinairement sont réservés à l’âge mûr comme récompense de longs et pénibles travaux. À ce moment, le plus bel avenir se déroulait devant lui. Pendant que les plus anciens académiciens, au milieu desquels brillaient Lagrange, Laplace, Monge, Jussieu, Delambre, Berthollet, dictaient des lois à toute l’Europe, une foule de jeunes savans marchaient sur les traces de ces grands maîtres, et promettaient de continuer leur gloire. Et certes, les destinées futures de la science, confiées aux mains des Cuvier, des Poisson, des Tourier, des Cauchy, des Biot, des Dulong, des Ampère, des Geoffroy, des Gay-Lussac, des Thénard, des Malus, des Brongniart, des Mirbel, des Fresnel, des Magendie, des Blainville, semblaient devoir grandir sans cesse, et M. Arago n’avait qu’à suivre de si beaux exemples pour se créer, par des travaux solides, une réputation européenne. Mais la facilité de ses premiers succès, une certaine indolence que malheureusement il n’a jamais pu surmonter, la disposition particulière de son esprit, qui semble plus propre aux aperçus brillans et soudains qu’aux vastes conceptions, aux recherches longues et opiniâtres et aux théories élevées, le portèrent peu à peu à abandonner l’étude des mathématiques, à négliger l’astronomie théorique, et à ne chercher dans la physique, à laquelle il se livra presque exclusivement, que les faits curieux et singuliers, qui frappent, il est vrai, vivement l’imagination, mais qui sont aussi souvent le résultat d’un hasard heureux que de l’habileté de l’observateur.

La belle découverte de Malus sur la polarisation de la lumière éveilla dès l’origine l’attention des savans, et l’optique devint un sujet de recherches à l’ordre du jour. M. Biot et M. Arago s’y livrèrent des premiers. Malheureusement, au lieu de servir à resserrer les liens qui les unissaient, cette communauté d’études devint entre eux la source de discussions animées qui finirent par une rupture éclatante, et l’Académie fut souvent émue par les luttes de ces deux rivaux qui, dans la chaleur de leurs débats, se laissèrent parfois emporter beaucoup trop loin, surtout en discutant des questions toujours si délicates de priorité. D’autres savans se mêlèrent à ces discussions ; et comme Laplace, qui voulait que l’on fût géomètre avant tout, avait semblé prendre parti contre M. Arago, on lui suscita des ennemis de toutes parts, on grandit exprès Legendre pour le lui opposer, on tendit la main à tous ceux qui attaquaient les résultats contenus dans la Mécanique céleste, et l’on remua toute la presse libérale pour la lancer contre nos anciennes gloires, qui, disait-on, n’étaient plus que de vieilles idoles qu’il fallait briser. Parce que le géomètre Laplace était devenu le marquis de la Place, sous prétexte que d’autres académiciens faisaient partie de la Société des Bonnes-Lettres, ils furent, de par la charte, déclarés ignorans dans tous les journaux. C’est alors que, comme je l’ai déjà dit, le public commença à être admis à l’Académie, où il se fit le soutien des hommes qui ne voulaient pas briller uniquement par la science. Laplace fut réduit au silence, M. Biot s’absenta de l’Institut pendant plusieurs années, et M. Arago resta maître du champ de bataille.

Durant cette longue querelle, cet habile physicien n’avait fait guère que des communications verbales à l’Académie, tandis que son infatigable adversaire ne cessait de lire de longs et importans mémoires. Tous les savans regretteront que depuis trente ans M. Arago n’ait pas pu rédiger la seconde partie, qu’il avait promise au public, du seul mémoire qu’il ait inséré dans les volumes de l’Institut. Le temps (c’est l’auteur qui le dit) lui manqua alors, et malheureusement il lui a toujours manqué depuis. Cependant un homme d’un talent supérieur et dont la France devra toujours déplorer la fin prématurée, Fresnel, intervint dans la lutte et se chargea de fournir des armes à l’adversaire de M. Biot. Les découvertes de Fresnel resteront toujours dans la science, non pas seulement par l’importance des résultats, mais aussi par le talent avec lequel l’auteur a su les prévoir, les déduire les uns des autres et en former un des plus beaux systèmes scientifiques qui aient jamais été imaginés. Quelles que soient dans l’optique les destinées futures de l’hypothèse de l’émission ou de celle des ondulations, on devra toujours admirer la sagacité infinie avec laquelle Fresnel a su se diriger dans ses recherches à l’aide des principes théoriques qu’il avait adoptés, et il sera perpétuellement à regretter que ses amis n’aient pas pu l’arracher à la position subalterne dans laquelle il a vécu, ni le soustraire aux pénibles fonctions qui ont usé le reste de ses forces et contribué sans doute à précipiter dans la tombe, à la fleur de l’âge, un des plus ingénieux physiciens.

Si vous rattachez ce qui précède à ce que je vous ai déjà dit, monsieur, sur les fautes de la restauration et sur l’appui que le public et la presse avaient accordé à l’Académie des sciences, vous comprendrez quel ascendant devaient assurer à M. Arago, d’un côté ses succès contre M. Biot, et d’autre part le mouvement politique qui s’opérait dans les esprits. Ce fut alors l’époque la plus brillante de sa vie et il faut reconnaître hautement que l’emploi qu’il fit d’abord de son influence, tourna fréquemment au profit des sciences, et fut souvent favorable aux hommes qui les cultivent.

Mais si, dans les dernières années de la restauration, l’ascendant de M. Arago eut des avantages pour l’Académie, il devint nécessairement inutile et même dangereux dès que les besoins qui l’avaient créé eurent cessé de se faire sentir. Après la révolution de 1830, le gouvernement n’a jamais tenté de s’immiscer dans les affaires de l’Institut, et cependant, au lieu de diminuer, le pouvoir de M. Arago n’a fait que grandir. Nommé, par suite de la mort de Fourier, secrétaire perpétuel pour les sciences mathématiques, il ajouta à son influence personnelle celle que lui donnait la place éminente qu’on venait de lui conférer. Je ne m’arrêterai pas, monsieur, à vous signaler toute l’importance des fonctions que remplissent les secrétaires perpétuels, car elle ressort du titre même. Inamovibles, réglant la marche des travaux de l’Académie dans les sciences qui les concernent, dirigeant les rapports qu’elle doit avoir avec le public, administrant les fonds, surveillant les impressions, chargés dans les éloges de déterminer la part de gloire qui revient à chacun de leurs confrères, les deux secrétaires perpétuels de l’Académie des sciences jouissent, même sans la chercher, de la plus grande autorité. Imaginez, monsieur, ce que cela dut être chez M. Arago, avec ses précédens, avec son instinct de domination, surtout lorsque, par la mort de Cuvier, il perdit un collègue avec lequel il fallait réellement partager le pouvoir ! D’ailleurs, la carrière politique dans laquelle M. Arago se lança après la révolution de juillet, le rôle qu’il voulut jouer à la Chambre, lui firent sentir encore plus la nécessité d’établir son autorité à l’Académie. Et comme, par suite de ses préoccupations politiques, il fut conduit à s’éloigner de plus en plus de la culture des sciences, et qu’il voulut se faire de l’Académie une tribune (ce qui l’amena à ce singulier système d’éloges dont malheureusement il a tant abusé), il dut s’appliquer à prévenir toute tentative d’indépendance de la part de ses confrères, qui commençaient à regarder avec surprise le chemin qu’on leur avait fait parcourir, sans pourtant comprendre encore toute la gravité de ces innovations.

Nous voici arrivés, monsieur, à un point délicat, c’est-à-dire à rechercher quels ont pu être les moyens employés par M. Arago pour s’assurer le concours de l’Académie. De nos jours, tous les partis s’accusent avec une légèreté inconcevable de corruption en matière électorale ; mais, malgré tout ce qui a été dit à ce sujet, on ne saurait nullement admettre que M. Arago se soit jamais laissé entraîner à voter plutôt pour le candidat qui paraissait devoir lui être le plus dévoué, que pour celui que la science désignait au choix de l’Académie, et il est plus raisonnable de supposer que ces bruits, qui, on doit pourtant l’avouer, ont pris dans ces derniers temps beaucoup de consistance, ne sont dus qu’à l’activité des démarches faites par M. Arago et par ses amis en faveur des candidats auxquels ils s’intéressaient. Cependant il importe que l’on s’impose à l’avenir une scrupuleuse réserve, afin qu’on ne puisse plus avancer que des membres de l’Académie sont devenus l’objet de la plus vive, de la plus persévérante animosité ; qu’ils ont été traversés dans tous leurs desseins, pour avoir voulu voter suivant leur conscience, et non pas au gré de M. Arago. Tout cela, monsieur, est bien triste et bien déplorable. Si la supériorité de l’esprit, si la culture des sciences ne doivent pas élever l’homme et le soustraire aux petites misères de l’humanité, on ne sait plus où chercher la source de la dignité morale et de l’indépendance.

Sans vouloir scruter les replis des consciences, étudions l’histoire dans les faits qui se passent au grand jour. De notre temps, les rois trouvent partout des sujets rebelles, et tel a été le sort de M. Arago. Au moment où il croyait son influence assurée et à l’abri de toute atteinte, des résistances se sont manifestées, des discussions animées ont eu lieu à l’Académie. Il est vrai que d’abord la manière dont M. Arago, aidé par les journaux qui lui étaient dévoués, a traité ses adversaires, était faite pour leur ôter toute envie de revenir à la charge ; mais l’exemple est souvent contagieux, et il s’est trouvé des hommes opiniâtres qui ont mieux aimé affronter les coups que céder sans combat. Ces luttes, dans lesquelles la modération n’a pas toujours été du côté du secrétaire perpétuel, ont aigri son esprit, et l’irritation a pris quelquefois chez lui un caractère si passionné, que tous les hommes sages en ont été frappés, et que la presse même a dû en déplorer l’excès. On se rappelle encore la grande querelle qui éclata, il y a plusieurs années, entre M. Arago et les rédacteurs de certains journaux radicaux, qui avaient quelquefois raison pour le fond et qui se donnèrent presque toujours tort pour la forme. Cependant, lorsqu’ils dirent avec une franchise toute républicaine qu’ils avaient élevé M. Arago et qu’ils sauraient bien l’abattre, l’avertissement, quoique rude, était bon : il aurait dû faire ouvrir les yeux au savant physicien, et lui prouver que la gloire véritable est bien différente de la popularité, qui brille et passe comme l’éclair. En cette circonstance, l’Académie tout entière prêta main-forte à M. Arago : ses amis pour le soutenir, ses adversaires pour se venger de la presse, dont ils avaient eu souvent à se plaindre. Ce fut une grande faute que de céder à un petit ressentiment plutôt que d’accueillir et de protéger le seul principe d’émancipation et de résistance qui restât encore. Après cet incident, qui n’eut pas de suite, M. Arago marcha de succès en succès, et, s’il avait montré plus de modération dans la victoire, il aurait réduit au silence tous ses adversaires. Mais, enivré par la faveur populaire, il franchit quelquefois les bornes, et, ne ménageant pas assez ses confrères, il eut même le malheur de rompre, sur des prétextes frivoles, avec ses plus anciens amis, avec les membres les plus considérables de l’Académie, qui, néanmoins, dans l’intérêt des sciences, et un peu aussi pour ne pas compromettre leur tranquillité, hésitèrent long-temps avant de se déclarer contre lui, et se bornèrent pour la plupart à se tenir à l’écart.

Toutefois, poussés par l’instinct de la défense, les hommes indépendans se groupèrent peu à peu, et, dans quelques circonstances, ils surent résister avec avantage et faire prévaloir leur droit. M. Arago ne put voir sans un vif regret plusieurs de ses candidats écartés successivement par l’Académie, qui en choisissait de plus dignes. Après la colère cependant, vinrent les réflexions, et il sentit la nécessité de ne pas laisser à l’opposition le temps de s’organiser. Se rapprochant alors brusquement de ses anciens adversaires, il leur fit des avances, leur tendit la main et prit la défense des personnes qu’il avait souvent attaquées, qu’il avait même poursuivies des accusations les moins mesurées. C’est ainsi qu’après avoir fait la paix avec M. Biot, il s’est réuni au parti ultra-religieux, qu’il avait tant combattu sous la restauration. De cette manière, M. Arago est parvenu à se rendre de nouveau formidable, et il a eu souvent bon marché d’une opposition qui flotte un peu au hasard. Malheureusement rien n’est durable dans ce monde ; lorsqu’il se croyait bien consolidé, il lui surgit des ennemis là où il devait s’y attendre le moins. Voici, monsieur, quelques détails sur ce nouvel incident, qui peut avoir les suites les plus graves pour la popularité et l’influence de cet habile astronome.

À la dernière séance publique de l’Académie des sciences, M. Arago a lu l’éloge d’Ampère, savant géomètre qui a cultivé avec éclat toutes les branches des connaissances humaines, et auquel la physique doit de notables progrès. Cet éloge, dont la lecture a duré près de trois heures, n’a eu, il faut l’avouer, qu’un médiocre succès. Malgré ses sympathies pour l’auteur, la presse a été presque unanime à cet égard, et, quoique avec ménagement, elle s’est exprimée là-dessus en termes fort clairs. On s’était accoutumé à ne pas toujours trouver dans les éloges que prononçait M. Arago le respect des belles traditions académiques que Cuvier et Fourier avaient laissées. On savait que pour lui, la science n’était pas l’affaire principale, et qu’il la sacrifiait quelquefois à la popularité ; mais on croyait qu’après avoir poussé le système dramatique et anecdotique à l’excès dans son éloge de Carnot, il avait choisi exprès Ampère, qui n’avait jamais été un homme politique, pour faire amende honorable et revenir aux habitudes de l’Académie. L’attente du public a été bien déçue, lorsqu’on a entendu le secrétaire perpétuel parler si long-temps de choses totalement étrangères à la science, réciter des vers de Boileau, raconter des anecdotes douteuses, s’arrêter longuement sur les distractions si connues d’Ampère, et ne dire que quelques mots, qui ont paru à peu près inintelligibles, sur les travaux scientifiques du savant académicien. À chaque instant, M. Arago répétait qu’il n’avait pas le temps d’exposer les découvertes d’Ampère, et il prolongeait cependant son récit par de nouvelles anecdotes, et tout cela dans un style si diffus et d’une manière si décousue, qu’à la fin l’impatience avait gagné tout le monde. Les avis, je viens de le dire, furent unanimes dans l’auditoire, et la presse tout entière (excepté la Quotidienne) rendit fidèlement les impressions de la séance. Le Journal des Débats consacra à l’examen de cet éloge un article fort développé, où la question était traitée à fond, bien qu’avec beaucoup de modération. Là-dessus grande rumeur à l’Observatoire et grande colère chez M. Arago. Il paraît même que, dans la vivacité de son ressentiment, le savant astronome fit adresser des reproches et des espèces de menaces au docteur Donné, qui était l’auteur de cet article. Huit jours après, M. Donné, rendant compte de l’élection qui venait d’avoir lieu du vice-président de l’Académie, parla de ces menaces, et, à propos des trois tours de scrutin qui avaient été nécessaires pour arriver à un résultat, signala, avec mesure pourtant et sous forme dubitative, l’apparition d’un parti qui se serait formé derrière M. Arago, et dont ce savant astronome aurait été le chef. D’après tout ce que j’ai eu l’honneur de vous dire jusqu’ici, vous croirez facilement, monsieur, qu’il avait été souvent question à l’Académie de l’existence de ce parti ; mais enfin le public n’en avait jamais été instruit par les journaux, et il lui était permis jusqu’à un certain point de l’ignorer. Vous pouvez donc vous figurer si le ressentiment du secrétaire perpétuel dut être apaisé par ce nouvel article, qui renfermait de plus des remarques très judicieuses sur l’Académie, sur les changemens que la publicité y avait introduits, et sur les devoirs de la presse, qui doit savoir défendre l’indépendance des corps savans et les intérêts de la science envers et contre tous. L’effet fut tel, qu’il dicta à un des confrères de M. Arago la démarche la plus singulière qu’on puisse imaginer. À propos d’un écrit où M. Arago était seul en cause, l’académicien dont il s’agit adressa une provocation à M. Donné, et, pour lui prouver qu’il n’y avait à l’Académie aucune personne capable de disposer de sa voix suivant les intentions de M. Arago, il se montra prêt à donner sa vie pour lui. Raisonnement fort peu logique, et auquel M. Donné répondit que d’abord il ne concevait pas que M. Arago et les siens voulussent entraver le droit de libre examen dans tout ce qui est soumis au public, et que d’ailleurs il ne pensait pas que, si M. Arago se trouvait offensé, il pût permettre à personne de prendre sa place. Il paraît qu’on a senti la faute qu’on avait commise, et les choses n’ont pas eu d’autres suites ; mais il faut savoir gré à M. Donné, qui est dans la force de l’âge, d’avoir montré à ses adversaires ce que doit être la véritable liberté de la presse, car, en France, il faut beaucoup plus de courage pour laisser tomber une provocation que pour en accepter les suites. Du reste, ce n’est pas la première fois que l’on a dit que les partisans de M. Arago ne craignaient pas de faire un appel à la violence pour préserver à tout prix leur chef des attaques qu’ils réprouvent moins quand elles ont un autre but. On raconte, en effet, qu’un de nos artistes les plus spirituels, ayant fait une charge de M. Arago, qu’il gardait chez lui sans l’exposer au public, se trouva assailli dans son propre atelier, et forcé, l’épée sur la gorge, de détruire la malencontreuse caricature. Ce fut bien dommage, car ceux qui l’ont vue assurent qu’elle aurait eu beaucoup de succès.

Ces dissentimens avec la presse et surtout avec un journal grave et répandu comme les Débats, ont porté un rude coup à M. Arago, car tous les pouvoirs qui s’insurgent contre le principe de leur élévation affaiblissent leur base et sont exposés à chanceler ; et, comme pour M. Arago c’est la presse plutôt que les grands travaux scientifiques qui a fait sa force et sa réputation, le célèbre secrétaire perpétuel aurait dû à tout prix tâcher de prévenir une telle rupture. Il est vrai que les journaux républicains sont arrivés à son secours, mais il a été mal défendu et seulement pour acquit de conscience ; l’avantage est resté au Journal des Débats. D’ailleurs, on ne saurait croire qu’il s’agisse ici d’une affaire de parti, puisque c’est dans les Débats que M. Arago a trouvé ses plus sincères admirateurs, tant qu’il ne s’est servi de son influence que dans l’intérêt des sciences et de l’Académie. Je ne vous parlerai pas de quelques autres journaux qui, à cette occasion, ont avancé que M. Arago n’avait jamais rien fait et qu’il n’a aucun titre à la réputation dont il jouit, car c’est là évidemment une exagération inexcusable. M. Arago est un homme qui connaît admirablement certaines branches des sciences : personne ne sait mieux que lui l’optique, l’astronomie physique et la physique terrestre, et on lui doit plusieurs observations dont tous les savans apprécient l’importance. Mais il y a loin de là à cette universalité de connaissances, à cette suprématie de talent que ses amis lui attribuent et que la presse a proclamée si long-temps. Même après les pertes cruelles qu’elle a éprouvées dans ces dernières années, l’Académie renferme des hommes qui, parce qu’ils ont su rester fidèles aux sciences, ont contribué plus que M. Arago aux progrès des connaissances humaines, et dont le nom vivra probablement dans l’histoire plus long-temps que le sien.

Comme je vous l’ai déjà dit, M. Arago doit être rangé parmi les savans qui cherchent plutôt les phénomènes singuliers, capables de frapper l’imagination, que les théories élevées ou les résultats amenés par une étude profonde et persévérante. Les faits dont il a enrichi la science sont des observations heureuses qu’il a abandonnées presque immédiatement après les avoir faites, et qui ont eu besoin d’être fécondées par d’autres pour qu’on en sentît tout le prix. Ainsi, par exemple, la découverte du magnétisme développé par la rotation, qui est peut-être le fait le plus remarquable que la science doive à M. Arago, est un phénomène isolé qu’il rencontra, de son propre aveu, en cherchant autre chose et par accident, et qui place ce savant physicien à côté de M. Œrsted pour la découverte de l’électro-magnétisme, de M. Dobereiner pour l’inflammation du gaz hydrogène mis en contact avec le platine spongieux, et de M. Dutrochet pour la découverte de l’endosmose. Cependant, sans les grands travaux de M. Faraday, qui a su rattacher les recherches de M. Arago à sa belle théorie de l’induction, l’observation du savant secrétaire perpétuel serait probablement restée aussi stérile que l’était la découverte de l’habile physicien danois avant les profondes recherches d’Ampère.

La faculté la plus remarquable de M. Arago, celle qui lui a valu principalement sa popularité, c’est son talent d’exposition, qui est véritablement d’un ordre très élevé. Il faut l’avoir entendu pour savoir avec quelle lucidité, avec quelle méthode il sait analyser une question scientifique, la ramener à ses élémens les plus simples, éviter tout ce qu’elle a de trop difficile, et la présenter au public sous un aspect si séduisant, que les auditeurs s’imaginent avoir compris parfaitement des choses dont, privés comme ils le sont le plus souvent des connaissances nécessaires, ils ne sauraient avoir aucune idée nette. Cette faculté par laquelle M. Arago sait captiver l’attention de son auditoire et qui lui a valu tant de succès, jointe à la peine avec laquelle il travaille, aux fonctions politiques qu’il remplit, et qui lui prennent presque tout son temps, l’ont peut-être conduit à penser, bien à tort cependant, qu’il lui était inutile de se livrer à de nouveaux travaux scientifiques, et qu’il lui suffisait de parler pour augmenter sans cesse sa réputation. Mais on commence à remarquer que, depuis quinze ans, M. Arago n’a fait aucune observation, aucune recherche nouvelle, et qu’actuellement en substance tous ses travaux se réduisent en projets d’expériences qu’il a l’air quelquefois d’improviser au moment de la séance, en communications verbales relatives à des faits déjà anciennement connus, et en anecdotes scientifiques ou en extraits de la correspondance. M. Arago est très heureux lorsqu’il peut rencontrer une de ces questions singulières qui excitent la curiosité du public. On se rappelle avec quel empressement il rendit compte, il y a quelque temps, des pluies de grenouilles. Pendant trois mois, il en fut souvent question à l’Académie ; mais un érudit allemand ayant cru devoir citer, à l’appui de ce fait extraordinaire, je ne sais quel auteur ancien qui raconte une pluie de bœufs, le secrétaire perpétuel se le tint pour dit, et depuis cette époque on n’en a plus parlé. Une autre fois, ce furent les étoiles filantes périodiques que M. Arago annonça avec pompe. À cette occasion, un de ses confrères ne put s’empêcher de lui jouer un tour d’écolier ; car, quelque temps après, il lut à l’Académie un mémoire où il commençait par citer votre savant ami M. Olmsted, à qui l’on doit cette remarque importante, et que M. Arago avait oublié de mentionner. Depuis plus d’un an, M. Arago ne cesse d’entretenir l’Académie de la découverte de M. Daguerre, de sorte que la salle des séances est devenue une espèce d’exposition permanente des produits de tous les opticiens de Paris. Il serait temps de mettre un terme aux communications de cette nature qui s’adresseraient bien mieux à la Société d’Encouragement, car rien n’est moins scientifique ni moins conforme aux usages de l’Académie et à la dignité des sciences, que la manière dont se manifeste la curiosité du public lorsqu’on lui présente (pour me servir de l’expression attribuée à M. Berzélius) ces joujoux scientifiques. Au reste, cette tendance de M. Arago à faire valoir tout ce qui peut exciter la curiosité est tellement connue, que l’été dernier le propriétaire de deux chiens savans crut pouvoir demander (à ce qu’on assure) la permission de faire manœuvrer ses animaux devant l’Académie.

Comme secrétaire perpétuel, M. Arago est chargé de dépouiller la correspondance alternativement avec l’autre secrétaire, M. Flourens, et il s’en acquitte avec un succès qui sert à augmenter encore son influence ; car les communications verbales qu’il fait à propos de certains mémoires, faisant briller leurs auteurs aux yeux des journalistes et du public, il est facile de concevoir combien de personnes il doit s’attacher ainsi. Cependant on doit dire que, malgré tous les moyens dont il dispose, ce n’est guère qu’en France, et surtout à Paris, qu’il exerce cet ascendant. À l’étranger, où sa popularité ne peut guère avoir d’écho, et où l’on juge d’après les travaux imprimés, M. Arago est fort amoindri. Au reste, ses relations avec les différentes parties de l’Europe subissent des alternatives et des changemens assez fréquens. Ainsi, par exemple, à cause de ses discussions avec Brewster, M. Arago fut long-temps en guerre contre les savans anglais ; puis, lorsqu’à son dernier voyage en Angleterre, il se vit fêté et nommé citoyen de je ne sais combien de villes de l’Écosse, il changea d’opinion et devint l’admirateur de ces mêmes savans qu’il avait tant critiqués. Mais ne voilà-t-il pas que, se confiant un peu légèrement peut-être au savoir de lord Brougham, qu’il avait cependant révoqué en doute dans l’éloge d’Young avant que la communauté des opinions politiques eût rapproché les radicaux des deux nations, le secrétaire perpétuel a répété dans l’éloge de Watt des insinuations qui ont semblé blessantes pour la mémoire de Cavendish. Là-dessus grande rumeur au-delà du détroit ; les savans s’émeuvent, l’association britannique, corps illustre qui dirige actuellement la marche des sciences en Angleterre, lance un manifeste contre lord Brougham et contre M. Arago, où elle leur dit qu’ils n’ont pas examiné les pièces, qu’ils n’ont pas étudié les faits. Le savant astronome a annoncé qu’il préparait une réponse, et l’on dit qu’il est fort disposé à tonner de nouveau contre la perfide Albion. Il faut que des deux côtés la question soit examinée avec calme et sans aucune prévention politique, afin qu’on ne puisse pas dire que les uns défendent Watt parce qu’il était plébéien, et que les autres soutiennent dans Cavendish un représentant de l’aristocratie.

Depuis la mort de Cuvier, les relations scientifiques de l’Institut avec l’Allemagne sont devenues de jour en jour moins fréquentes, et c’est grand dommage, car on sait combien sont solides et profonds les travaux des Allemands. Peut-être M. Arago n’éprouve-t-il pas assez de sympathie pour ces savans du Nord qui cherchent moins la réputation de leur vivant que la gloire après leur mort ; et d’ailleurs, ne connaissant pas leur langue, il est encore moins porté à apprécier leurs écrits. Les seules communications qu’il ait avec l’Allemagne dépendent de l’amitié qu’a pour lui M. de Humboldt, savant célèbre, qui sait suffire à tout, et qui, malgré son séjour à la cour et ses succès de société, ne cesse de travailler et de produire toujours d’importans ouvrages. On doit regretter vivement que, sous le rapport scientifique, l’Allemagne ne soit plus aussi intimement liée à la France qu’elle l’était autrefois. Dans le siècle dernier, notre littérature dominait dans toute l’Europe, les cours du Nord avaient adopté notre langue, les académies les plus célèbres de l’Allemagne publiaient leurs mémoires en français, et, depuis Pétersbourg jusqu’à Lisbonne, il ne se faisait aucune découverte, aucune observation intéressante, que l’auteur ne s’empressât d’en donner connaissance à l’Académie des sciences de Paris, qui, à huis clos et sans chercher la popularité, avait établi partout sa suprématie. Et maintenant on dirait qu’à mesure que l’on fait des avances au public, la sphère d’action et l’influence de l’Académie diminuent. L’Académie de Berlin s’est séparée de nous et emploie la langue allemande pour ses publications. Les hommes les plus illustres du Nord, les Berzélius, les Gauss, n’envoient même plus leurs ouvrages à l’Institut. C’est là un fait grave, qui intéresse au plus haut degré la dignité du corps et la gloire scientifique de la France. Rétablir les relations qu’avait l’Académie avec les sociétés savantes des autres pays, lui rendre tout son ascendant en Europe, voilà ce que doivent chercher de préférence les hommes qui sont ses organes officiels, et qu’elle a choisis pour interprètes et pour représentans.

Les succès que M. Arago a obtenus à l’Académie en s’appliquant à populariser la science l’ont porté à introduire partout le même système. Dans les cours d’astronomie qu’il est chargé de donner à l’Observatoire, et qui malheureusement sont devenus si rares, il ne semble chercher qu’à attirer un nombreux auditoire, à intéresser les dames et les gens du monde, de sorte que ses leçons sont devenues une espèce de supplément au Spectacle de la Nature de l’abbé Pluche, où les lois les plus sublimes de l’univers sont exposées sans aucune démonstration et sous la forme de récit. Le talent du professeur est sans doute admirable, mais la dose de science qu’il communique à ses auditeurs n’est pas proportionnée à ce talent, et d’ailleurs on doit regretter que M. Arago ne se montre pas toujours suffisamment pénétré de la dignité du professorat. Les habitués de l’Observatoire se rappellent encore le jour où dans une de ses leçons ce savant astronome vint à parler subitement d’un gigot de mouton. L’auditoire émerveillé ne comprenait rien à cette constellation d’un nouveau genre ; mais, à la séance suivante, le mystère fut expliqué, et l’on apprit que ce comestible n’avait apparu au cours d’astronomie que par suite d’un pari fait par le professeur avec l’une de ses plus spirituelles élèves, de parler à ses leçons d’un sujet quelconque qu’elle voudrait bien lui indiquer.

M. Arago, qui depuis tant d’années n’a pas su trouver le temps d’achever les belles recherches scientifiques qu’il avait entreprises, s’est occupé de rédiger, pour l’Annuaire du Bureau des longitudes, des notices populaires où brille un remarquable talent d’exposition, mais qui ne méritaient certainement pas d’exercer un esprit aussi distingué. Le désir de captiver sans cesse l’attention, n’importe à quel prix, lui a fait accueillir dernièrement, avec un peu trop de facilité peut-être, des anecdotes scientifiques qui ne semblent pas reposer sur des fondemens assez solides ; et comme d’ailleurs son ardeur pour la popularité n’a jamais pu stimuler son activité, il en est résulté d’abord qu’au grand déplaisir de l’éditeur, un almanach où sont prédites les éclipses ne paraît souvent qu’après le milieu de l’année, lorsque les prédictions astronomiques qu’il contient ont pu se vérifier d’avance, et que, d’autre part, n’ayant pas le temps de remonter toujours aux sources et de faire lui-même l’histoire, M. Arago a été forcé de la prendre quelquefois toute faite dans les livres des autres, ce qui l’a exposé à tomber dans plusieurs inexactitudes, et l’oblige à rester dans le vague lorsqu’il doit citer quelque ouvrage. On dit que, vers la fin de sa vie, le pauvre M. Salverte parlait souvent de son ami M. Arago, qui, disait-il, avait emprunté sans le citer, à son Histoire des Sciences occultes, des faits piquans sur l’électricité et sur les machines à vapeur.

Au reste, les savans pardonneraient plus facilement à M. Arago son goût pour la popularité, s’il avait à leurs yeux toutes les qualités nécessaires à la place qu’il occupe à l’Académie. Mais ce qui lui nuit le plus et ce qu’il s’efforce en vain de cacher, c’est que, secrétaire perpétuel pour les sciences mathématiques, il n’est guère en état d’apprécier les travaux analytiques qui sont adressés à l’Institut. Sur ce point, les avis de tous les hommes compétens sont unanimes : ses amis les plus dévoués se taisent, mais n’osent pas contester la vérité du fait. Ce défaut se révèle à chaque instant de la manière la plus fâcheuse dans son cours, et surtout à l’Académie, où il lui est arrivé parfois de se tromper même dans les expressions techniques et dans les termes les plus usuels. C’est là véritablement son côté faible, et l’on conçoit combien un tel fait a de gravité pour le successeur de Fourier. Il n’y a pas un seul géomètre au monde qui ne sache au juste combien sont restreintes les connaissances mathématiques de M. Arago ; et si le public reste encore dans le doute à ce sujet, c’est qu’il s’agit de sciences difficiles et qui ne sont pas à la portée d’un nombreux auditoire. Il y a eu sans doute d’autres illustres physiciens qui n’étaient guère géomètres ; mais ceux-là avouaient leur insuffisance, et probablement ils n’auraient pas ambitionné la place de secrétaire perpétuel pour les mathématiques à l’Académie des sciences de Paris. C’est peut-être aussi pour cacher ce défaut que M. Arago, bien que doué de si heureuses facultés, a consenti à perdre la plupart de ses avantages, à se suicider pour ainsi dire aux yeux des savans, et à ne rechercher que les applaudissemens de la foule qu’elle jette toujours à ceux qui la flattent, et que par lassitude ou par caprice elle refuse un jour à ses plus chères idoles. Un homme de talent qui, au lieu de se livrer à des recherches originales, se ferait l’écho et le traducteur des idées des autres pour se rendre populaire, imiterait à son insu cet écrivain célèbre qui se fit comédien, sous prétexte qu’il voyait les acteurs toujours plus applaudis que les auteurs. Sans doute, Talma et Mlle Mars ont obtenu plus d’applaudissemens dans leur vie que n’en eurent jamais Corneille ou Racine ; mais, sans parler des couronnes qui vont chercher l’auteur sur la tête du comédien, demandez après cent ans ce que sont devenus les plus grands acteurs ? Tout meurt avec eux, tandis que la gloire de l’écrivain traverse les siècles et ne cesse jamais de grandir.

Pour vous donner une idée complète de M. Arago, il faudrait que je pusse vous le montrer aussi hors de l’Académie, car ce n’est pas là seulement qu’il cherche à exercer son influence et à faire prévaloir son opinion. M. Arago, vous le savez, est aussi un homme politique ; il est député, il est membre du conseil général de la Seine ; et mettant habilement à profit, à la chambre sa position scientifique, ailleurs son influence politique, il a su étendre partout son autorité. C’est ainsi qu’il a établi sa prépondérance à l’Observatoire et dans le conseil de l’École polytechnique. Je reviendrai une autre fois, monsieur, sur cette école célèbre et sur l’Observatoire de Paris, auquel est attaché le sort de l’astronomie en France, et d’où l’on voudrait voir sortir plus souvent des travaux comparables à ceux que produisirent, dans le siècle dernier, les astronomes qui surent répandre tant d’éclat sur ce grand établissement.

Comme je ne veux nullement entrer dans la politique, je me bornerai à vous faire remarquer qu’à la Chambre M. Arago n’a pas réussi à se créer une position tout-à-fait conforme à son talent. Cela tient en partie sans doute aux opinions démocratiques qu’il professe, mais en partie aussi au caractère un peu trop passionné et souvent personnel des discours qu’il a prononcés. On ne conçoit pas, en effet, pourquoi un homme d’un esprit si distingué, et dont les connaissances théoriques auraient pu en plusieurs circonstances être très utiles à la Chambre, n’a presque jamais pris la parole sans attaquer quelque corps ou quelque individu. L’enseignement classique tout entier, l’École des ponts-et-chaussées, la marine, les examinateurs de l’École de Saint-Cyr, et même le professeur d’astronomie du Collége de France, ont été tour à tour l’objet de ses agressions. M. Arago semble oublier quelquefois que du haut de la tribune un député parle à la France et à l’Europe entière, et que, pour ne pas compromettre sa dignité, il doit toujours s’abstenir de toute personnalité.

Vous trouverez peut-être, monsieur, que, voulant vous parler de l’état des sciences en France, je vous ai entretenu bien long-temps d’un seul homme. Mais si vous considérez la position que cet homme occupe à l’Institut et à la Chambre, l’influence qu’il exerce sur une partie notable de la presse, les nombreux partisans qu’il a dans les premiers corps scientifiques de Paris, sa grande popularité, l’activité avec laquelle il sait servir ses adhérens et poursuivre ses adversaires ; si vous remarquez qu’il est devenu le chef d’un parti redoutable qui menace de tout envahir, vous comprendrez que je ne pouvais pas me borner à quelques mots sur son compte, et qu’en vous le faisant connaître, je vous initiais aux ressorts cachés, mais puissans, qui agissent continuellement chez nous sur les sciences, et qui, si la chose était possible, tendraient à les faire descendre des plus hautes sommités pour les amener à suivre l’impulsion capricieuse de la foule et à ambitionner le suffrage de juges incompétens.

Les défauts que j’ai dû signaler dans M. Arago ne m’empêchent pas, monsieur, de reconnaître ses qualités. Personne plus que moi n’est porté à admirer son talent ; et si j’ai avancé que par suite de son caractère impérieux, de son désir ardent de popularité, l’influence qu’il exerce actuellement n’est plus aussi utile à l’Académie qu’elle l’a été autrefois, c’est que je le crois capable d’entendre ces paroles et de se vouer au progrès des hautes sciences avec un zèle égal à celui qu’il a montré jusqu’ici pour la propagation des connaissances élémentaires. Que M. Arago reprenne sérieusement ses travaux, qu’il laisse à chacun la liberté de ses opinions, et il n’y aura jamais assez d’éloges et de couronnes pour lui ; mais si, écoutant de perfides conseils, il voulait abuser de son ascendant pour imposer toujours sa volonté, pour faire dominer de plus en plus la science populaire, alors tous ceux qui aiment la France se verraient à regret forcés d’élever la voix pour avertir le public des dangers qui menacent les hautes sciences et la gloire nationale. Au reste, c’est surtout M. Arago qui maintenant est entouré de dangers, car l’abus du pouvoir finit toujours par amener une réaction violente où l’injustice marche à la suite de la révolte. Et l’on peut affirmer que, malgré ses succès actuels, s’il ne se hâte de changer de système, avant peu il tombera, et qu’il se verra même privé du degré d’influence et de réputation que ses talens devaient lui assurer. L’expérience et l’histoire sont là pour justifier cette prédiction.

Vous ne vous attendez pas sans doute, monsieur, à trouver dans cette lettre l’exposé des travaux de tous les membres de l’Académie, car un tel exposé ne serait rien moins que l’histoire des sciences en France depuis la fin du XVIIIe siècle. D’ailleurs, ce ne sont pas les travaux individuels que vous voulez étudier, c’est l’ensemble des connaissances humaines qui vous intéresse et dont vous voulez suivre les progrès. Toutefois, comment résister au désir de vous nommer quelques-uns au moins de ces savans illustres qui honorent notre siècle et l’humanité ? Et d’abord ce Gay-Lussac, grand chimiste et grand physicien, dont tous les travaux sont des chefs-d’œuvre, et qui, malgré sa modestie, jouit d’une si belle gloire. Qui n’a pas admiré la parfaite urbanité avec laquelle il combattit les opinions de Davy sur les points les plus élevés de la science ? Il a semblé seul ne pas s’apercevoir qu’il avait vaincu l’illustre chimiste anglais. Et ce Thénard, qui, au mérite de contribuer personnellement aux progrès de la philosophie naturelle, a su joindre celui encore plus rare de faire des élèves qui sont devenus à leur tour des maîtres célèbres, et de les signaler avec une affection paternelle à l’estime du pays. C’est à MM. Thénard et Gay-Lussac, dont les noms se trouvent si souvent réunis ; à M. Chevreul, qui sait porter le flambeau de la philosophie dans toutes les questions dont il s’occupe ; à M. Berthier, qui s’est créé une si brillante spécialité dans la chimie minérale ; à M. Robiquet, qui a fait tant d’observations ingénieuses ; à toute la section de chimie, en un mot, que la France doit cette jeune et brillante école à la tête de laquelle se sont placés MM. Dumas et Pelouze, et qui compte, même en dehors de l’Institut, tant d’habiles chimistes. Dumas, esprit supérieur, si connu pour le succès de ses leçons et pour sa belle théorie des substitutions, appartient à cette famille Brongniart, qui actuellement a cinq de ses membres à l’Académie des sciences, et dont le chef semble éviter avec un soin particulier de faire usage de l’influence que ses travaux et sa position lui ont si bien méritée. Les Brongniart et les Geoffroy paraissent destinés à remplacer à l’Institut les Cassini et les Jussieu, qui honorent la science depuis si long-temps, et qui malheureusement semblent ne pas devoir laisser de postérité académique.

Si la chimie est la science que l’on cultive actuellement avec le plus d’ardeur et de succès parmi nous, la physique ne se trouve pas dans un état aussi prospère. Ce n’est pas que, même après la perte irréparable d’Ampère et de Dulong, l’Académie ne renferme des physiciens du premier ordre. La section de physique est une des plus fortes de l’Institut ; mais au dehors les physiciens sont rares, et le nombre des candidats est fort restreint quand il y a quelque vide à remplir. Cependant une section qui se compose d’hommes tels que MM. Gay-Lussac, Poisson, Savart, Becquerel et Pouillet, et qui se trouve renforcée par MM. Arago et Biot, et par les chimistes de l’Académie, lesquels en général sont aussi de très habiles physiciens, doit nécessairement exercer son influence dans le public, et ramener à l’étude des grandes lois de la nature ces esprits ingénieux qui maintenant ne semblent prendre intérêt qu’aux phénomènes particuliers de la chimie organique. Le champ est vaste et promet de riches moissons. Malheureusement, la physique ne mène pas, comme la chimie, à la fortune, et, dans notre siècle, le moindre perfectionnement sur la fabrication du sucre de betterave aura toujours plus de retentissement dans le public que toutes les belles recherches de M. Savart sur l’acoustique, ou de M. Becquerel sur l’électricité.

De même que la chimie, la mécanique est destinée à satisfaire aux besoins actuels de la société : aussi, non-seulement elle se trouve dignement représentée à l’Institut par des hommes du plus grand mérite, mais il y a au dehors plusieurs savans distingués que l’on s’impatiente de ne pas voir encore à l’Académie. Tous les services publics ont été mis à contribution pour enrichir la section de mécanique. La marine a donné M. Dupin ; les ponts-et-chaussées MM. Cauchy et Coriolis ; M. Poncelet est sorti de cette belle école de Metz où la science est appliquée à la fois à la défense et à la prospérité du pays. M. Gambey, entré récemment à l’Académie, et qui jouit d’une réputation si bien méritée, est un exemple frappant de la supériorité de la classe ouvrière chez nous, où chaque individu a dans son sac à outils la médaille de membre de l’Institut. Enfin, il ne faut pas oublier un académicien libre, M. Séguier, qui trouve dans les plus ingénieuses combinaisons mécaniques un délassement à ses graves fonctions de magistrat.

La section de géométrie, qui est la première à l’Académie, était peut-être aussi la plus forte et la plus illustre lorsqu’elle renfermait à la fois Lagrange, Legendre et Laplace. Maintenant, quoique, sous la direction du vénérable M. Lacroix, elle soutienne encore l’honneur du corps, elle fait entendre trop rarement sa voix, et, excepté quelques beaux mémoires de M. Poinsot sur la philosophie des mathématiques, on ne connaît aucun travail analytique sorti récemment de la plume d’un des membres de cette section. Sans doute, M. Puissant est à la tête de tous ceux qui s’occupent de géodésie en Europe, M. Biot est un physicien du premier ordre ; mais, comme géomètres, ils ne prennent part que bien rarement aux travaux de la section à laquelle ils appartiennent. Cependant cette section est renforcée à l’Académie par d’autres savans qui suffiraient seuls à la réputation de la France. À leur tête brille M. Poisson, si fertile et si profond à la fois, que nous pourrons toujours montrer aux étrangers avec un juste sentiment de fierté nationale, et qui a fait faire à la mécanique céleste, à la physique mathématique, à toutes les branches de l’analyse, de si notables progrès. M. Cauchy, qu’après une longue absence on a vu avec plaisir rentrer à l’Académie, étonne l’Europe par le nombre et la variété de ses travaux. Enfin, M. Porcelet, qui, lorsqu’il était prisonnier en Russie, pour se soustraire aux ennuis d’un séjour forcé dans des pays barbares, sut créer des méthodes qui ont donné une nouvelle impulsion à la géométrie, mérite d’être cité parmi nos plus habiles mathématiciens. De tels exemples doivent exciter la jeunesse à cultiver avec ardeur la science qui, depuis deux siècles, n’a cessé de briller chez nous. L’esprit géométrique ne s’éteindra jamais en France, mais on pourrait craindre qu’après avoir bien appris les mathématiques, nos jeunes savans, attirés par des avantages et des séductions de toute nature, ne négligeassent les sciences abstraites pour se livrer trop exclusivement aux applications. Cependant le danger est loin d’être imminent ; car, même en dehors de l’Institut, il existe plusieurs géomètres qui cultivent avec succès les branches les plus élevées de l’analyse, et auxquels il ne manque que le titre d’académicien.

Ce sont les naturalistes qui, à l’Académie des sciences, produisent le plus grand nombre de mémoires et de travaux originaux. M. de Mirbel, qui a tant fait pour la physiologie végétale, a donné récemment une preuve admirable de dévouement et de zèle, en allant étudier dans l’Algérie le mode de développement du palmier. Lors de la dernière irruption des Arabes, l’Académie s’est émue en songeant qu’un tel botaniste, qui depuis plus de trente ans ne cesse de contribuer aux progrès de la science, pouvait tomber sous le fer d’un barbare. Heureusement ces craintes n’étaient pas fondées : M. de Mirbel est revenu au milieu de ses confrères, et il va sans doute leur communiquer bientôt les résultats de son voyage. M. de Blainville, qui, pour la profondeur et la variété de ses connaissances, est regardé à l’Académie comme le successeur de Cuvier, a dû accepter aussi l’héritage des discussions et des rivalités de ce grand naturaliste, et combattre les tendances de l’école synthétique et philosophique dont le chef, M. Geoffroy Saint-Hilaire, dédaignant de suivre la route ordinaire, aime surtout, à ce que l’on dit, à être appelé le Kepler de l’histoire naturelle. M. Magendie, dont les beaux travaux sont connus dans toute l’Europe, ne cesse de combattre pour la science positive et pour les faits, contre ce que la médecine et la physiologie peuvent avoir de systématique et de trop conjectural. Malgré ses occupations nombreuses, M. Flourens entretient souvent l’Académie du résultat de ses recherches. Scrupuleusement attaché, dans l’histoire naturelle, à la méthode expérimentale, dans le sein de l’Académie, aux réglemens, M. Flourens, comme savant et comme secrétaire perpétuel, est doublement utile à l’Institut. M. Breschet est un de ces hommes qui savent allier la pratique de l’art difficile de guérir aux travaux les plus remarquables sur l’histoire naturelle générale. MM. Audouin et Milne Edwards offrent le spectacle rare d’une amitié scientifique qui a résisté à toutes les chances de dissolution, aux candidatures auxquelles ils se sont présentés ensemble, et à la réputation qu’ils ont acquise dans les mêmes branches de l’histoire naturelle. Admis tous deux, et dans la même année, à l’Académie, ils sont destinés par leur âge à la faire jouir long-temps du fruit de leurs travaux. On pourrait ajouter d’autres noms illustres à ceux qu’on vient de citer ; mais malheureusement il y a des académiciens qui depuis très long-temps n’ont pas lu un seul mémoire à l’Institut, et dont, pour ce motif, il me semble que je dois m’abstenir de parler ici. À la vérité, pour les médecins de l’Académie, cette inaction est presque une nécessité ; car, chargés ordinairement de quelque cours public et accablés par une nombreuse clientelle, ils se voient de plus ravir par les commissions des prix Monthyon le peu de temps dont ils pourraient disposer pour se livrer à l’étude. Concevez-vous, monsieur, quelque chose de moins logique, de moins profitable aux véritables intérêts de la science, qu’un réglement qui force des hommes tels que les Larrey, les Double, les Magendie, les Dumeril, les Breschet, les Roux, les Serres, à interrompre tous leurs travaux scientifiques pour s’occuper exclusivement pendant plusieurs mois de l’examen d’ouvrages qui sont, sans aucun doute, bien inférieurs aux écrits originaux qui sortiraient de la plume de ces hommes célèbres, si on ne les privait pas ainsi de leur temps ? C’est là un des inconvéniens les plus graves des dispositions testamentaires de M. de Monthyon, et ce n’est pas le seul. Mais il n’y a pas uniquement des médecins à l’Académie, et l’on ne conçoit pas comment des hommes d’un talent incontestable, qui sont dans la force de l’âge, et qui peuvent disposer de leur temps, n’entretiennent pas plus souvent leurs confrères du fruit de leurs recherches. Leur silence appauvrit le corps auquel ils appartiennent ; il est à désirer, de toutes manières, qu’il ne se prolonge pas davantage. Les marques non équivoques de satisfaction que donne toujours l’Académie lorsqu’un de ses membres, surtout des plus anciens, demande la parole pour lire un mémoire, doit prouver généralement que, malgré des tendances et des aberrations individuelles, la haute science conserve son ascendant à l’Institut, et que ce corps n’a jamais cessé de rendre hommage au véritable talent.

Ne croyez pas cependant, monsieur, que par ces réflexions je veuille m’associer à ces voix malveillantes qui s’en vont répétant que les membres de l’Académie des sciences ne travaillent plus, et qu’il est nécessaire de réveiller leur zèle à tout prix : sans parler de ces illustres vétérans qui, au déclin d’une vie noblement employée, servent d’exemple à leurs jeunes confrères, même parmi ceux qui ne prennent jamais la parole, il n’y en a presque pas un seul qui ne poursuive avec persévérance un sujet déterminé de recherches, ou qui ne s’occupe activement de la publication d’un ouvrage considérable. Mais ces ouvrages contribuent plus à la réputation individuelle de l’auteur qu’à la gloire du corps dont il fait partie, et il faudrait qu’avant de livrer le résultat de ses recherches au public, chaque auteur, dans un mémoire détaillé, rendît compte de ses travaux à l’Académie. On enrichirait ainsi toujours les volumes académiques, et l’on ne laisserait guère à la science secondaire les moyens de s’introduire à l’Institut, ni d’absorber par la correspondance un temps si considérable.

Après vous avoir parlé rapidement des savans les plus célèbres que réunit dans son sein l’Académie des sciences, de leur influence sur le public, et de l’action que le public exerce sur eux, il me resterait à vous entretenir, monsieur, des rapports de cette Académie avec les autres classes de l’Institut et avec le gouvernement, des relations qu’elle a établies dans toutes les parties de l’Europe à l’aide de ses correspondans, à l’aide surtout de ses huit associés étrangers, pris parmi ce que la science a de plus éminent. Mais, sous cet aspect, ce n’est plus l’Académie des sciences seulement qu’il faut considérer, c’est l’Institut tout entier qui jouit des mêmes attributions, qui exerce la même influence, et qui a su se rattacher tous les talens de l’Europe. Je vous demanderai donc la permission de renvoyer à une autre occasion l’examen de tout ce qui se rapporte à l’organisation générale de l’Institut, à l’action qu’il exerce comme corps unique, et je terminerai cette lettre par quelques remarques dont j’espère que vous reconnaîtrez l’opportunité.

J’ai dit en commençant que je me voyais à regret exposé à froisser l’amour-propre de quelques savans illustres dont j’admire sincèrement le talent ; car le jugement que j’ai dû porter sur des hommes d’un mérite si éminent a pu, je le crains, les irriter contre cet inconnu qui malgré lui, était forcé parfois de mêler la critique à l’éloge. Mais ce qu’il y a de plus singulier dans ma position, c’est que peut-être cette lettre est destinée à exciter encore plus de ressentiment chez les personnes dont je partage et défends les opinions que chez les hommes dont j’ai dû combattre les tendances. Cela tient surtout à l’abus que l’on a fait quelquefois de la publicité à l’Académie, abus par suite duquel les savans qui ont eu à s’en plaindre ont conçu la plus vive aversion contre toute intervention de la presse dans les affaires de l’Institut. Cette aversion, qui est peut-être exagérée, ne tend à rien moins cependant qu’à les livrer sans défense à leurs adversaires. Si tout le monde s’imposait la même réserve, on conçoit les scrupules qui pourraient arrêter quiconque serait tenté de faire un appel à la publicité ; mais reconnaître qu’entre les mains de certaines personnes, la presse est un moyen puissant qui leur a donné souvent la victoire, qui a servi même quelquefois à égarer l’opinion publique, et vouloir combattre en se privant de l’arme à laquelle on attribue tous les avantages de ses adversaires, c’est véritablement accepter un duel où l’on sait d’avance que l’on doit succomber. D’ailleurs, la presse n’a pas de parti pris ni de préventions : elle a reproduit les opinions de ceux qui se mettaient en rapport avec elle, et ne pouvait pas faire autrement ; mais elle est prête à accepter la vérité, de quelque côté qu’elle lui vienne. Il faut donc ne pas la repousser lorsqu’elle combat avec modération et convenance pour les saines idées. Voilà du moins mon opinion : elle servira, je l’espère, d’excuse à mon zèle.

Cependant, si la presse est un auxiliaire qui, dans l’état actuel des choses, ne saurait être négligé, je crois que celui qui a la prétention, trop ambitieuse peut-être, de porter la parole dans l’intérêt des sciences, doit s’effacer avec soin, afin qu’on ne puisse pas supposer qu’il n’a soulevé certaines questions que dans le but d’attirer sur lui l’attention du public. Voilà pourquoi, monsieur, mon nom ne sera pas imprimé ici. Mais, tout en gardant l’anonyme, je ne cesserai jamais d’avoir devant les yeux les devoirs de l’écrivain, et je me rappellerai toujours que, quoique je me sois placé à l’écart, je dois me conduire de manière à pouvoir, s’il le faut, me présenter à tout instant pour assumer la responsabilité de mes écrits.


***
  1. Depuis long-temps nous désirions présenter à nos lecteurs un tableau de l’état des sciences en France ; mais il était difficile de rencontrer dans la même personne les connaissances spéciales et l’indépendance de caractère et de position nécessaires pour entreprendre avec fruit ce travail. L’auteur de ces Lettres remplit au plus haut degré ces conditions, et nous croyons rendre service aux sciences en publiant des observations sur les hommes et sur les choses, où la franchise n’est jamais séparée de la modération et de l’impartialité. À la fin de cette lettre, on verra les motifs qui ont porté l’auteur à garder l’anonyme, et l’on pourra se convaincre que, tout en se plaçant à l’écart, il n’a jamais entendu décliner la responsabilité de ses écrits.(N. du D.)