Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829/18

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DIX-HUITIÈME LETTRE.


Thèbes (Médinet-Habou), le 30 juin 1829.

On peut se rendre à la grande butte de Médinet-Habou soit en prenant le chemin de la plaine, en traversant le Rhamesséion, l’emplacement de l’Aménophion (Memnônium), et les restes calcaires du Ménéphthéion, grand édifice construit par le fils et successeur de Rhamsès le Grand ; soit en suivant le vallon à l’entrée duquel s’élève le petit temple d’Hathôr et de Thmeï.

Là existe, presque enfouie sous les débris des habitations particulières qui se sont succédé d’âge en âge, une masse de monuments de haute importance, qui, étudiés avec attention, montrent, au milieu des plus grands souvenirs historiques, l’état des arts de l’Égypte à toutes les époques principales de son existence politique : c’est en quelque sorte un tableau abrégé de l’Égypte monumentale. On y trouve en effet réunis, un temple appartenant à l’époque pharaonique la plus brillante, celle des premiers rois de la XVIIIe dynastie ; un immense palais de la période des conquêtes, un édifice de la première décadence sous l’invasion éthiopienne, une chapelle élevée sous un des princes qui avaient brisé le joug des Perses ; un propylon de la dynastie grecque ; des propylées de l’époque romaine ; enfin, dans une des cours du palais pharaonique, des colonnes qui jadis soutenaient le faîte d’une église chrétienne.

Le détail un peu circonstancié de ce que renferment de plus curieux des monuments si variés me conduirait beaucoup trop loin ; je dois me contenter de donner une idée rapide de chacune des parties qui forment cet amas de constructions si intéressantes, en commençant par celles qui se présentent en arrivant à la butte du côté qui regarde le fleuve.

On rencontre d’abord une vaste enceinte construite en belles pierres de grès, peu élevée au-dessus du sol actuel, et dans laquelle on pénètre par une porte dont les jambages, surpassant à peine la corniche brute qui surmonte le mur d’enceinte, portent la figure en pied d’un empereur romain dont voici la légende hiéroglyphique inscrite dans les deux cartouches accolés : « L’empereur Cæsar-Titus-Ælius-Hadrianus- Antoninus- Pius. »

Le même prince est aussi représenté sur l’une des deux portes latérales de l’enceinte, où il est en adoration devant la triade de Thèbes à droite, et devant celle d’Hermonthis à gauche. C’est encore ici une nouvelle preuve de ces égards perpétuels de bon voisinage que se rendaient mutuellement les cultes locaux.

Au fond de l’enceinte s’élève une rangée de six colonnes réunies trois à trois par des murs d’entre-colonnement qui n’ont jamais reçu de sculptures. On trouve encore parmi les pierres amoncelées provenant des parties supérieures de cette construction, la légende impériale déjà citée : l’enceinte et les propylées appartiennent donc au règne d’Antonin-le-Pieux. C’est, d’ailleurs, ce que démontrait déjà le mauvais style des bas-reliefs.

En traversant ces propylées on arrive à un grand pylône dont la porte, ornée d’une corniche conservant encore ses couleurs assez vives, est couverte de bas-reliefs religieux ; l’adorateur, Ptolémée Soter II, présente des offrandes variées variées aux sept grandes divinités élémentaires et aux dieux des nomes Thébain et Hermonthite.

Le mur de l’enceinte et les propylées d’Antonin, aussi bien que le pylône de Soter II, m’ont offert une particularité remarquable : c’est que ces constructions modernes ont été élevées aux dépens d’un édifice antérieur et bien autrement important. Les pierres qui les forment sont couvertes de restes de légendes hiéroglyphiques, de portions de bas-reliefs religieux ou historiques, telles que des têtes ou des corps de divinités, des chars, des chevaux, des soldats, des prisonniers de guerre, enfin de nombreux débris d’un calendrier sacré ; et comme on lit sur une foule de pierres, en tout ou en partie, le prénom ou le nom de Rhamsès-le-Grand, il n’est point douteux, pour moi du moins, que ces blocs ne proviennent des démolitions du grand palais de Sésostris, le Rhamesséion, ravagé depuis long-temps par les Perses, à l’époque où, sous Ptolémée Soter II et Antonin, on bâtissait les propylées et le pylône dont il est ici question.

Au pylône de Soter succède un petit édifice d’une exécution plus élégante, semblable en son plan au petit édifice à jour de l’île de Philæ ; mais les huit colonnes qui le supportaient sont maintenant rasées jusqu’à la hauteur des murs des entre-colonnements. Tous les bas-reliefs encore existants représentent le roi Nectanèbe, de la trentième dynastie, la Sébennytique, adorant le souverain des dieux Amon-Ra, et recevant les dons et les bienfaits de tous les autres dieux de Thèbes.

Cette chapelle, du quatrième siècle avant J.-C., avait été appuyée sur un édifice plus ancien : c’est un pylône de médiocre étendue, dont les massifs, d’une belle proportion, ont souffert dans plusieurs de leurs parties. Élevé sous la domination du roi éthiopien Taharaka, dans le septième siècle avant notre ère, le nom, le prénom, les titres, les louanges de ce prince avaient été rappelés dans les inscriptions et les bas-reliefs décorant les faces des deux massifs, et sur la porte qui les sépare. Mais, à l’époque où les Saïtes remontèrent sur le trône des Pharaons, il paraît qu’on fit marteler, par une mesure générale, les noms des conquérants éthiopiens sur tous les monuments de l’Égypte.

J’ai déjà remarqué la proscription du nom de Sabacon dans le palais de Louqsor, le nom de Taharaka subit ici un semblable outrage ; mais les marteaux n’ont pu faire que l’on n’en reconnaisse encore sans peine tous les éléments constitutifs dans le plus grand nombre des cartouches existants. On lit de plus sur le massif de droite cette inscription relative à des embellissements exécutés sous Ptolémée Soter II :

« Cette belle réparation a été faite par le roi seigneur du Monde, le grand germe des dieux grands, celui que Phtah a éprouvé, image vivante d’Amon-Ra, le fils du soleil, le seigneur des diadêmes, Ptolémée toujours vivant, le dieu aimé d’Isis, le dieu sauveur (soter, NT NOHEM), en l’honneur de son père Amon-Ra, qui lui a concédé les périodes des panégyries sur le trône d’Hôrus. »

Il n’est pas inutile de comparer cette fastueuse légende des Lagides, à propos de quelques pierres qu’on a changées, avec les légendes que l’Éthiopien, véritable fondateur du pylône, a fait sculpter sur le bandeau de la porte ; elle ne contient que la simple formule suivante : « La vie (ou vive) le roi Taharaka, le bien-aimé d’Amon-Ra, seigneur des trônes du Monde. »

Sur les deux massifs extérieurs du pylône, ce prince, auquel certaines traditions historiques attribuent la conquête de toute l’Afrique septentrionale, jusqu’aux colonnes d’Hercule, a été figuré de proportion colossale, tenant d’une main robuste les chevelures, réunies en groupe, de peuples vaincus qu’il menace d’une sorte de massue.

Au-delà du pylône de Taharaka, et dans le mur de clôture nord, existent encore en place deux jambages d’une porte en granit rose, chargés de légendes exécutées avec soin et contenant le nom et les titres du fondateur, l’un des plus grands fonctionnaires de l’ordre sacerdotal, l’hiérogrammate et prophète Pétaménoph. C’est le même personnage qui fit creuser, vers l’entrée de la ville d’El-Assasif, l’immense et prodigieuse excavation que les voyageurs admirent sous le nom de Grande-Syringe.

On arrive enfin à l’édifice le plus antique, celui dont les propylées de l’époque romaine, le pylône des Lagides, la chapelle de Nectanèbe et le pylône du roi éthiopien ne sont que des dépendances ; ces diverses constructions ne furent élevées que pour annoncer dignement la demeure du roi des dieux, et celle du Pharaon, son représentant sur la terre.

Ce vieux monument, qui porte à la fois le double caractère de temple et de palais, se compose encore d’un sanctuaire environné de galeries formées de piliers ou de colonnes, et de huit salles plus ou moins vastes.

Toutes les parois portent des sculptures exécutées avec une correction remarquable et une grande finesse de travail : ce sont là des bas-reliefs de la meilleure époque de l’art. Aussi la décoration de cet édifice appartient-elle au règne de Thouthmosis Ier, de Thouthmosis II, de la reine Amensé, du régent Aménenthé et de Thouthmosis III, le Mœris des historiens grecs. C’est sous ce dernier Pharaon qu’on a décoré la plus grande partie de l’édifice ; les dédicaces en ont été faites en son nom : celle qu’on lit sous la galerie de droite, l’une des mieux conservées, donne une idée de toutes les autres ; la voici :

1re ligne. « La vie : l’Hôrus puissant, aimé de Phré, le souverain de la haute et basse région, grand chef de toutes les parties du monde, l’Hôrus resplendissant, grand par sa force, celui qui a frappé les neuf arcs (les peuples nomades) ; le dieu gracieux seigneur du monde, soleil stabiliteur du monde, le fils du soleil, Thouthmosis, bienfaiteur du monde, vivifié aujourd’hui et à toujours. »

2e ligne. « Il a fait exécuter ces constructions en l’honneur de son père Amon-Ra, roi des dieux ; il lui a érigé ce grand temple dans la partie occidentale du Thouthmoséion d’Ammon, en belle pierre de grès : c’est ce qu’a fait le (roi) vivant toujours. »

La plupart des bas-reliefs décorant les galeries et les chambres des édifices représentent ce roi, Thouthmosis III, rendant divers hommages aux dieux, ou en recevant des grâces et des dons : je citerai seulement des tableaux sculptés sur la paroi de gauche de la grande salle ou sanctuaire. Dans l’un, le plus étendu, le Pharaon casqué est conduit par la déesse Hathôr et par le dieu Atmou, qui se tiennent par la main, vers l’arbre mystique de la vie. Le roi des dieux, Amon-Ra, assis, trace avec un pinceau le nom de Thouthmosis sur l’épais feuillage, en disant : « Mon fils, stabiliteur du monde, je place ton nom sur l’arbre Oscht, dans le palais du soleil ! » Cette scène se passe devant les vingt-cinq divinités secondaires adorées à Thèbes et disposées sur deux files, en tête desquelles on lit l’inscription suivante : « Voici ce que disent les autres grandes divinités de Toph (Thèbes) : Nos coeurs se réjouissent à cause du bel édifice construit par le roi soleil stabiliteur du monde. »

J’ai trouvé dans le second tableau, pour la première fois, le nom et la représentation de la reine, femme de Thouthmosis III. Cette princesse, appelée Rhamaithé, et portant le titre de royale épouse, accompagne son mari faisant de riches offrandes à Amon-Ra, générateur ; la reine reparaît aussi dans deux tableaux décorant une des petites salles de gauche au fond de l’édifice.

Les six dernières salles du palais, dans l’une desquelles existe renversée une chapelle monolithe de granit rose, sont couvertes de bas-reliefs de l’époque de Thouthmosis Ier, de Thouthmosis II, de la reine Amensé, et de son fils Thouthmosis III, dont les légendes royales sont sculptées en surcharge sur celles du régent Aménenthé, martelées avec assez de soin, ainsi que toutes les figures en pied représentant ce prince, dont la mémoire fut aussi proscrite.

La fondation de cet édifice remonte donc aux premières années du XVIIIe siècle avant J.-C. Il est naturel, par conséquent, de rencontrer, en le parcourant avec soin, plusieurs restaurations annoncées d’ailleurs par des inscriptions qui en fixent l’époque et en nomment les auteurs ; telles sont :

1° La restauration des portes et d’une portion du plafond de la grande salle, par Ptolémée Evergète II, entre l’an 146 et l’an 118 avant notre ère.

2° Des réparations faites vers l’an 392 avant notre ère, aux colonnes d’ordre protodorique qui soutiennent les plafonds des galeries, sous le pharaon Mendésien Acoris. On a employé pour cela des pierres provenant d’un petit édifice construit par la princesse Neitocris, fille de Psammétichus II .

3° Toutes les sculptures des façades supérieures sud et nord exécutées sous le règne de Rhamsès-Méiamoun, au XVe siècle avant notre ère.

Ces derniers embellissements, les plus anciens et les plus notables de tous, avaient été ordonnés sans doute pour lier, par la décoration, le petit palais de Mœris avec le grand palais de Rhamsès-Méiamoun, qui, avec ses attenances, couvre presque toute la butte de Médinet-Habou.

C’est ici en effet qu’existent les ouvrages les plus remarquables de ce Pharaon, l’un des plus illustres parmi les souverains de l’Égypte, et dont les exploits militaires ont été confondus avec ceux de Sésostris ou Rhamsès-le-Grand, par les auteurs anciens et par les écrivains modernes.

Un édifice d’une médiocre étendue, mais singulier par ses formes inaccoutumées, le seul qui, parmi tous les monuments de l’Égypte, puisse donner une idée de ce qu’était une habitation particulière à ces anciennes époques, attire d’abord les regards du voyageur. Le plan qu’en ont publié les auteurs de la grande Description de l’Égypte, pourra donner une idée exacte de la disposition générale de ces deux massifs de pylônes unis à un grand pavillon par des constructions tournant sur elles-mêmes en équerre ; je ne dois m’occuper que des curieux bas-reliefs et des inscriptions sculptées sur toutes les surfaces.

L’entrée principale regarde le Nil : on tourne d’abord deux grands massifs, formant une espèce de faux pylône, ensevelis en partie sous des buttes provenant des débris d’habitations modernes. Vers le haut, règne une frise anaglyphique composée des éléments combinés de la légende royale du Rhamsès fils aîné et successeur immédiat de Rhamsès-Méiamoun, « Soleil, gardien de vérité éprouvé par Ammon ». On remarque de plus sur ces massifs, des tableaux d’adoration de la même époque, et deux fenêtres portant sur leur bandeau le disque ailé de Hat, et sur leurs jambages les légendes royales de Rhamsès-Méiamoun, « Soleil, gardien de vérité et ami d’Ammon. »

La porte qui sépare ces constructions appartient au règne d’un troisième Rhamsès, le second fils de Méiamoun, « le soleil seigneur de vérité aimé par Ammon. »

Dans l’intérieur de cette petite cour, s’élèvent deux massifs de pylônes ornés, ainsi que les constructions qui les unissent au grand pavillon, de frises anaglyphiques portant la légende du fondateur Rhamsès-Méiamoun, et de bas-reliefs d’un grand intérêt, parce qu’ils ont trait aux conquêtes de ce Pharaon.

La face antérieure du massif de droite est presque entièrement occupée par une figure colossale du conquérant levant sa hache d’armes sur un groupe de prisonniers barbus dont sa main gauche saisit les chevelures ; le dieu Amon-Ra, d’une stature tout aussi colossale, présente au vainqueur la harpe divine en disant : « Prends cette arme, mon fils chéri, et frappe les chefs des contrées étrangères ! »

Le soubassement de ce vaste tableau est composé des chefs des peuples soumis par Rhamsès-Méiamoun, agenouillés, les bras attachés derrière le dos par les liens qui, terminés par une houppe de papyrus ou une fleur de lotus, indiquent si le personnage est un asiatique ou un africain.

Ces chefs captifs, dont les costumes et les physionomies sont très-variés, offrent, avec toute vérité, les traits du visage et les vêtements particuliers à chacune des nations qu’ils représentent : des légendes hiéroglyphiques donnent successivement le nom de chaque peuple. Deux ont entièrement disparu ; celles qui subsistent, au nombre de cinq, annoncent :

Le chef du pays de Kouschi
xxxmauvaise race (l’Éthiopie),
en Afrique ;
Le chef du pays de Térosis,
Le chef du pays de Toroao,
et
Le chef du pays de Robou,
en Asie.
Le chef du pays de Moschausch,


xxxUn tableau et un soubassement analogues décorent la face antérieure du massif de gauche ; mais ici tous les captifs sont des chefs asiatiques ; on les a rangés dans l’ordre suivant :

Le chef de la mauvaise race du pays de Scheto ou Chéta ;

Le chef de la mauvaise race du pays d’Aumôr ;

Le grand du pays de Fékkaro ;

Le grand du pays de Schairotana contrée maritime ;

Le grand du pays de Scha…..(Le reste est détruit) ;

Le grand du pays de Touirscha, contrée maritime.

Le grand du pays de Pa… (le reste est détruit). Sur l’épaisseur du massif de gauche, Rhamsès-Méiamoun casqué, le carquois sur l’épaule, conduit des groupes de prisonniers de guerre aux pieds d’Amon-Ra : le dieu dit au conquérant : « Va ! empare-toi des contrées ; soumets leurs places fortes et amène leurs chefs en esclavage. »

Le massif correspondant, et les corps de logis qui réunissent le pylône au grand pavillon du fond, sont couverts de sculptures qu’il serait trop long de détailler ici. On remarque des fenêtres décorées extérieurement et intérieurement avec beaucoup de goût, et des balcons soutenus par des prisonniers barbares sortant à mi-corps de la muraille.

L’intérieur du grand pavillon, divisé en trois étages, fut décoré de bas-reliefs représentant des scènes domestiques de Rhamsès-Méiamoun ; je possède des dessins exacts de tous ces intéressants tableaux, parmi lesquels on remarque le Pharaon servi par les dames du palais, prenant son repas, jouant avec ses petits enfants ou occupé avec la reine d’une partie de jeu analogue à celui des échecs, etc., etc. L’extérieur de ce pavillon est couvert de légendes du roi ou de bas-reliefs commémoratifs de ses victoires.

C’est en suivant l’axe principal de ces curieuses constructions qu’on arrive enfin devant le premier pylône du grand et magnifique palais de Rhamsès-Méiamoun. L’édifice que nous venons de décrire n’en était qu’une dépendance et une simple annexe.

Ici, tout prend des proportions colossales : les faces extérieures des deux énormes massifs du premier pylône, entièrement couvertes de sculptures, rappellent les exploits du fondateur de l’édifice non-seulement par des tableaux d’un sens vague et général, mais encore par les images et les noms des peuples vaincus, par celles du conquérant et de la divinité protectrice qui lui donne la victoire. On voit sur le massif de gauche, le dieu Phtah-Socharis livrant à Rhamsès-Méiamoun treize contrées asiatiques, dont les noms, conservés pour la plupart, ont été sculptés dans des cartels servant comme de boucliers aux peuples enchaînés. Une longue inscription, dont les onze premières lignes sont assez bien conservées, nous apprend que ces conquêtes eurent lieu dans la douzième année du règne de ce Pharaon.

Dans le grand tableau du massif de droite, le dieu Amon-Ra, sous la forme de Phré hiéracocéphale, donne la harpé au belliqueux Rhamsès pour frapper vingt-neuf peuples du Nord ou du Midi ; dix-neuf noms de contrées ou de villes subsistent encore ; le reste a été détruit pour appuyer contre le pylône des masures modernes. Le roi des dieux adresse à Méiamoun un long discours dont voici les dix premières colonnes : « Amon-Ra a dit : Mon fils, mon germe chéri, maître du Monde, soleil gardien de justice, ami d’Ammon, toute force t’appartient sur la terre entière ; les nations du septentrion et du midi sont abattues sous tes pieds ; je te livre les chefs des contrées méridionales ; conduis-les en captivité, et leurs enfants à leur suite ; dispose de tous les biens existants dans leur pays : laisse respirer ceux d’entre eux qui voudront se soumettre, et punis ceux dont le cœur est contre toi. Je t’ai livré aussi le Nord… (lacune) ; la Terre-Rouge (l’Arabie) est sous tes sandales, etc., etc. »

Une grande stèle, mais très-fruste, constate que ces conquêtes eurent lieu la onzième année du roi. C’est à la même année du règne de Rhamsès-Méiamoun que se rapportent les sculptures des massifs du premier pylône du côté de la cour. Il s’agit ici d’une campagne contre les peuples asiatiques nommés Moschausch.

Des masses de débris amoncelés couvrent toute la partie inférieure du pylône et enfouissent en très-grande partie la magnifique colonnade qui décore le côté gauche de la cour, ainsi que la galerie soutenue par des piliers-cariatides formant cette même cour du côté droit. Déblayer cette partie du palais serait une entreprise fort dispendieuse, mais elle aurait pour résultat certain de rendre à l’admiration des voyageurs deux galeries de la plus complète conservation, des colonnes couvertes de bas-reliefs, de riches décorations ayant conservé tout l’éclat de leurs couleurs, et enfin une nombreuse série de grands tableaux historiques. Il a fallu me contenter de copier les inscriptions dédicatoires qui couvrent les deux frises et les architraves des élégantes colonnes, dont les chapiteaux imitent la fleur épanouie du lotus.

Au fond de cette première cour s’élève un second pylône, décoré de figures colossales sculptées, comme partout ailleurs, de relief dans le creux ; celles-ci rappellent les triomphes de Rhamsès-Méiamoun dans la IXe année de son règne. Le roi, la tête surmontée des insignes du fils aîné d’Ammon, entre dans le temple d’Amon-Ra et de la déesse Mouth, conduisant trois colonnes de prisonniers de guerre, imberbes, et enchaînés dans diverses positions : ces nations, appartenant à une même race, sont nommées Schakalascha, Taônaou et Pourosato. Plusieurs voyageurs, examinant les physionomies et le costume de ces captifs, ont cru reconnaître en eux des peuples Hindous. Sur le massif de droite de ce pylône existait une énorme inscription, aujourd’hui détruite aux trois quarts par des fractures et des excavations. J’ai vu, par ce qui en subsiste encore, qu’elle était relative à l’expédition contre les Schakalascha, les Fekkaro, les Pourosato, les Taônaou et les Ouschascha. Il y est aussi question des contrées d’Aumôr et d’Oreksa, ainsi que d’une bataille navale.

Une magnifique porte en granit rose unit les deux massifs du second pylône. Des tableaux d’adoration aux diverses formes d’Amon-Ra et de Phtah en décorent les jambages, au bas desquels on lit deux inscriptions dédicatoires attestant que Rhamsès-Méiamoun a consacré cette grande porte en belle pierre de granit, à son père Amon-Ra, et qu’enfin les battants ont été si richement ornés de métaux précieux, qu’Ammon lui-même se réjouit en les contemplant.

On se trouve, après avoir franchi cette porte, dans la seconde cour du palais, où la grandeur pharaonique se montre dans tout son éclat : la vue seule peut donner une idée du majestueux effet de ce péristyle, soutenu à l’est et à l’ouest par d’énormes colonnades, au nord par des piliers contre lesquels s’appuient des cariatides, derrière lesquels se montre une seconde colonnade. Tout est chargé de sculptures revêtues de couleurs très-brillantes encore : c’est ici qu’il faut envoyer, pour les convertir, les ennemis systématiques de l’architecture peinte.

Les parois des quatre galeries de cette cour conservent toutes leurs décorations : de grands et vastes tableaux sculptés et peints appellent de toute part la curiosité des voyageurs. L’œil se repose sur le bel azur des plafonds ornés d’étoiles de couleur jaune doré ; mais l’importance et la variété des scènes reproduites par le ciseau absorbent bientôt toute l’attention. Quatre tableaux formant le registre inférieur de la galerie de l’Est côté gauche, et une partie de la galerie Sud, retracent les principales circonstances d’une guerre de Rhamsès-Méiamoun contre des peuples asiatiques nommés Robou, teint clair, nez aquilin, longue barbe, couverts d’une grande tunique et d’un surtout transversalement rayé bleu et blanc ; ce costume est tout-à-fait analogue à celui des Assyriens et des Mèdes figurés, sur les cylindres dits babyloniens ou persépolitains.

1er Tableau. Grande bataille : le héros égyptien, debout sur un char lancé au galop, décoche des flèches contre une foule d’ennemis fuyant dans le plus grand désordre. On aperçoit sur le premier plan les chefs égyptiens montés sur des chars, et leurs soldats entremêlés à des alliés, les Fekkaro, massacrant les Robou épouvantés, ou les liant comme prisonniers de guerre. Ce tableau seul contient plus de cent figures en pied, sans compter les chevaux.

2e Tableau. Les princes et les chefs de l’armée égyptienne conduisent au roi victorieux quatre colonnes de prisonniers : des scribes comptent et enregistrent le nombre des mains droites et des parties génitales coupées aux Robou morts sur le champ de bataille. L’inscription porte textuellement : « Conduite des prisonniers en présence de Sa Majesté ; ceux-ci sont au nombre de mille ; mains coupées, trois mille ; phallus, trois mille. » Le Pharaon, au pied duquel on dépose ces trophées, paisiblement assis sur son char, dont les chevaux sont retenus par des officiers, adresse une allocution à ses guerriers ; il les félicite de leur victoire, et prodigue fort naïvement les plus grands éloges à sa propre personne. « Livrez-vous à la joie, leur dit-il, qu’elle s’élève jusqu’au ciel ; les étrangers sont renversés par ma force ; la terreur de mon nom est venue, leurs cœurs en ont été remplis ; je me suis présenté devant eux comme un lion, je les ai poursuivis semblable à un épervier ; j’ai anéanti leurs âmes criminelles ; j’ai franchi leurs fleuves, j’ai incendié leurs forteresses ; je suis pour l’Égypte ce qu’a été le dieu Mandou : j’ai vaincu les Barbares : Amon-Ra mon père a humilié le Monde entier sous mes pieds, et je suis roi sur le trône à toujours. »

En dehors de ce curieux tableau existe une longue inscription malheureusement fort endommagée, et relative à cette campagne, qui date de l’an Ve du règne de Rhamsès-Méiamoun.

3e Tableau. Le vainqueur, le fouet en main et guidant ses chevaux, retourne ensuite en Égypte ; des groupes de prisonniers enchaînés précèdent son char ; des officiers étendent au-dessus de la tête du Pharaon de larges ombrelles ; le premier plan est occupé par l’armée égyptienne, divisée en pelotons marchant régulièrement en ligne et et au pas, selon les règles de la tactique moderne.

Enfin Rhamsès rentre triomphant dans Thèbes (4e tableau) ; il se présente à pied, traînant à sa suite trois colonnes de prisonniers, devant le temple d’Amon-Ra et de la déesse Mouth ; le roi harangue les divinités et en reçoit en réponse les assurances les plus flatteuses.

Une immense composition remplit tout le régistre supérieur de la galerie Nord et de la galerie Est, à droite de la porte principale. C’est une cérémonie publique qui n’offre pas moins de deux cents personnages en pied ; à cette pompeuse marche assiste tout ce que l’Égypte renfermait de plus grand et de plus illustre : c’est en quelque sorte le triomphe de Rhamsès-Méiamoun, et la panégyrie célébrée par le souverain et son peuple, pour remercier la divinité de la constante protection qu’elle avait accordée aux armes égyptiennes. Une ligne de grands hiéroglyphes sculptés au-dessus du tableau et dans toute sa longueur, annonce que cette panégyrie (HBAI) en l’honneur d’Amon-Hôrus (l’A et l’Ω de la théologie égyptienne) eut lieu à Thèbes le premier jour du mois de paschons. Cette légende contient en outre l’analyse minutieuse du vaste tableau qu’elle surmonte ; c’est pour ainsi dire le programme entier, de la cérémonie.

L’analyse rapide que j’en donne ici ne sera que la traduction de cette légende, ou celle des nombreuses inscriptions sculptées dans le bas-relief auprès de chaque personnage et au-dessus des groupes principaux.

Rhamsès-Méiamoun sort de son palais, porté dans un naos, espèce de châsse richement décorée, soutenue par douze œris ou chefs militaires, la tête ornée de plumes d’autruche. Le monarque, décoré de toutes les marques de sa royale puissance, est assis sur un trône élégant que des images d’or de la justice et de la vérité couvrent de leurs ailes étendues ; le sphinx, emblème de la sagesse unie à la force, et le lion, symbole du courage, sont debout près du trône, qu’ils semblent protéger. Des officiers agitent autour du naos les flabellum et les éventails ordinaires ; de jeunes enfants de la caste sacerdotale marchent auprès du roi, portant son sceptre, l’étui de son arc et ses autres insignes.

Neuf princes de la famille royale, de hauts fonctionnaires de la caste sacerdotale et des chefs militaires suivent le naos à pied, rangés sur deux lignes ; des guerriers portent les socles et les gradins du naos ; la marche est fermée par un peloton de soldats. Des groupes tout aussi variés précèdent le Pharaon : un corps de musique, où l’on remarque la flûte, la trompette, le tambour et des choristes, forme la tête du cortège ; viennent ensuite les parents et les familiers du roi, parmi lesquels on compte plusieurs pontifes ; enfin le fils aîné de Rhamsès, le chef de l’armée après lui, brûle l’encens devant la face de son père.

Le roi arrive au temple d’Hôrus, s’approche de l’autel, répand les libations et brûle l’encens ; vingt-deux prêtres portent sur un riche palanquin la statue du dieu qui s’avance au milieu des flabellum, des éventails et des rameaux de fleurs. Le roi à pied, coiffé d’un simple diadême de la région inférieure, précède le dieu et suit immédiatement le taureau blanc, symbole vivant d’Amon-Hôrus ou Amon-Ra, le mari de sa mère. Un prêtre encense l’animal sacré ; la reine, épouse de Rhamsès, se montre vers le haut du tableau comme spectatrice de la pompe religieuse ; et, tandis que l’un des pontifes lit à haute voix l’invocation prescrite lorsque la lumière du dieu franchit le seuil de son temple, dix-neuf prêtres s’avancent portant les diverses enseignes sacrées, les vases, les tables de proposition, et tous les ustensiles du culte ; sept autres prêtres ouvrent le cortège religieux, soutenant sur leurs épaules des statuettes ; ce sont les images des rois ancêtres et prédécesseurs de Rhamsès-Méiamoun, assistant au triomphe de leur descendant.

Ici a lieu une cérémonie sur la nature de laquelle on s’est étrangement mépris. Deux enseignes sacrées, particulières au dieu Ammon-Hôrus, s’élèvent au-dessus de deux autels. Deux prêtres, reconnaissables à leur tête rasée et mieux encore à leur titre inscrit à côté d’eux, se retournent pour entendre les ordres du grand pontife président de la panégyrie, lequel tient en main le sceptre nommé pat, insigne de ses hautes fonctions ; un troisième prêtre donne la liberté à quatre oiseaux qui s’envolent dans les airs.

On a voulu voir ici des sacrifices humains, en prenant le sceptre du pontife pour un couteau, les deux prêtres pour deux victimes, et les oiseaux pour l’emblème des âmes qui s’échappaient des corps de deux malheureux égorgés par une barbare superstition ; mais une inscription sculptée devant l’hiérogrammate assistant à la cérémonie, nous rassure complètement et prouve toute l’innocence de cette scène, en nous faisant bien connaître ses détails et son but.

Voici la traduction de ce texte, dont je figure aussi la disposition même :

« Le président de la panégyrie a dit :

Donnez l’essor aux IV oies ;

« Amset Sis Soumants Kebhsniv
« Dirigez-vous vers
xxxxle Midixxxx xxxxle Nordxxxx xxl’Occidentxx xxxxl’Orientxxx
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« que Hôrus, fils d’Isis et d’Osiris, s’est coiffé du Pschent, que le roi Rhamsès s’est coiffé du Pschent. »

Il en résulte clairement que les quatre oiseaux représentent les quatre enfants d’Osiris : Amset, Sis, etc., génies des quatre points cardinaux, vers lesquels on les prie de se diriger pour annoncer aussi au monde entier qu’à l’exemple du dieu Hôrus, le roi Rhamsès-Méiamoun vient de mettre sur sa tête la couronne emblème de la domination sur les régions supérieures et inférieures. Cette couronne se nommait Pschent ; c’est celle que porte ici, en effet, et pour la première fois, le roi debout et devant lequel se passe la fonction sacrée qu’on vient de faire connaître.

La dernière partie du bas-relief représente le roi, coiffé du Pschent, remerciant le dieu dans son temple. Le monarque, précédé de tout le corps sacerdotal et de la musique sacrée, est accompagné par les officiers de sa maison. On le voit ensuite couper avec une faucille d’or une gerbe de blé, et, coiffé enfin de son casque militaire comme à sa sortie du palais, prendre congé, par une libation, du dieu Amon-Hôrus rentré dans son sanctuaire. La reine est encore témoin de ces deux dernières cérémonies ; le prêtre invoque les dieux ; un hiérogrammate lit une longue prière ; auprès du Pharaon sont encore le taureau blanc et les images des rois ancêtres dressées sur une même base.

C’est en étudiant cette partie du tableau que j’ai pu m’assurer enfin de la place relative qu’occupe Rhamsès-Méiamoun dans la série des dynasties égyptiennes. Les statues des rois ses prédécesseurs sont ici chronologiquement rangées, et comme cet ordre est celui même que leur assignent d’autres monuments de Thèbes, aucun doute ne saurait s’élever sur cette ligne de succession, ces statues, au nombre de neuf, portant devant elles les cartouches prénoms des rois qu’elles représentent.(V. ci-après pag. 362). Rhamsès-Méiamoun, comme Rhamsès-le-Grand (Sésostris), ayant marqué son règne par de grands exploits militaires, ces deux princes ont été confondus par les historiens grecs en un seul et même personnage. Mais les monuments originaux les différencient trop bien l’un de l’autre pour que la même confusion puisse avoir lieu désormais. Je me propose de traiter ailleurs de cette importante distinction avec plus de détails. Revenons à la décoration de la magnifique cour de Médinet-Habou.

On a sculpté dans le registre supérieur de la galerie de l’Est, partie gauche, et dans celui de la galerie du Sud, une seconde cérémonie publique tout aussi développée que la précédente. Celle-ci est une panégyrie célébrée par le roi en l’honneur de son père, le dieu Sochar-Osiris, le 27e jour du mois Hathôr. Je possède également des dessins fidèles de cette solennité et la copie des nombreuses légendes explicatives qui l’accompagnent.

Il faut passer rapidement sur les scènes de consécration et les honneurs royaux décernés par les dieux à Rhamsès-Méiamoun, et que reproduisent une foule de grands bas-reliefs sculptés dans les registres inférieurs des galeries de l’Est, du Nord et du Sud : je dois encore mieux me dispenser de noter ici le nom des divinités auxquelles le Pharaon présente des offrandes variées dans les 144 bas-reliefs peints qui ornent seulement les 16 piliers des galeries Est et Ouest, non compris tous ceux du même genre sculptés sur le fût des trois grandes colonnades qui soutiennent, soit les galeries Nord et Sud, soit l’intérieur de la galerie de l’Ouest.

Sur la paroi du fond de cette galerie ou portique formé par une double rangée de piliers cariatides et de colonnes, 24 grands bas-reliefs retracent les hommages pieux du roi envers les dieux, ou les bienfaits que les grandes divinités de Thèbes prodiguent au Pharaon victorieux. Une série de figures en pied ornent le soubassement de cette galerie et méritent une attention particulière.

Les légendes hiéroglyphiques inscrites à côté de ces personnages revêtus du riche costume des princes égyptiens, dont ils tiennent en main les insignes caractéristiques, constatent qu’on a représenté ici les enfants de Rhamsès-Méiamoun par ordre de primogéniture. On a seulement fait deux groupes distincts des enfants mâles et des princesses. Les princes, dont les noms et les titres ont été sculptés à côté de leurs images, sont au nombre de neuf, savoir :

1.Rhamsès-Amonmai, Basilico-grammate commandant des troupes ;

2.Rhamsès-Amonchischopsch, Basilico-grammate commandant de cavalerie ;

3.Rhamsès-Mandouhischopsch, Basilico-grammate commandant de cavalerie ;

4.Phréhipefhbour, haut fonctionnaire dans l’administration royale ;

5.Mandouschopsch, idem ;

6.Rhamsès-Maithmou, prophète des dieux Phré et Athmou ;

7.Rhamsès-Schahemkamé, grand-prêtre de Phtah ;

8.Rhamsès-Amonhischopsch, sans autre qualification que celle de prince ;

9.Rhamsès-Méiamoun, idem.

Les trois premiers, après la mort de leur père Rhamsès-Méiamoun, étant successivement montés sur le trône des Pharaons, leurs légendes ont dû être surchargées pour recevoir les cartouches prénoms ou noms propres de ces princes parvenus au souverain pouvoir. Il faut remarquer aussi, à propos de cette liste intéressante, qu’à cette époque le nom de Rhamsès était devenu en quelque sorte le nom même de la famille, et que le conquérant avait concentré dans les membres de sa maison les postes les plus importants de l’armée, de l’administration civile et du sacerdoce. Les noms propres des filles du roi n’ont jamais été sculptés.

Toute cette série de princes et de princesses forme la décoration du soubassement à la droite et à la gauche d’une grande et belle porte s’ouvrant sur le milieu de la galerie de l’Ouest. On entrait jadis, en la traversant, dans une troisième cour environnée et suivie d’un très-grand nombre de salles : les décombres ont depuis long-temps enseveli toute cette partie du palais existante encore sous les débris entassés des frêles constructions qui se sont succédé d’âge en âge. Des fouilles en grand mettraient ici à découvert des tableaux et des inscriptions d’une haute importance ; mes moyens ne me permettant pas de penser à les entreprendre, je réservai les fonds dont je pouvais disposer pour le déblaiement des grands bas-reliefs qui couvrent toute la partie extérieure Nord du palais, à partir du premier pylône, et la presque totalité de la muraille extérieure Sud, enfouie jusqu’à la corniche qui couronne l’édifice entier.

La muraille Nord offre une série de bas-reliefs historiques d’un haut intérêt. Je donnerai ici un court abrégé du sujet de chacun d’eux, en commençant par l’extrémité de la paroi vers l’Ouest.

Campagne contre les Maschausch et les Robou.

1er Tableau. L’armée égyptienne en marche, sur huit ou neuf rangées de hauteur. Un trompette et un corps d’hoplites précèdent un char que dirige un jeune conducteur : du milieu de ce char s’élève un grand mât surmonté d’une tête de bélier ornée du disque solaire. C’est le char du dieu Amon-Ra, qui guide à l’ennemi le roi Rhamsès-Méiamoun, également monté sur un char richement orné et qu’entourent les archers de la garde ainsi que les officiers attachés à sa personne. On lit à côté du char du dieu : « Voici ce que dit Amon-Ra, le roi des dieux : « Je marche devant toi, ô mon fils ! » « 

2e Tableau. Bataille sanglante : les Maschausch prennent la fuite ; le roi et quatre princes égyptiens en font un horrible carnage.

3e Tableau. Rhamsès, debout sur une espèce de tribune, harangue cinq rangées de chefs et de guerriers égyptiens conduisant une foule de Maschausch et de Robou prisonniers. Réponse des chefs militaires au roi. En tête de chaque corps d’armée on fait le dénombrement des mains droites coupées aux ennemis morts sur le champ de bataille, ainsi que celui de leurs phallus, sorte d’hommage rendu à la bravoure des vaincus. L’inscription porte à 2,525 le nombre de ces preuves de victoire sur des hommes courageux et vaillants.

Campagne contre les Fekkaro, les Schakalascha et peuples de même race à physionomie hindoue.

1er Tableau (à la suite des précédents). Le roi Rhamsès-Méiamoun, en costume civil, harangue les chefs de la caste militaire agenouillés devant lui, ainsi que les porte-enseignes des différents corps ; plus loin, les soldats debout écoutent les paroles du souverain qui les appelle aux armes pour punir les ennemis de l’Égypte : les chefs répondent à l’appel du roi en invoquant ses victoires récentes, et protestent de leur dévouement à un prince qui obéit aux paroles d’Amon-Ra. La trompette sonne, les arsenaux sont ouverts ; les soldats, divisés par pelotons et sans armes, s’avancent dans le plus grand ordre guidés par leurs chefs ; on leur distribue des casques, des arcs, des carquois, des haches de bataille, des lances et toutes les armes alors en usage.

2e Tableau. Le roi, tête nue et les cheveux nattés, tient les rênes de ses chevaux et marche à l’ennemi : une partie de l’armée égyptienne le précède en ordre de bataille ; ce sont les fantassins pesamment armés ou hoplites : sur le flanc s’avancent par pelotons les troupes légères de différentes armes ; les guerriers montés sur des chars ferment la marche. Une des inscriptions de ce bas-relief compare le roi au germe de Mandou, s’avançant pour soumettre la Terre à ses lois ; ses fantassins, à des taureaux terribles, et ses cavaliers, à des éperviers rapides.

3e Tableau. Défaite des Fekkaro et de leurs alliés. Les fantassins égyptiens les mettent en fuite sur tous les points du champ de bataille. Méiamoun, secondé par ses chars de guerre, en fait un horrible carnage ; quelques chefs ennemis résistent encore, montés sur des chars traînés soit par deux chevaux, soit par quatre bœufs : au milieu de la mêlée et à une des extrémités, plusieurs chariots traînés par des boeufs, et remplis de femmes et d’enfants, sont défendus par des Fekkaro ; des soldats égyptiens les attaquent et les réduisent en esclavage.

4e Tableau. Après cette première victoire, l’armée égyptienne se remet en marche, toujours dans l’ordre le plus méthodique et le plus régulier, pour atteindre une seconde fois l’ennemi ; elle traverse des pays difficiles, infestés de bêtes sauvages : sur le flanc de l’armée le roi, attaqué par deux lions, vient de terrasser l’un et combat contre l’autre.

5e Tableau. Le roi et ses soldats arrivent sur le bord de la mer au moment où la flotte égyptienne en est venue aux mains avec la flotte des Fekkaro, combinée avec celle de leurs alliés les alliés les Schairotanas, reconnaissables à leurs casques armés de deux cornes. Les vaisseaux égyptiens manoeuvrent à la fois à la voile et à l’aviron : des archers en garnissent les hunes, et leur proue est ornée d’une tête de lion. Déjà un navire fekkarien a coulé, et la flotte alliée se trouve resserrée entre la flotte égyptienne et le rivage, du haut duquel Rhamsès-Méiamoun et ses fantassins lancent une grêle de traits sur les vaisseaux ennemis. Leur défaite n’est plus douteuse, la flotte égyptienne entasse les prisonniers à côté de ses rameurs. En arrière et non loin du Pharaon on a représenté son char de guerre et les nombreux officiers attachés à sa personne. Ce vaste tableau renferme plusieurs centaines de figures, et j’en rapporte une copie très-exacte.

6e Tableau. Le rivage est couvert de guerriers égyptiens conduisant divers groupes mêlés de Schairotanas et de Fekkaro prisonniers ; les vainqueurs se dirigent vers le roi, arrêté avec une partie de son armée devant une place forte nommée Mogadiro. Là se fait le dénombrement des mains coupées. Le Pharaon, du haut d’une tribune sur laquelle repose son bras gauche appuyé sur un coussin, harangue ses fils et les principaux chefs de son armée, et termine son discours par ces phrases remarquables : « Amon-Ra était à ma droite comme à ma gauche ; son esprit a inspiré mes résolutions ; Amon-Ra lui-même, préparant la perte de mes ennemis, a placé le Monde entier dans mes mains. » Les princes et les chefs répondent au Pharaon qu’il est un soleil appelé à soumettre tous les peuples du Monde, et que l’Égypte se réjouit d’une victoire remportée par le bras du fils d’Ammon, assis sur le trône de son père.

7e Tableau. Retour du Pharaon vainqueur à Thèbes, après sa double campagne contre les Robou et les Fekkaro : on voit les principaux chefs de ces nations conduits par Rhamsès devant le temple de la grande triade thébaine, Amon-Ra, Mouth et Chons. Le texte des discours que sont censés prononcer les divers acteurs de cette scène à la fois triomphale et religieuse, subsistent encore en grande partie. En voici la traduction :

« Paroles des chefs du pays de Fekkaro et du pays de Robou qui sont en la puissance de S. M., et qui glorifient le Dieu bienfaisant, le Seigneur du Monde, soleil gardien de justice, ami d’Ammon : Ta vigilance n’a point de bornes ; tu règnes comme un puissant soleil sur l’Égypte ; grande est ta force, ton courage est semblable à celui de Boré (le griffon) ; nos souffles t’appartiennent, ainsi que notre vie qui est en ton pouvoir à toujours. »

« Paroles du roi Seigneur du Monde, etc., à son père Amon-Ra, le roi des dieux : Tu me l’as ordonné ; j’ai poursuivi les Barbares ; j’ai combattu toutes les parties de la Terre ; le monde s’est arrêté devant moi ; ...... mes bras ont forcé les chefs de la Terre, d’après le commandement sorti de ta bouche. »

« Paroles d’Amon-Ra, Seigneur du Ciel, modérateur des dieux : Que ton retour soit joyeux ! tu as poursuivi les neuf arcs (les Barbares) ; tu as renversé tous les chefs, tu as percé les cœurs des étrangers et rendu libre le souffle des narines de tous ceux qui... (lacune). Ma bouche t’approuve. »

Ces tableaux, qui retracent les principales circonstances de deux campagnes du conquérant égyptien dans la XIe année de son règne, arrivent jusqu’au second pylône du palais : de ce point jusqu’au premier pylône, les sculptures n’abondent pas moins ; mais plusieurs tableaux sont enfouis sous des collines de décombres. J’ai pu cependant avoir une copie de deux bas-reliefs faisant partie d’une troisième campagne du roi contre des peuples asiatiques, avec des légendes en très-mauvais état. L’un représente Rhamsès-Méiamoun combattant à pied, couvert d’un large bouclier, et poussant l’ennemi vers une forteresse assise sur une hauteur. Dans le second tableau, le roi, à la tête de ses chars, écrase ses adversaires en avant d’une place dont une partie de l’armée égyptienne pousse le siège avec vigueur ; des soldats coupent des arbres et s’approchent des fossés, couverts par des mantelets ; d’autres, après les avoir franchis, attaquent à coups de hache la porte de la ville ; plusieurs, enfin, ont dressé des échelles contre la muraille et montent à l’assaut, leurs boucliers rejetés sur leurs épaules.

Sur le revers du premier pylône existe encore un tableau relatif à une campagne contre la grande nation de Skhéta ou Chéto : le roi, debout sur son char, prend une flèche dans son carquois fixé sur l’épaule, et la décoche contre une forteresse remplie de Barbares. Les soldats égyptiens et les officiers attachés à la personne du roi marchent à sa suite, rangés sur 4 files parallèles.

Telles sont les grandes sculptures historiques encore visibles dans l’état d’enfouissement où se trouve aujourd’hui le magnifique palais de Médinet-Habou, tout entier du règne de Rhamsès-Méiamoun, les successeurs immédiats n’y ayant ajouté que quelques accessoires presqu'insignifiants. Le nombre considérable de noms de peuples et de nations asiatiques ou africaines que j’y ai recueillis ouvre un nouveau champ de recherches à la géographie comparée ; ce sont de précieux éléments pour la reconstruction du tableau ethnographique du Monde dans la plus antique période de son histoire. Je crois possible de reconnaître la synonymie de ces noms égyptiens de peuples avec ceux que nous ont transmis les géographes grecs, et ceux surtout que contiennent les textes hébreux et les mémoires originaux des nations asiatiques. C’est un beau travail qui mérite d’être entrepris : il sera facilité et par la connaissance positive des traits du visage et du costume de chacun de ces peuples, et encore mieux sans doute par la comparaison de ces noms avec ceux du même genre que j’ai trouvés en bien plus grand nombre sur d’autres monuments de Thèbes et de la Nubie.

Toute la muraille extérieure du palais, du côté du Sud, qu’il a fallu faire déblayer jusqu’au second pylône, est couverte de grandes lignes verticales d’hiéroglyphes, contenant le calendrier sacré en usage dans le palais de Rhamsès ; la portion que nous avons fait excaver à grands frais, contient les mois de thôth, paophi, hathôr, choïac et tobi. Vers l’extrémité du palais est un article du mois de paschon, le 9e mois de l’année égyptienne. Ce calendrier indique toutes les fêtes qui se célébraient dans chaque mois, et au bas de chaque indication de fête, on a sculpté, en tableau synoptique, le nombre de chaque sorte d’offrande qu’on devait présenter dans la cérémonie. Pour donner une idée de cette sorte de calendrier, je transcrirai ici la traduction de quelques-uns de ces articles :

« Mois de thôth, néoménie ; manifestation de l’étoile de sothis ; l’image d’Amon-Ra, roi des dieux, sort processionnellement du sanctuaire, accompagnée par le roi Rhamsès ainsi que par les images de tous les autres dieux du temple. »

« Mois de paophi, le XIX ; jour de la principale panégyrie d’Ammon, qui se célèbre pompeusement dans Oph (le palais de Karnac) : l’image d’Amon-Ra sort du sanctuaire ainsi que celle de tous ses dieux synthrônes ; le roi Rhamsès l’accompagne dans la panégyrie de ce jour. »

« Mois d’Hathôr, le XXVI ; panégyrie de Phtah-Socharis ; le roi accompagne l’image du dieu gardien du Rhamesséium de Méiamoun (le palais de Médinet-Habou) de Thèbes sur la rive gauche, dans la panégyrie de ce jour. »

Cette panégyrie continuait encore le XXVIIe et le XXVIIIe jour du même mois ; c’est celle qu’on a représentée dans les grands bas-reliefs supérieurs des galeries de l’Est et du Sud de la seconde cour du palais ; du reste, je savais déjà, par un très-grand nombre d’inscriptions, que les Égyptiens appelaient Rhamesséium de Méiamoun, le monument de Médinet-Habou dont je viens de donner une description rapide ; car comment entreprendre de tout dire dans une lettre ? Je termine ici celle d’aujourd’hui… Adieu.



Tableau de la succession des huit règnes antérieurs à Rhamsès-Méiamoun.

1. Aménophis II (Memnon).

2. Hôrus.

3. Rhamsès Ier.

4. Ménephtha Ier (Ousireï).

5. Rhamsès-le-Grand (Sésostris).

6. Ménephta II.

7. Ménephta III.

8. Rhamerré.

9. Rhamsès-Méiamoun.

« Ainsi des monuments de divers ordres m’ayant déjà démontré que Rhamsès-le-Grand, le Sésostris d’Hérodote devait être compris dans la XVIIIe dynastie et répondait exactement au Rhamsès dit Ægyptus des extraits de Manéthon, nous devons reconnaître dans Rhamsès-Méiamoun le chef de la XIXe dynastie, le Rhamsès-Séthos de ces mêmes listes de Manéthon. » (Extrait de la même lettre de Champollion.)


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