Lettres écrites d’Égypte et de Nubie en 1828 et 1829/23

La bibliothèque libre.
VINGT-TROISIÈME LETTRE.


Alexandrie, le 30 septembre 1829.

Depuis dix jours nous sommes à Alexandrie ; nous avons reçu de M. Mimaut, le nouveau consul général de France, l’accueil le plus gracieux, et je ne saurais assez me louer des soins et des attentions dont il m’honore depuis que je suis chez lui ; j’en suis pénétré de la plus vive reconnaissance. Ma santé et celle de mes compagnons est des meilleures ; il ne manque à notre bonheur que de voir naître et s’élever de l’horizon la voile du vaisseau que M. le ministre de la marine a bien voulu envoyer pour nous ramener en France ; mais depuis six semaines la mer est déserte, pas même un vaisseau marchand ! et notre patience s’use par secondes.

Je n’ai quitté le Caire qu’après avoir fait une longue visite à Ibrahim-Pacha, qui nous a reçus au mieux. Je l’ai beaucoup entretenu d’un voyage aux sources du Nil, et j’ai affermi en lui l’idée qu’il avait déjà, d’attacher son nom à cette belle conquête géographique, soit en favorisant largement les voyageurs qui la tenteraient, soit en préparant lui-même une petite expédition de voyageurs qu’il ferait soutenir par quelques hommes d’armes. C’est là une semence jetée en bonne terre pour l’avenir, et le pacha comprend tout l’intérêt de cette entreprise et de son succès.

J’ai aussi présenté mes respects au vice-roi Mohammed-Aly, et lui ai dit toute notre gratitude pour la protection officieuse qu’il nous a accordée ; le vice-roi est toujours bon et aimable pour les Français : c’est dire qu’il l’a été infiniment pour nous.

Je profite de l’attente à laquelle je suis condamné pour mettre en ordre mes papiers et dessins. Je dis que c’est immense, et j’espère que vous en jugerez de même.

Mes jeunes gens passent leurs loisirs forcés à peindre des décorations pour un théâtre que des amateurs français vont ouvrir incessamment ; un théâtre français à Alexandrie d’Égypte dit bien haut que la civilisation marche : nous serons donc forcés de nous divertir en attendant l’embarquement.


15 octobre 1829.

Nous sommes aujourd’hui tout aussi avancés qu’au 15 septembre, c’est-à-dire toujours cloués à Alexandrie ; ce qui augmente mes regrets d’avoir quitté sitôt Thèbes et la Haute-Égypte, et cela pour venir le plus tôt possible perdre notre temps sur les tristes rives de la Méditerranée. Nous savons seulement que la corvette l’Astrolabe a fait annoncer qu’elle avait commission de nous ramener en France ; elle est commandée par M. de Verninac, un de mes compatriotes quercynois. Cela n’empêchera pas que nous soyons encore à Alexandrie au 15 novembre prochain, l’Astrolabe devant préalablement conduire en Syrie M. Malivoir, consul de France à Alep. Les Toscans ont perdu patience, et se sont embarqués sur un navire marchand. Le voisinage de l’Astrolabe m’a détourné de la même résolution, et d’ailleurs je ne voudrais pas me séparer de mon bagage archéologique… Me voilà toujours avec la terre de France en perspective… Je la toucherai enfin, mais jamais assez tôt pour mon cœur… Adieu.