Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 15

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 69-70).

15. — DE Mme DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY-BABUT1N.[modifier]

À Paris, ce 4 septembre 1668.

Levez-vous, comte ; je ne veux point vous tuer à terre : ou reprenez votre épée pour recommencer notre combat. Mais il vaut mieux que je vous donne la vie, et que nous vivions en paix. Vous avouerez seulement la chose comme elle s’est passée, c’est tout ce que je veux. Voilà un procédé assez honnête : vous ne me pouvez plus appeler justement une petite brutale.

Je ne trouve pas que vous ayez conservé une grande tendresse pour la belle qui vous captivait autrefois ; il en faut revenir à ce que vous avez dit :

À la cour,
Quand on a perdu l’estime,
On perd l’amour.

M. de Montausier vient d’être fait gouverneur de M. le Dauphin.

Je l’ai comblé de biens, je t’en veux accabler[1].

Adieu, comte. Présentement que je vous ai battu, je dirai partout que vous êtes le plus brave homme de France, et je conterai notre combat le jour que je parlerai des combats singuliers. Ma fille vous fait ses compliments. L’opinion que vous avez de sa fortune nous console un peu.


  1. Allusion à ces vers de Corneille dans Cinna, Ve acte, scène 3 :
    Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler ;
    Je t’en avais comblé, je t’en veux accabler.