Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 17

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 71-72).

17. — DE Mme DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY-RABUTIN.[modifier]

À Paris, ce 7 janvier 16(59.

Il est tellement vrai que je n’ai point reçu votre réponse sur la lettre où je vous donnais la vie, que j’étais en peine de vous, et je craignais qu’avec la meilleure intention du monde de vous pardonner (comme je ne suis pas accoutumée à manier une épée), je ne vous eusse tué sans y penser. Cette raison seule me paraissait bonne à vous pour ne m’avoir point fait de réponse. Cependant vous me l’aviez faite, et l’on ne peut pas avoir été mieux perdue qu’elle ne l’a été. Vous voulez bien que je la regrette encore. Tout ce que vous écrivez est agréable ; et si j’eusse souhaité la perte de quelque chose, ce n’eût jamais été pour cette lettre-là. Vous me dites très-naïvement tous les écriteaux qui sont au bas de mes portraits ; je suis persuadée que ceux qui en ont parlé autrement ont menti ; mais celui où vous me louez sur l’amitié, qu’en dites-vous ? J’entends votre ton, et je comprends que c’est une satire selon votre pensée ; mais comme vous serez peut-être le seul qui la preniez pour une contre-vérité, et qu’en plusieurs endroits cette louange m’est acquise par des raisons assez fortes, je consens que ce que vous avez écrit demeure écrit à l’éternité : et pour vous, monsieur le comte, sans recommencer ni notre procès ni notre combat, je vous dirai que je n’ai pas manqué un moment à l’amitié que je vous devais. Mais n’en parlons plus : je crois que dans votre cœur vous en êtes présentement persuadé.

Pour notre chevalerie de Bretagne, vous ne la connaissez point, le Bouchet, qui connaît les maisons dont je vous ai parlé, — et qui vous paraissent barbares, vous dirait qu’il faut baisser le pavillon devant elles.

Je ne vous dis pas cela pour dénigrer nos Rabutins f hélas ! je ne les aime que trop, et je ne suis que trop sensiblement touchée de ne pas voir celui qui s’appelle Roger, briller ici avec tous les ornements qui lui étaient dus ; mais il se faut consoler, dans la pensée que l’histoire lui fera la justice que la fortune lui a si injustement refusée. Il ne faut donc pas que vous me querelliez sur le cas que je fais de quelques maisons, au préjudice de la nôtre : je dis seulement des Sévignés ce qui en est et ce que j’en ai vu.

Je suis fort aise que vous approuviez le mariage de M. de Grignan : il est vrai que c’est un très-bon et un très-honnête homme, qui a du bien, de la qualité, une charge, de l’estime et de la considération dans le monde. Que faut-il davantage ? Je trouve que nous sommes fort bien sortis d’intrigue. Puisque vous êtes de cette opinion, signez la procuration que je vous envoie, mon cher cousin, et soyez persuadé que, par mon goût, vous seriez tout le beau premier à la fête. Bon Dieu ! que vous y tiendriez bien votre place ! Depuis que vous êtes parti de ce pays-ci, je ne trouve plus d’esprit qui me contente pleinement, et mille fois je médis en moi-même : Bon Dieu ! quelle diffé rence ! On parle de guerre, et que le roi fera la campagne.