Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 178

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 374-378).

178. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.[modifier]

À Livry, mercredi 7 octobre 1676

Je vous écris un peu à F avance, comme on dit en Provence, pour vous dire que je revins ici dimanche, afin d’achever le beau temps et de me reposer. Je m’y trouve très-bien, et j’y fais une vie solitaire qui ne me déplaît pas, quand c’est pour peu de temps. Je vais aussi faire quelques petits remèdes à mes mains, purement pour l’amour de vous, car je n’ai pas beaucoup de foi ; et c’est toujours dans cette vue de vous plaire que je me conserve, étant très-persuadée que l’heure de ma mort ne peut ni avancer ni reculer ; mais je suis les conduites ordinaires de la bonne petite prudence humaine, croyant même que c’est par elle qu’on arrive aux ordres de la Providence. Ainsi, ma filie^ je ne négligerai rien, puisque tout me paraît comme une obéissance nécessaire. Voilà qui est bien sérieux ; mais voici la suite de mon séjour à Paris de près de quinze jours : vous savez ce que je fis le vendredi, et comme j’allai chez M. de Pomponne. Nous avons trouvé, M. d’Hacqueville et moi, que vous devez être contents du règlement, puisque enfin le roi veut que le lieutenant soit traité comme le gouverneur ; et qu’on se trouve à l’ouverture de l’assemblée comme on a fait par le passé : voilà une grande affaire. Le samedi, M. et madame de Pomponne, madame de Vins, d’Hacqueville et l’abbé de Feuquières, vinrent me prendre pour aller nous promener à Conflans. Il faisait très-beau. Nous trouvâmes cette maison cent fois plus belle que du temps de M. de Richelieu. Il y a six fontaines admirables, dont la machine tire l’eau de la rivière, et ne finira que lorsqu’il n’y aura pas une goutte d’eau. On pense avec plaisir à cette eau naturelle, et pour boire, et pour se baigner quand on veut. M. de Pomponne était très-gai ; nous causâmes et nous rîmes extrêmement. Avec sa sagesse, il trouvait partout un air de cathédrale[1] qui nous réjouissait beaucoup. Cette petite partie nous fit plaisir à tous ; vous n’y fûtes point oubliée.

La vision de la bonne femme passe à vue d’œil, mais c’est sans croire qu’il y ait plus autre chose que la crainte qui attache à Quanto. Pour le voyage de M. de Marsillac, gardez-vous bien d’y entendre aucune finesse ; il a été fort court. M. de Marsillac est aussi bien que jamais auprès du roi : il ne s’est ni amusé, ni détourné : il avait Gourville, qui n’a pas souvent du temps à donner : il le promenait par toutes ses terres, comme un fleuve qui apporte la graisse et la fertilité. Quant à M. de la Rochefoucauld, il allait, comme un enfant, revoir Verteuil et les lieux où il a chassé avec tant de plaisir ; je ne dis pas -où il a été amoureux, car je ne crois pas que ce qui s’appelle amoureux, il l’ait jamais été. Il revient plus doucement que son fils, et passe en Touraine chez madame de Valentiné et chez l’abbé d’Effiat. Il a été dans une extrême peine de madame de Coulanges, qui revient assurément de la plus grande maladie qu’on puisse avoir : la fièvre ni les redoublements ne l’ont point encore quittée ; mais parce que toute la violence et la rêverie en sont dehors, elle se peut vanter d’être dans le bon chemin de la convalescence.

le disais l’autre jour à madame de Coulanges que Beaujeu avait eu sur elle l’extrême-onction, et qu’on lui avait crié : Jesùs Maria ; elle me répondit avec une voix de l’autre inonde : Hé, que ne me le criait-on f je le méritais autant qu’elle. Que dites-vous de cette ambition ? Écrivez au petit Coulanges, il a été digne de compassion ; il perdait tout en perdant sa femme. Ce fut une chose fort touchante quand elle fit écrire à M. du Gué[2] pour lui recommander M. de Coulanges, et cela par conscience et par justice, reconnaissant de l’avoir ruiné, et demandant à M. et à Mme du Gué cette marque de leur amitié comme la dernière : elle leur demandait pardon, et leur bénédiction en même temps. Je vous assure que ce fut une scène fort triste. Vous écrirez donc à ce pauvre petit homme, qui est parfaitement content de mon amitié : en vérité, c’est dans ces occasions qu’il faut la témoigner.

Votre petit Allemand paraît extrêmement adroit au bon abbé ; il est beau comme un ange, et doux et honnête comme une pucelle. Il va répéter son allemand chez M. de Strasbourg[3]. Je l’ai fort exhorté à se rendre digne : mais je vous défie de deviner son nom ; quoi que vous puissiez dire, je vous dirai toujours, C’est autrement ; c’est qu’il s’appelle autrement. N’est ce pas là un nom bien propre à ouvrir l’esprit à des pointilleries continuelles ? Je lui apprends à nouer des rubans : en un mot, je crois que vous vous en trouverez fort bien.

Madame Cornuel était l’autre jour chez Berryer[4], dont elle était maltraitée ; elle attendait à lui parler dans une antichambre qui était pleine de laquais. Il vint une espèce d’honnête homme qui lui dit qu’elle était mal dans ce lieu-là. Hélas ! dit-elle, j’y suis fort bien ; je ne les crains point tant qu’ils sont laquais. Voilà ce qui a fait éclater de rire M. de Pomponne, de ces rires que vous connaissez ; je crois que vous le trouverez fort plaisant aussi.

M. le cardinal m’écrit, du lendemain qu’il a fait un pape, et m’assure qu’il n’a aucun scrupule. Vous savez comme il a évité le sacrilège du faux serment ; les autres y doivent trouver un grand goût, puisqu’il n’est pas même nécessaire. Il me mande que le pape est encore plus saint d’effet que de nom ; qu’il vous a écrit de Lyon en passant, et qu’il ne vous verra point en repassant, par la même raison des galères, dont il est très-fàché ; de sorte qu’il se retrouvera dans peu de jours chez lui, comme si de rien n’était. Ce voyage lui a fait bien de l’honneur, car il ne se peut rien ajouter au bon exemple qu’il a donné. On croit même que, par le bon choix du souverain pontife, il a remis dans le conclave le Saint-Esprit, qui en était exilé depuis tant d’années. Après cet exemple, il n’y a point d’exilé qui ne doive espérer.

Vous voilà donc dans la solitude ; c’est présentement que vous devez craindre les esprits : je m’en vais parier que vous n’êtes plus que cent personnes dans votre château. Je suis persuadée de toute Yaimabilité de la belle Rochebonne ; mais la constance de Corbinelli est abîmée dans tant de philosophie, et il est si terriblement attaché à la justesse des raisonnements, que je ne vous réponds plus de lui. Il dit que le père le Bossu ne répond pas bien à vos questions ; qu’il aurait tort de vouloir vous instruire, que vous en savez plus qu’eux tous : vous nous en manderez votre avis.

Je vous ai mandé l’histoire de Brisacier ; on n’en peut rien dire jusqu’à ce que le courrier de Pologne soit revenu. Il est cependant hors de Paris et de la cour : il assiège la ville, et demeure chez ses amis aux environs : il était l’autre jour à Clichy : madame du Plessis le vint voir de Fresne, pour faire les lamentations de la rupture de son marché. Brisacier lui dit qu’assurément il n’était point rompu, et qu’on verrait, au retour du courrier, s’il était aussi fou qu’on disait. S’il est protégé de la reine de Pologne, ou du roi, nous en jugerons comme vous faites.

M. de Bussy est arrivé comme j’écrivais cette lettre ; je lui ai fait voir votre souvenir. Il vous dira lui-même combien il en est content. Il m’a lu des mémoires les plus agréables du monde : ils ne seront pas imprimés[5], quoiqu’ils le méritassent bien mieux que beaucoup d’autres choses.

On vient de nous dire que Brisacier et sa mère, qui étaient ici près à Gagny, ont été enlevés ; ce serait un mauvais préjugé pour le duché. Cette nouvelle est un peu crue : comme elle est présentement à Paris, d’Hacqueville ne manquera pas de vous l’appren dre. Je vous embrasse mille fois, ma très-chère, avec une ten dresse fort au-dessus de ce que je vous en pourrais dire.


  1. La maison dont il s’agit appartenait aux archevêques de Paris.
  2. Père de madame de Coulanges, intendant de Lyon.
  3. François Égon, cardinal de Furstemberg, évêque de Strasbourg.
  4. Louis Berryer, procureur syndic perpétuel des secrétaires du roi. Il devait sa fortune à la protection de Colbert, dont il s’était fait la créature ; il avait été sergent au Mans, et l’on prétendait même qu’il avait commencé par être marqueur du jeu de paume.
  5. La marquise de Coligny les fit imprimer après la mort de son père.