Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 193

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 402-403).

193. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.[modifier]

À Vichy, samedi au soir 4 septembre 1677

J’ai reçu deux de vos lettres en arrivant, ma très-chère ; j’en avnis grand besoin : mon cœur était triste, me voilà bien : je les relirai, ce m’est une consolation. Ma fille, passé aujourd’hui, je vous promets de ne plus écrire qu’un mot, c’est-à-dire, la feuille qui chante et chantera ; mais faites-en donc de même : vous êtes excédée d’écriture, et c’est être malade à votre âge, que d’être maigre au point que vous l’êtes ; je hais, il est vrai, de voir si visiblement la côte d’Adam en votre personne. Ma fille, ne me grondez pas ce soir, je veux un peu parler : j’arrive ; je me repose demain ; rien ne m’oblige à me taire. M. de Champlâtreux est déjà venu me voir ; le bon abbé le trou ve d’une bonne société ; il lui donnera souvent à dîner. Savez-vous qui m’a déjà envoyé faire un compliment ? M. le marquis de Termes, qui arriva hier tout malade de goutte et de colique : on dit qu’il a la barbe longue comme un capucin : ah ! c’est fort bien fait. Le chevalier de Flamarens est avec lui, M. et madame d’Albon y sont aussi, M. de Jussac : on attend encore bien du monde. J’oublie le meilleur, c’est Vincent qui sort déjà d’ici, et qui prendra des soins de moi extrêmes. Je me porte très-bien ; je ne sais que souhaiter de mieux, sinon déclouer ce bienheureux état. Je vous écrivis hier de la Palice ; j’y vis un petit garçon que je trouvai joli : il a sept ans ; je suis sûre qu’il ressemble au vôtre : son père, qui est un gentilhomme de M. de Saint-Géran, lui a appris l’exercice du mousquet et de la pique ; c’est la plus jolie chose du monde ; vous aimeriez ce petit enfant ; cela lui dénoue le corps ; il est délibéré, adroit, résolu. Son père passe sa vie à la guerre ; il est convalescent à la Palice, et se divertit à rendre son fils un vrai petit soldat ; j’aimerais mieux cela qu’un maître à danser : si le hasard vous envoyait un tel homme, prenez le même plaisir sur ma parole. M. l’archevêque a écrit au bon abbé tout ce qui peut se mander d’obligeant et de tendre pour l’engager au voyage de Grignan ; mais je ne vois pas que cela l’ébranlé, quoiqu’il en soit touché. J’aurais bien à causer sur vos deux lettres que voilà ; mais, quoique je ne sois pas encore initiée à la fontaine, je veux vous donner l’exemple. Un homme de la cour disait l’autre jour à madame de Ludres : « Madame, vous êtes, ma toi, plus belle « que jamais. » — « Tout de bon ? dit-elle ; j’ 'en suis bien aise, c’est « un ridicule de moins. » J’ai trouvé cela plaisant. Madame de Coulanges a des soins de moi admirables ; je regarde autour de moi ; est-ce que je suis en fortune ? Elle me rend le tambourinage qu’elle reçoit de beaucoup d’autres. La Bagnols m’écrit aussi mille douceurs tortillonnées. Adieu, ma chère enfant ; évitez sur toute chose le cœur de l’hiver pour revenir, et le détour de Reims. Croyez-moi ; il n’y a point de santé qui puisse résister à ces fatigues ; les voyages usent le corps comme les équipages.