Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 194

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 403-404).

194. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.[modifier]

À Vichy, mercredi au soir 22 septembre 1677.

Il me revient une lettre du 15. Je crois qu’elle est allée faire un tour à Paris. Le chevalier en a reçu une du bel abbé de cette même date, qui me fait voir au moins que vous vous portiez bien ce jour-là. Il est vrai que si Vardes m’eût parlé de votre maladie un peu plus au temps présent, nulle considération n’aurait pu me retenir ; mais il fit si bien que je ne pus tourner mon inquiétude que sur le passé. Ma très-chère, au nom de Dieu, rapportez-moi votre bonne santé et votre joli visage ; il est certain que je ne puis m’en passer, ni vous permettre d’être changée à l’âge où vous êtes. N’espérez donc point que je sois traitable sur cette maigreur qui marque visiblement votre mauvaise santé ; la mienne est admirable. Je finis demain jeudi toutes mes affaires, je prends ma dernière médecine : je n’ai bu que seize jours : je n’ai pris que deux douches et deux bains chauds : je n’ai pu soutenir la douche ; j’en suis fâchée, car j’aime à suer ; mais j’en étais trop étouffée et trop étourdie : en un mot, c’est que je n’en ai plus de besoin, et que la boisson m’a suffi et fait des merveilles. Je m’en vais vendredi à Langlar ; mes commensaux, Termes, Flamarens, Jussac, m’y suivront ; le chevalier viendra m’y voir samedi, et reviendra lundi commencer sa douche. Il ne sera plus que huit jours sans moi ; je le laisse en bon train, les eaux lui font beaucoup de bien : il recevra en mon absence mille présents de mes amis ; il est fort content de moi. Pour mes mains, elles sont mieux ; et cette incommodité est si petite, que le temps est le seul remède que je veuille souffrir. Je suis au désespoir, ma fille, de la tristesse de vos songes : hé ! mon Dieu, faut-il que dans l’état où je suis je vous fasse du mal ? C’est bien, je vous assure, contre mon intention. Je ne sais si vous avez celle de m’écrire des endroits admirables, vous y réussiriez ; mais aussi ils ne tombent pas à terre : vous ne sentez pas l’agrément de ce que vous dites, et c’est tant mieux. Vous avez un peu d’envie de vous moquer de votre petite servante, et du corps de jupe, et du toupet : mais vous m’aimeriez si vous saviez le bon air que j’avais à la fontaine. Je crois que la Carnavalette nous sera meilleure que l’autre maison qu’on nous avait indiquée, mais qui est fort petite, et où pas un de vos gens ne pourrait loger. Nous verrons ce que fera le grand d’Hacqueville ; je meurs de peur que madame de Lillebonne ne veuille pas déloger. Je suis toujours fort en peine de Corbinelli ; il a été rudement traité de la fièvre tierce, le délire, et tout ce qui peut effrayer : il a pris de l’or potable, nous en attendons l’effet. Parlez-moi toujours de vous et de votre santé : ne faites-vous rien du tout pour vous remettre de vos deux saignées ? Quelle maladie, bon Dieu ! et quelle frayeur cela ne doit-il point donner à ceux qui vous aiment ! Voilà le chevalier auprès de moi, et la compagnie ordinaire, avec un homme qui assurément joue mieux du violon que Baptiste. Nous voudrions vous envoyer, et à M. de Grignan, une chaconne et un écho dont il nous charme, et dont vous serez charmée : vous l’entendrez cet hiver.