Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 240

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 505-506).

240. — DE Mme DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY.[modifier]

À Paris, ce 2 janvier 1681.

Bonjour et bon an, mon cher cousin. Je prends mon temps de vous demander pardon après une bonne fête, et en vous souhaitant mille bonnes choses cette année, suivie de plusieurs autres. Il me semble qu’en vous adoucissant ainsi l’esprit, je vous disposerai à me pardonner d’avoir été si longtemps sans vous écrire, et à cette jolie veuve que j’aime tant. Je partis de Bretagne le 20 d’octobre, qui était bien plus tôt que je ne pensais, pour venir à Paris. Un mois après j’eus le plaisir d’y recevoir ma fille. Je l’ai trouvée mieux que quand elle est partie ; et cet air de Provence, qui devait la dévorer, ne l’a point dévorée : elle est toujours aimable, et je vous défie de vous voir tous deux et de parler ensemble sans vous aimer. J’ai toujours pensé à vous, et j’ai dit mille fois : Mon Dieu ! je voudrais bien écrire à mon cousin de Bussy ; et jamais je n’ai pu le faire. Pour moi, je crois qu’il y a de petits démons qui empêchent de faire ce qu’on veut, rien que pour se moquer de nous et pour nous faire sentir notre faiblesse. Ils ont un contentement, et je l’ai senti dans toute son étendue. Nous avons ici une comète qui est bien étendue aussi ; c’est la plus belle queue qu’il est possible de voir. Tous les plus grands personnages sont alarmés, et croient fermement que le ciel, bien occupé de leur perte, en donne des avertissements par cette comète. On dit que le cardinal Mazarin étant désespéré des médecins, ses courtisans crurent qu’il fallait honorer son agonie d’un prodige, et lui dirent qu’il paraissait une grande comète qui leur faisait peur. Il eut la force de se moquer d’eux, et il leur dit plaisamment que la comète lui faisait trop d’honneur. En vérité, on devrait en dire autant que lui ; et l’orgueil humain se fait trop d’honneur de croire qu’il y ait de grandes affaires dans les astres quand on doit mourir. Tout mon silence ne m’a pas fait oublier les charmes de vos traductions[1]. Adieu, mon cher cousin ; adieu, ma chère nièce. Mandez-moi de vos nouvelles. Cependant nous allons reprendre, notre ami Corbinelli et moi, le fil de notre discours.


  1. Ce sont des traductions en vers de plusieurs épigrammes de Martial et de Catulle ; elles sont en général très-médiocres. Voici la plus courte, et peut-être la meilleure :
    Ad Fidentinum. Lib. t, ep. 39.
    Les vers que tu nous dis, Oronte, sont les miens ;
    Mais quand tu les dis mal, ils deviennent les tiens.