Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 241

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 506-507).

241. — DE Mme DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY.[modifier]

À Paris, ce 3 avril 168I.

Faisons la paix, mon pauvre cousin. J’ai tort, je ne sais jamais faire autre chose que de l’avouer. On dit que ma nièce ne se porte pas trop bien. C’est qu’on ne peut pas être heureuse en ce monde : ce sont des compensations de la Providence, afin que tout soit égal, ou qu’au moins les plus heureux puissent comprendre, par un peu de chagrin et de douleur, ce qu’en souffrent les autres qui en sont accablés.

Je vous ai souhaité un lot à la loterie, pour commencer à rompre la glace de votre malheur. Cela se dit-il ? Vous me le manderez ; car je ne puis jamais raccommoder ce qui vient naturellement au bout de ma plume. Cela donc vous aurait remis en train d’être moins malheureux : mais je crois que ma nièce de Sainte-Marie le saurait, et qu’elle me l’aurait dit. Monsieur votre fils n’a rien gagné aussi : mais nous avons encore toutes nos espérances pour le gros lot, le roi l’ayant redonné au public. Le voyage de Bourbon est rompu. Mais je ne fais que de misérables répétitions : monsieur votre fils vous mandera tout assurément. La cour a voulu Y appeler M. de Bussy. Le nom de Rabutin est demeuré avec celui d’Adhémar que voulait prendre le chevalier de Grignan, et que Rouville seul a empêché de prospérer ; il faut l’attache des courtisans pour les noms. Celui d’Estrées est comblé de tous les titres qui peuvent entrer dans une maison.

Il ne faut point s’attacher à des pensées tristes et inutiles : il vaut mieux croire, comme notre ami Corbinelli me le prêche tous les jours, que Dieu règle toutes choses comme il veut qu’elles soient, et que la place que vous tenez dans l’univers, telle qu’elle est, ne pouvait point être dérangée. Le père Bourdaloue nous fit l’autre jour un sermon contre la prudence humaine, qui fit bien voir combien elle est soumise à l’ordre de la Providence, et qu’il n’y a que celle du salut, que Dieu nous donne lui-même, qui soit estimable. Cela console, et fait qu’on se soumet plus doucement à sa mauvaise fortune. La vie est courte, c’est bientôt fait ; le fleuve qui nous entraîne est si rapide, qu’à peine pouvons-nous y paraître. Voilà des moralités de la semaine sainte, et toutes conformes au chagrin que j’ai toujours quand je vois que, hors vous, tout le monde s’élève : car au travers de toutes mes maximes, je conserve toujours beaucoup de faiblesse humaine.

Je ne sais si vous savez que madame de Fontanges est dans un couvent, moins pour passer la bonne fête, que pour se préparer au voyage de l’éternité[1]

Adieu, mon cher cousin ; adieu, mon aimable nièce ; aimez-moi toujours, et me mandez de vos nouvelles.


  1. Elle mourut peu de temps après. On a prétendu qu’elle fut empoisonnée. Madame l’assure dans ses Lettres ; madame de Caylus le nie dans ses Mémoires.