Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 243

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 509).

243. — DE Mme DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE EUSSY.[modifier]

À Paris, ce 16 décembre 1683.

Enfin, après tant de peine, je marierai mon pauvre garçon[1]. Je vous demande votre procuration pour signer à son contrat de mariage. Voiià deux petites lettres d’honnêteté que je vous prie de faire tenir à ma tante deToulongeon et à mon grand cousin. Une faut jamais désespérer de sa bonne fortune. Je croyais mon fils hors d’état de pouvoir prétendre à un bon parti, après tant d’orages et tant de naufrages, sans charges et sans chemin pour la fortune ; et pendant que je m’entretenais de ces tristes pensées, la Providence nous destinait ou nous avait destinés à un mariage si avantageux, que, dans le temps où mon fils pouvait le plus espérer, je ne lui- en aurais pas désiré un meilleur. C’est ainsi que nous marchons en aveugles, ne sachant où nous allons, prenant pour mauvais ce qui est bon, prenant pour bon ce qui est mauvais, et toujours dans une entière ignorance. Auriez- vous jamais cru aussi que le père Bourdaloue, pour exécuter la dernière volonté du président Perrault, eût fait depuis six jours aux Jésuites la plus belle oraison funèbre qu’il est possible d’imaginer ? Jamais une action n’a été admirée avec plus de raison que celle-là. Il a pris le prince dans ses points de vue avantageux ; et comme son retour à la religion a fait un grand effet pour les catholiques, cet endroit, manié par le père Bourdaloue, a composé le plus beau et le plus chrétien panégyrique qui ait jamais été prononcé[2].


244. — DE Mme DE SÉVIGNÉ AU MARQUIS DE SÉVIGNÉ, SON FILS.[modifier]

À Paris, ce 5 août 1684.

Il faut qu’en attendant vos lettres, je vous conte une fort jolie petite histoire. Vous avez regretté mademoiselle de.... ; vous avez mis au rang de vos malheurs de ne l’avoir point épousée ; vos meilleures amies étaient révoltées contre votre bonheur ; c’étaient madame de Lavardin et madame de la Fayette, qui vous coupaient la gorge. Une fille de qualité, bien faite, avec cent mille écus ! ne


  1. Avec Jeanne-Marguerite de Brehant de Mauron, fille du baron de Mauron, conseiller au parlement de Bretagne, et de Louise de Quélen. Elle avait 200,0 francs en mariage, et son père plus de 60,000 livres de rente.
  2. Henri II de Bourbon, prince de Condé. Sa principale gloire fut d’avoir donne le jour au grand Condé.