Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 253

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 529-530).

253. — DE Mme DE SÉVIGNÉ AU COMTE DE BUSSY.[modifier]

Aux Rochers, ce 22 juillet 1685.

Croiriez-vous bien, mon cher cousin, que je n’ai reçu que depuis quatre jours le livre de notre généalogie, que vous me faites l’honneur de me dédier par une lettre trop aimable et trop obligeante ? Il faudrait être parfaite, c’est-à-dire n’avoir point d’amourpropre, pour n’être pas sensible à des louanges si bien assaisonnées. Elles sont même choisies et tournées d’une manière que, si l’on n’y prenait garde, on se laisserait aller à la douceur de croire en mériter une partie, quelque exagération qu’il y ait. Vous devriez, mon cher cousin, avoir toujours été dans cet aveuglement, puisque je vous ai toujours aimé, et que je n’ai jamais mérité votre haine. N’en parlons plus, vous réparez trop bien tout le passé, et d’une manière si noble et si belle, que je veux bien présentement vous en devoir le reste. Ma fille n’a pas eu le livre entre les mains, sans se donner le plaisir de le lire ; et elle s’y est trouvée si agréablement, qu’elle en a sans doute augmenté l’estime qu’elle avait de vous et de notre maison, comme j’en redouble aussi de tout mon cœur mes remercîments. Mon fils n’est pas si content, vous le laissez guidon, sans parler de la sous-lieutenance qui l’a fait commander en chef quatre ans la compagnie des gendarmes de monseigneur le Dauphin ; et comme cette première charge l’a fort longtemps ennuyé, il a soupiré en cet endroit, croyant y être encore. Sa femme est d’une des bonnes maisons de Bretagne, mais cela n’est rien.

Venons à nos Mayeul et à nos Amé. En vérité, mon cher cousin, cela est fort beau ; ce sont des vérités qui font plaisir. Ce n’est

45 point chez nous que nous trouvons ces titres, c’est dans des chartes anciennes et dans des histoires. Ce commencement de maison me plaît fort, on n’en voit point la source ; et la première personne qui se présente est un fort grand seigneur, il y a plus de cinq cents ans, des plus considérables de son pays, dont nous trouvons la suite jusqu’à nous. Il y a peu de gens qui puissent trouver une si belle tête. Tout le reste est fort agréable ; c’est une histoire en abrégé, qui pourrait plaire même à ceux qui n’y ont point d’intérêt. Pour moi, je vous avoue que j’en suis charmé, et touchée d’une véritable joie que vous ayez au moins tiré de vos malheurs, comme vous dites fort bien, la connaissance de ce que vous êtes. Enfin, je ne puis assez vous remercier de cette peine que vous avez prise, et dont vous vous êtes payé en même temps par vos mains. Je garderai soigneusement ce livre. Je crois voir ma fille avant qu’elle retourne en Provence, où il me paraît qu’elle veut passer l’hiver. Ainsi, nos affaires nous auront cruellement dérangées. La Providence le veut ainsi. Elle est tellement maîtresse de toutes nos actions ; que nous n’exécutons rien que sous son bon plaisir, et je tâche de ne faire de projets que le moins qu’il m’est possible, afin de n’être pas si souvent trompée ; car qui compte sans elle compte deux fois. Qu’est donc devenu mon grand cousin de ïoulongeon ? Où a-t-il lu qu’on ne fasse point de réponse à sa cousine germaine, quand elle nous console sur la mort d’une mère ? J’ai vu son oraison funèbre ; elle est bonne, hormis que feu M. de ïoulongeon n’était point capitaine des gardes, mais seulement capitaine a ux gardes. Cette différence est grande, et peut faire tort aux vérités.

Le bon abbé {de Coulanges) s’est trouvé fort honorablement dans notre généalogie ; il en est bien content, et vous assure de ses très-humbles services.

Quand je serai à Pans, nous vous écrirons, Corbinelli et moi. Adieu, mon cher cousin, ayez bon courage.

J’ai peur que vous ne soyez abattu ; mais je vous fais tort, et je vous ai vu soutenir de si grands malheurs, que je ne dois pas douter de vos forces.