Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 269

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 557-559).

269. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.[modifier]

Paris, mardi au soir, 30 novembre 1688.

Je vous écris ce soir, ma fille, parce que je m’en vais demain, à euf heures, au service de notre pauvre Saint- Aubin ; c’est un devoir que nos saintes carmélites lui rendent par pure amitié : je les verrai ensuite, et vous serez célébrée comme vous l’êtes souvent ; de là j’irai dîner chez madame de la Fayette.

Vous me représentez fort bien votre fille aînée [1] ; je la vois, je vous prie de l’embrasser pour moi ; je suis ravie qu’elle soit contente. Parlons de votre fils : ah ! vous n’avez qu’à l’aimer tant que vous voudrez, il le mérite, tout le monde en dit du bien, et le loue d’une manière qui vous ferait périr ; nous l’attendons cette semaine. J’ai senti toute la force de la phrase dont il s’est servi pour cette estime qu’il faut bien qui vienne, ou qu’elle dise pourquoi ; j’en eus les larmes aux yeux dans le moment ; mais elle est déjà venue, et ne dira point pourquoi elle ne viendrait pas. La réputation de cet enfant est toute commencée, et ne fera plus qu’augmenter. Le chevalier en est bien content, je vous en assure. Je fus d’abord émue de la contusion, en pensant à ce qui pouvait arriver ; mais quand je vis que le chevalier en était ravi, quand j’appris qu’il en avait recules compliments de toute la cour et de madame de Maintenon, qui lui répondit, avec un air et un ton admirables, sur ce qu’il disait que ce n’était rien : Monsieur, cela vaut mieux que rien ; quand je me trouvai moi-même accablée de compliments de joie, je vous avoue que tout cela m’entraîne, et je m’en réjouis avec eux tous, et avec M. de Grignan, qui a si bien fixé et placé la première campagne de ce petit garçon. Vous ne pouviez me parler plus à propos de nos dîners et de nos soupers : je viens de souper chez le lieutenant civil avec madame de Vauvineux, l’abbé de ia Fayette, l’abbé Bigorre et Corbinelli. J’ai soupe deux fois chez madame de Coulanges toute seule. Les Divines sont éclopées : la duchesse du Lude a été à Verneuil, elle est maintenant à Versailles. Monseigneur y arriva dimanche ; le roi le reçut au bois de Boulogne ; madame la Dauphine, Monsieur, Madame, madame de Bourbon, madame la princesse de Conti, madame de Guise, dans le carrosse. Monseigneur descendit, le roi voulut descendre aussi ; Monseigneur lui embrassa les genoux ; le roi lui dit : Ce n’est pas ainsi que je veux vous embrasser ; vous méritez que ce soit autrement. Et sur cela bras dessus et bras dessous, avec tendresse de part et d’autre ; et puis Monseigneur embrassa toute la carrosée et prit la huitième place. M. le chevalier pourra vous en dire davantage. Je crois que vous savez présentement avec quelle facilité le roi vous a accordé ce que vous demandiez pour Avignon : ainsi, ma très-chère, il faut remettre à une autre fois la partie que vous aviez faite de vous pendre.

J’ai gardé ma maison : j’ai eu d’abord M. de Pomponne, qui vous aime et vous admire, car vos louanges sont inséparables du souvenir qu’on a de vous. Ensuite madame la présidente Croiset, M. le président Rossignol ; et nous voilà à recommencer vos louanges et votre procès. J’ai vu Saint-Hérem, qui vous fait mille compliments sur la contusion, et vous remercie des vôtres sur la culbute de son fils ; il se trouvera fort bien de la marmite renversée de M. de la Rochefoucauld[2] ; cette abondance le faisait mourir. Adieu, ma très-chère et très-aimable, je m’en vais me coucher pour vous plaire, comme vous évitez d’être noyée pour me faire plaisir. Il n’y a rien dont je puisse vous être plus obligée que de la conservation de votre santé. Je vous mandais hier, ce me semble, que vos chaleurs et vos cousins me faisaient bien voir que nous n’avions pas le même soleil : il gelait la semaine passée à pierre fendre ; il a neigé sur cela, de sorte qu’hier on ne se soutenait pas ; il pleut présentement à verse, et nous ne savons pas s’il y a un soleil au monde.


  1. Marie-Blanche d’Adhémar, religieuse au couvent de la Visitation d’Aix.
  2. Il avait réformé sa table.