Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 268

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 555-557).

268. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.[modifier]

À Paris, lundi 22 novembre 1688.

Je ne vous dis rien de ma santé, elle est parfaite ; nous avons fait des visites tout le jour, M. le chevalier et moi, chez madame Ollier, madame Cornuel, madame de Frontenac, madame de Maisons, M. du Bois, qui a un petit bobo à la jambe ; et je disais chez les Divines que si j’approchais autant de la jeunesse que je m’en éloigne, j’attribuerais à cette agréable route la cessation de mille petites incommodités que j’avais autrefois, et dont je ne me sens plus du tout : tenez-vous-en là, mon enfant ; et puisque vous m’aimez, ne soyez*point ingrate envers Dieu, qui vous conserve votre pauvre maman d’une manière qui semble n’être faite que pour moi. Je ne songe plus à cette médecine, elle m’a fait du bien, puisqu’elle ne m’a point fait de mal. Je mangerai du riz, par reconnaissance du plaisir qu’il me fait de conserver vos belles joues, et votre santé qui m’est si précieuse. Ah ! qu’il faut qu’après tant de maux passés, vous soyez d’un admirable tempérament ! peines d’esprit, peines de corps, inquiétudes cruelles, troubles dans le sang, transes, émotions, enfin tout y entre, sans compter les fondrières que vous rencontrez sans doute entre votre chemin au delà de ce que vous pensiez : vous résistez à tout cela, ma chère fille ; je vous admire, et crois qu’il y a du prodige au courage que Dieu vous a donné. Cependant vous avez un petit garçon qui n’est plus ce maillot, comme vous écrivait l’autre jour madame de Coulanges, c’est un joli garçon, qui a de la valeur, qui est distingué entre ceux de son âge. M. de Beauvilliers en mande des merveilles au chevalier ; et sur ce qu’il dit il n’y a rien à rabattre ; ce petit homme n’est que trop plein de bonne volonté : nous sommes surpris comment ce silence et cette timidité ont fait place à d’autres qualités. Un si heureux commencement mérite qu’on le soutienne : mais je pense que ce n’est pas à vous que ce discours doit s’adresser, et qu’on ne peut rien ajouter à vos sentiments sur ce sujet.

On ne parle ici que de la rupture entière de la table de M. de la Rochefoucauld ; c’est un grand événement à Versailles. Il a dit au roi qu’il en était ruiné, et qu’il ne voulait point tomber dans des injustices ; et non-seulement sa table est disparue, mais une certaine chambre où les courtisans s’assemblaient, parce qu’il ne veut pas les faire souvenir, ni lui non plus, de cet aimable corbillard qui s’en allait tous les jours faire si bonne chère. Il a retranché quarante-deux de ses domestiques. Voilà une grande nouvelle et un bel exemple.

Vous avez vu que je n’ai pas été longtemps à Brevannes ; je vous ai dit la triste scène qui m’en a fait revenir. Le temps est affreux et pluvieux ; jamais il n’y eut une si vilaine automne. Vraiment nous ne craignons point les cousins, nous craignons de nous noyer. Votre soleil est bien différent de celui-ci. J’aime Pauline, je la trouve jolie, je crois qu’elle vous plaît fort ; il me paraît qu’elle vous adore. Ah ! quelle aimable maman elle est obligée d’aimer ! Je dis d’elle comme vous disiez de la princesse de Conti : C’est une jolie chose que d’être obligée à ce devoir. Faites-lui apprendre l’italien ; vous avez à Aix M. le prieur, qui sera ravi d’être son maître. Je vois que la harangue de M. le comte a été fort bien tournée. Nous soupâmes samedi, M. le chevalier et moi, chez M. de Lamoignon, qui nous dit celle qu’il fait aujourd’hui aux avocats et aux procureurs : elle est fort belle. Faites bien mes amitiés à vos Grignans, et un compliment, si vous voulez r à M. d’Aix. Que vous êtes heureuse de n’être point sur tout cela comme autrefois ! vous avez vu en ce pays le prix qu’il y faut donner. Si vous n’êtes pas mal avec M. d’Aix, sa conversation est vive et agréable ; et comme il est content, j’espère que vous serez en paix.

Voici une petite nouvelle qui ne vaut pas la peine d’en parler, c’est que Franckendal s’est rendu le 18 de ce mois : il n’a fallu que lui montrer du canon, il n’y a eu personne de tué ni de blessé. Monseigneur est parti, et sera à Versailles d’aujourd’hui en huit jours r 29 du mois, et votre enfant aussi. Vous avez de ses lettres : oh ! soyez donc tout à fait contente pour cette fois, et remerciez Dieu de tant d’agréments dans ce commencement. Adieu, ma très-chère et très-aimable : je veux vous dire que je fis deviner l’autre jour à la mère prieure [1] (des Carmélites) votre occupation présente après celle du procès ; vous croyez bien qu’elle se rendit : C’est, lui dis-je, ma mère, puisqu’il ne faut rien vous cacher, quelle fait une compagnie de chevau-légers. Je ne sais quel ton elle trouva à cette confiance, mais elle fit un éclat de rire si naturel et si spirituel, que toute notre tristesse en fut embarrassée^ je n’oubliai point de conter votre parfaite estime pour le saint couvent. Cette mère sait bien mener la parole.


  1. N… Gigault de Bellefonds, tante du maréchal de Bellefonds.