Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 280

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 579-581).

280. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.[modifier]

À Paris, lundi 17 janvier 1689.

Voilà donc ma lettre nommée ; c’est une marque de son mérite singulier. Je suis fort aise que ma relation vous ait divertie ; je ne devine jamais l’effet que mes lettres feront, celui-ci est heureux.

Si vous prenez le chemin de vous éclaircir avec l’archevêque, au lieu de laisser cuver les chagrins qu’on veut vous donner contre lui, vous viderez bien des affaires en peu de temps, ou vous ferez taire les redueiirs ; l’un ou l’autre est fort bon, et vous vous en trouverez très-bien ; vous finirez, à la vérité, le plaisir et l’occupation des Provençaux : mais vous retranchez de sottes pétoffes. M. de Barillon est arrivé ; il a trouvé un paquet de famille, dont il ne connaissait pas tous les visages. Il est fort engraissé. Il dit à AT. de Harlai : « Monsieur, oie me parlez point de ma graisse, « je ne vous dirai rien de votre maigreur. » Il est vif, et ressemble assez par l’esprit à celui que vous connaissez. Je ferai tous vos compliments, quand ils seront vraisemblables ; je les ai faits à madame de Sully, qui vous en rend mille de très-bonne grâce ; et à la comtesse (de Fiesque), qui est trop plaisante surM. de Lauzun, qu’elle voulait mettre sur le pinacle, et qui n’a encore ni logement à Versailles, ni les entrées qu’il avait. Il est tout simplement revenu à la cour ; son action n’a rien de si extraordinaire ; on en avait d’abord composé un fort joli roman.

Cette cour d’Angleterre est toute établi à Saint-Germain ; ils n’ont voulu que cinquante mille francs par mois, et ont réglé leur cour sur ce pied. La reine plaît fort ; le roi cause agréablement avec elle, elle a l’esprit juste et aisé. Le roi avait désiré que ma-dame la Dauphine y allât la première ; elle a toujours si bien dit qu’elle était malade, que cette reine vint la voir il y a trois jours, habillée en perfection ; une robe de velours noir, une belle jupe, bien coiffée, une taille comme la princesse de Conti, beaucoup de majesté. Le roi alla la recevoir à son carrosse ; elle fut d’abord chez lui, où elle eut un fauteuil au-dessus de celui du roi ; elle y fut une demi-heure, puis il la mena chez madame la Dauphine, qui fut trouvée debout ; cela fit un peu de surprise : la reine lui dit : « Madame, je vous croyais au lit. — Madame, dit madame la Dauphine, j’ai voulu me lever, pour recevoir l’honneur que Votre Majesté me fait. » Le roi les laissa, parce que madame la Dauphine n’a point de fauteuil devant lui. Cette reine se mit à la bonne place, dans un fauteuil, madame la Dauphine à sa droite, Madame à sa gauche, trois autres fauteuils pour les trois petits princes : on causa fort bien plus d’une demi-heure ; il y avait beaucoup de duchesses, la cour fort grosse. Enfin, elle s’en alla ; le roi se fit avertir, et la remit dans son carrosse. Je ne sais jusqu’où le conduisit madame la Dauphine ; je le saurai. Le roi remonta, et loua fort la reine ; il dit : « Voilà comme il faut que soit une reine, et de corps et d’esprit, tenant sa cour avec dignité. » Il admira son courage dans ses malheurs, et la passion qu’elle avait pour le roi son mari ; car il est vrai qu’elle l’aime, comme vous a dit cette diablesse de madame de R…… Celles de nos dames qui voulaient faire les princesses n’avaient point baisé la robe de la reine, quelques duchesses en voulaient faire autant : le roi l’a trouvé fort mauvais ; on lui baise les pieds présentement. Madame de Chaulnes a su tous ces détails, et n’a point encore rendu ce devoir. Elle a laissé le marquis à Versailles, parce que le petit compère s’y divertit fort bien : il a mandé à son oncle qu’il irait aujourd’hui au ballet, à Trianon : M. le chevalier vous enverra sa lettre. Il est donc là sur sa bonne foi, faisant toutes les commissions que son oncle lui donne, pour l’accoutumera être exact, aussi bien qu’à calculer : quel bien ne lui fera point cette sorte d’éducation ! J’ai reçu une réponse de M. de Carcassonne ; c’est une pièce rare, mais il faut s’en taire ; j’y répondrai bien, je vous en assure : il a pris sérieusement et de travers tout mon badinage. Ah ! ma fille, que je comprends parfaitement vos larmes, quand vous vous représentez ce petit garçon à la tête de sa compagnie, et tout ce qui peut arriver de bonheur et de malheur à cette place ! L’abbé Têtu est toujours dans ses vapeurs très-noires. J’ai dit à madame de Coulanges toutes vos douceurs : elle veut toujours vous écrire dans ma lettre ; mais cela ne se trouve jamais. M. le chevalier ne veut pas qu’on finisse en disant des amitiés ; mais malgré lui je vous embrasserai tendrement, et je vous dirai que je vous aime avec une inclination naturelle, soutenue de toute l’amitié que vous avez pour moi, et de tout ce que vous valez. Eh bien ! quel mal trouve-t-il à finir ainsi une lettre, et à dire ce que l’on sent et ce que l’on pense toujours ?

Bonjour, monsieur le comte ; vous êtes donc tous deux dans les mêmes sentiments pour vos affaires et pour votre dépense ? Plût à Dieu que vous eussiez toujours été ainsi ! Bonjour, Pauline, ma mignonne ; je me moque de vous, après avoir pensé six semaines à me donner un nom entre ma grand’mère et madame ; enfin vous avez trouvé madame.