Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 318

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 650-651).

318. — DE M. LE COMTE DE GRGNAN À M. DE COULANGES.[modifier]

À Grignan, le 23 mai 1696.

Vous comprenez mieux que personne, monsieur, la grandeur de la perte que nous venons de faire, et ma juste douleur. Le mérite distingué de madame de Sévigné vous était parfaitement connu. Ce n’est pas seulement une belle-mère que je regrette, ce nom n’a pas accoutumé d’imposer toujours ; c’est une amie aimable et solide, une société délicieuse. Mais ce qui est encore bien plus digne de notre admiration que de nos regrets, c’est une femme forte dont il est question, qui a envisagé la mort, dont elle n’a point douté dès les premiers jours de sa maladie, avec une fermeté et une soumission étonnante. Cette personne, si tendre et si faible pour tout ce qu’elle aimait, n’a trouvé que du courage et de la religion quand elle a cru ne devoir songer qu’a elle, et nous avons dû remarquer de quelle utilité et de quelle importance il est de se remplir l’esprit de bonnes choses et de saintes lectures, pour lesquelles madame de de Sévigné avait un goût, pour ne pas dire une avidité surprenante, de par l’usage qu’elle a su faire de ces bonnes provisions dans les derniers moments de sa vie. Je vous conte tous ces détails, monsieur, parce qu’ils conviennent à vos sentiments, et à l’amitié que vous aviez pour celle que nous pleurons : et je vous avoue que j’en ai l’esprit si rempli, que ce m’est un soulagement de trouver un homme aussi propre que vous à les écouter, et à les aimer. J’espère, monsieur, que le souvenir d’une amie qui vous estimait infiniment contribuera à me conserver dans l’amitié dont vous m’honorez depuis longtemps ; je l’estime et la souhaite trop pour ne pas la mériter un peu. J’ai l’honneur, etc.

FIN.