Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 44

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Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 117).

44. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.[modifier]

Vendredi au soir, 10 avril 1671.

Je fais mon paquet chez M. de la Rochefoucauld, qui vous embrasse de tout son cœur. Il est ravi de la réponse que vous faites aux chanoines et au père Desmares : il y a plaisir à vous mander des bagatelles, vous y répondez très-bien. Il vous prie de croire que vous êtes encore toute vive dans son souvenir ; s’il apprend quelques nouvelles dignes de vous, il vous les fera savoir. Il est dans son hôtel de la Rochefoucauld, n’ayant plus d’espérance de marcher ; son château en Espagne, c’est de se faire porter dans les maisons, ou dans son carrosse pour prendre l’air : il parle d’aller aux eaux ; je tâche del’envoyer à Digne, et d’autres à Bourbon. J’ai été chez Mademoiselle, qui est toujours malade ; j’ai dîné en bavardin[1], mais si purement que j’en ai pensé mourir : tous nos commensaux nous ont fait faux bond ; nous n’avons fait que bavardiner, et nous n’avons point causé comme les autres jours.

Brancas versa, il y a trois ou quatre jours, dans un fossé ; il s’y établit si bien, qu’il demandait à ceux qui allèrent le secourir ce qu’ils désiraient de son service : toutes ses glaces étaient cassées, et sa tête l’aurait été, s’il n’était plus heureux que sage : toute cette aventure n’a fait aucune distraction à sa rêverie. Je lui ai mandé ce matin que je lui apprenais qu’il avait versé, qu’il avait pensé se rompre le cou, qu’il était le seul dans Paris qui ne sût point cette nouvelle, et que je lui en voulais marquer mon inquiétude -.j’attends sa réponse. Voilà madame la comtesse (de Fiesque) et Briole, qui vous font trois cents compliments. Adieu, ma très-chère enfant, je m’en vais fermer mon paquet. Comme je suis assurée que vous ne doutez point de mon amitié, je ne vous en dirai rien ce soir ;


45. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.[modifier]

À Paris, mercredi 15 avril 1671.

Je viens de recevoir la lettre que vous m’avez écrite par Gacé[2]. Vous me parlez de la Provence comme de la Norwége : je pensais qu’il y fait chaud, et je le pensais si bien, que l’autre jour, que nous eûmes ici une bouffée d’été, je mourais de chaud, et j’étais triste : on devina que c’était parce que je croyais que vous aviez en


  1. Chez madame de Lavardin, qui aimait extrêmement les nouvelles.
  2. Depuis maréchal de Matignon.