Lettres de Jules Laforgue/056

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Lettres. — I (1881-1882)
Texte établi par G. Jean-Aubry, Mercure de France (Œuvres complètes de Jules Laforgue. Tome IVp. 207-209).
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LVI

À M. CHARLES HENRY

Coblentz, samedi [18 nov. 1882].
Mon cher Henry,

Êtes-vous toujours à Paris ou toujours en Italie, pays qui a la forme d’une botte ?

Êtes-vous délivré, même de loin, du nommé L…

Je suis ici depuis une semaine (toujours la même adresse) et dans cinq jours je serai à Berlin, toujours Prinzessinen-Palais.

Mes fenêtres donnent sur le Rhin. Je me suis fait un coin assez gemüthlich ici, avec mes livres, quatre ou cinq panneaux, un crâne de macaque servant de porte-montre, des photog. de Paris (60), 125 dessins du Louvre et un éléphant bronze de Barye.

Est-ce que les Névroses ont paru[1] ?

Vous savez qu’il y a une sorte de brouille entre la rue Denfert et moi. À peine quelques visites, puis malentendus, lettres ; bref, quittés sans nous voir. Pour pardon ai écrit dès arrivée et rien reçu.

Je travaille. Je me remets à faire des vers. Je veux publier (mais pour donner seulement pour mes amis que mes choses intéressent et que cela pourra distraire) un petit volume de poésies toutes neuves qui s’appelleront : Complaintes de la vie ou le Livre des complaintes. Ce sera des complaintes lamentables rimées à la diable. J’y mettrai celle du Petit Hypertrophique. Il y aura la complainte du Soleil, des 4 Saisons, de la Vieille Fille, du Fœtus, du Pharmacien, de la Phtisique vierge, du Père éternel, de Pan, etc.

J’en ai déjà cinq. Je serai très sévère. Je vous envoie celle des Montres (qui est mon poème des Montres refait).

J’essaierai aussi des croquis berlinois pour la Vie Moderne. Et le théâtre ! théâtre injouable ou à jouer entre amis. Ce serait peut-être drôle avec des dames complaisantes et calmes.

J’espère que vous m’écrirez et que vous me parlerez de vous, de vos poèmes en prose, de votre roman[2], etc. Même si vous n’êtes pas encore à Paris.

Jules Laforgue.

Je vais vous copier la complainte des Montres.


  1. Le volume de poèmes de Maurice Rollinat qui parut peu après (1883) chez Charpentier.
  2. Ce roman et ces poèmes ne furent jamais que dans la gracieuse imagination de Jules Laforgue.