Lettres de Jules Laforgue/083

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Lettres. — II (1883-1887)
Texte établi par G. Jean-Aubry, Mercure de France (Œuvres complètes de Jules Laforgue. Tome Vp. 68-70).

LXXXIII

À M. CHARLES HENRY

Mardi soir [janvier 1884].
Mon cher Henry,

J’ai reçu les billets ce matin ? Votre lettre l’autre jour, puis une carte. Et ce soir la cire !!

Des nouvelles de Heyse rien n’a été traduit, sauf, il y a un ou deux ans, quelque chose dans la Revue des Deux Mondes. Je saurai demain si la lettre d’Alembert est publiable. Demain aussi je montrerai la cire à son futur propriétaire. J’arriverai très tard en soirée et j’entrerai dans le salon la cire sous le bras ! Elle est tout simplement délicieuse. L’expression est d’une finesse et saisie dans un moment irrespirable ! Ah ! le joli petit sphinx ! la plume, le cordonnet alterné d’or du chapeau, le collet strié d’or, et les dentelles retombant flasques sont d’un chiffonné exquis et discret. Je ne l’ai encore vue qu’aux lumières, cette enfant. Je viens de la recevoir, il est 8 heures. Le fond en changera-t-il au jour ? il est aux lumières très fin, très fin et à souhait. Aussi simplement que je vous dis cela, je dirai aussi que — aux lumières seulement peut-être ? — le châle me paraît du ton de la cire ordinaire brun-rouge ou terre-de-sienne. J’en aurai rêvé un d’un autre ton plus rare. Qu’il prendra peut-être demain au jour ? et (qu’en pensez-vous ?) un châle écossais à carreaux blancs et noirs n’aurait-il pas été là à se pâmer ? Enfin c’est une petite merveille et m… pour ceux qui ne seront pas amoureux de cette petite !

J’ai reçu la Revue libérale, mais un dilettanti me l’a aussitôt empruntée avant que j’eusse eu le temps de la couper. Elle va me revenir.

Et l’Encaustique ? Et votre santé ?

Irez-vous voir les Manet[1] ?

Avez-vous reçu mes Complaintes ? Voulez-vous, quand vous aurez un instant, vous en occuper, à votre gré ? Je paierai. Mais que ça paraisse vite et qu’on n’en parle plus. Ça peut-il paraître en avril ?

Ma lecture m’attend (un proverbe d’Octave Feuillet dans la Revue). Je vous serre à la hâte la main. Je vous écrirai un de ces jours.

À propos, dites à Cros que nous allons exposer chez Gurlitt à côté, le Goupil de Berlin, ses deux cires.

Au revoir, au revoir.

Votre
Jules Laforgue.

Donnez-moi des nouvelles de l’Encaustique. Aussitôt paru, vous verrez comme je vais le faire circuler.


  1. Les cent soixante-dix-neuf toiles, aquarelles, pastels, eaux-fortes, lithographies et dessins de Manet exposés à l’École des Beaux-Arts.